Une refonte complète du système de financement des films

La transition vers une économie de marché dans les pays d'Europe centrale et orientale a entraîné une réorganisation complète du secteur de la production cinématographique. Plus que tout autre domaine culturel, l'activité cinématographique est en effet dépendante de ses sources de financement. Après l'effondrement des structures communistes, les possibilités de collaboration avec l'Europe de l'Ouest sont donc devenues un enjeu crucial.


Une refonte complète du système de financement des films d'Europe centrale et orientale a été rendue nécessaire depuis dix ans par la privatisation de la production et la chute de la fréquentation en salle (les recettes de la taxe sur les entrées, principale source de financement, ont diminué de façon significative). Or les sources de financement alternatives autres qu'étatiques étaient quasi-absentes de l'ancien système. S'ajoute à cela la difficulté d'attirer les investisseurs étrangers, au vu des importants risques financiers.

La Pologne, la Russie et la Hongrie ont procédé à une révision complète de leurs systèmes d'aide, tandis que les autres pays ont amorcé des réformes partielles.

Les nécessaires aides européennes

L'accès à des mécanismes de soutien européens a donc été vital pour tous ces pays. Un premier système d'aide, les Fonds ECO du CNC*, mis en place de 1989 à 1996, et la participation au fonds de coproduction Eurimages* du Conseil de l'Europe ont facilité la collaboration entre professionnels de l'Ouest et de l'Est.

Un film comme No Man's Land, du réalisateur bosniaque Danis Tanovic, Oscar 2002 du meilleur film étranger, par exemple, n'aurait pas existé sans la participation financière d'Eurimages. Les producteurs français du film (Noé Productions) expliquent qu'ils étaient à la recherche d'un projet qui pourrait raconter les absurdités des guerres en ex-yougoslavie. En 1999, D. Tanovic leur a déposé son scénario. "Il n'a pas rappelé, il n'a pas insisté, nous ne savions strictement rien de lui, mis à part qu'il venait de Sarajevo et qu'il avait étudié le cinéma en Belgique." La structure financière de No Man's Land s'est élargie par la suite : se sont joints au projet des coproducteurs italiens, belges et anglais, le tout supporté par TPS France. Le film a été tourné en Slovénie, qui possède des équipes techniques parmi les plus réputées d'Europe.

Mais ce système de financement possède ses limites et ses paradoxes : les Fonds Eco du CNC, destinés aux Etats d'Europe centrale et orientale, Russie comprise, ont été supprimés en 1996. On a alors considéré que ces pays, sortis d'une période difficile, n'avaient plus besoin de cette aide spécifique qui a donc été supprimée.

Le fonds Eurimages était censé alors prendre le relais. Mais pour Joël Farges, producteur chez Artcam International (Paris), qui a produit des films tchèques, hongrois et centre-asiatiques, révélant des réalisateurs comme le Kazakh Darejan Ormibaev (Tueurs à gages) ou le Tadjik Djamshed Usmonov (L'ange de l'épaule droite), les conditions à remplir pour obtenir l'aide d'Eurimages sont très contraignantes.

En particulier, Eurimages n'aide à financer que les films à gros budget. Un film au budget de un million de francs, ce qui est le cas des films qu'Artcam produit généralement, n'entre pas dans les critères d'Eurimages. Or nombreux sont les projets à petit budget ; ils n'en restent pas moins dépendants des financements.

Après avoir produit plusieurs films tchèques, J. Farges est forcé de constater que cela devient désormais quasi-impossible. Il estime que la disparition des Fonds Eco du CNC depuis sept ans est une erreur : "On a considéré que ces pays pouvaient voler de leurs propres ailes, mais c'était prématuré. Résultat, on a élargi les financements à l'Asie centrale, intégrée dorénavant dans les Fonds Sud Cinéma du CNC*, ce qui a certainement largement contribué à l'essor de ce cinéma, mais s'est inversement révélé être une catastrophe pour d'autres pays."

Des pays prioritaires

Sur place, les aides sont très faibles, voire inexistantes. Une chose est claire pour J. Farges : sans l'aide de la France et de l'Europe de l'Ouest en général, les films d'Asie centrale n'existeraient pas, parce que les sommes nécessaires à un film même à budget faible ne seraient jamais réunies. Si le gouvernement kazakh, par exemple, dispense une aide via le syndicat national des réalisateurs, elle reste tout à fait aléatoire. Au Tadjikistan, c'est le néant total. Kazakhs et Tadjiks n'ont pas la possibilité de voir leurs films, qui ne sont pas distribués sur place…

Pour la Russie également, la disparition des fonds Eco a eu de graves conséquences. Le gouvernement russe ne finance que très peu son cinéma, qui n'a pourtant accès à aucune aide spécifique, le pays n'étant pas considéré comme en voie de développement, donc comme prioritaire. Les films russes, comme ceux du monde entier, peuvent obtenir l'aide du CNC destinée aux "Films en langue étrangère", mais cette aide directe n'est délivrée qu'à des réalisateurs de notoriété internationale, comme Pavel Lounguine dont les deux derniers films, La Noce et Un Nouveau Russe ont été produits en France par Catherine Dussart. Dans un cas comme celui-ci, C. Dussart travaille avec un coproducteur russe, chargé avant tout du casting et de la logistique sur place. Le producteur français, lui, démarche les institutions pour obtenir des financements (CNC, Films en langue étrangère, France 2, Arte, Canal +, dans le cas du Nouveau Russe).

A la pêche aux talents

L'échange culturel entre l'Est et l'Ouest en matière de cinéma est le fruit d'un subtil mélange entre volontés politiques et institutionnelles de financements, aides diverses et volontés humaines de collaboration. Il existe un va et vient permanent entre les acteurs du secteur : certains viennent en France pour trouver soutiens et financements, c'est le cas par exemple de P. Lounguine qui vit en partie à Paris et qui a rencontré sa productrice en France. D'autres producteurs au contraire, se déplacent pour découvrir des talents inexploités ailleurs.

J. Farges a travaillé comme réalisateur dans plusieurs pays de l'Est depuis 1989, notamment en République tchèque. Il est parti ensuite à la pêche aux talents : les Ambassades lui présentent à sa demande des courts métrages réalisés par des jeunes cinéastes, avec lesquels il prend éventuellement contact. De même, il se renseigne auprès des Ecoles de cinéma locales.

Si l'aide de l'Ouest est bienvenue et a certainement contribué à maintenir un certain niveau de film d'initiative nationale après l'effondrement de l'URSS, les acteurs locaux du secteur ont pourtant hâte de ne plus être traités comme ceux de pays sous-développés…

En Russie notamment, le Président a pris ces derniers mois plusieurs initiatives visant à renforcer l'industrie cinématographique : le gouvernement s'est engagé à soutenir dorénavant de manière régulière la production, afin de consolider des investissements privés plus ou moins instables (les chaînes publiques et à péage investissent largement dans la production cinématographique et audiovisuelle locale). La Russie souhaite rejoindre Eurimages dans les prochains mois, ce qui permettrait aux producteurs russes de participer à des coproductions pan-européennes. Mais la liste d'attente des pays est longue.

* FONDS ECO CNC :
1989 à 1996Destinés à tous les pays d'Europe centrale et orientale

-------------------------------------------------
Fonds Sud Cinéma CNC
Mécanisme interministériel d'aide sélective à la production de longs métrages (ministère des Affaires étrangères, ministère de la Coopération et ministère de la Culture -Centre national de la cinématographie-)Crée en 1984.Destiné aux réalisateurs ressortissants des pays d'Afrique, d'Amérique Latine, du Maghreb, du Moyen-Orient, d'Asie (à l'exception de la Corée, de Hong-Kong, du Japon, de Singapour et de Taïwan), des Caraïbes, des pays de l'ex-Yougoslavie et des anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale. Les projets doivent être tournés dans les zones géographiques citées et la langue de tournage doit être soit le Français, soit l'une des langues nationales de ces pays. Montant annuel du Fonds : 16,5 MF (8 MF provenant du CNC).Moyenne d'aide accordée : 0,5 MF par film ( ne peut en aucun cas dépasser 1 MF)Elle doit être affectée prioritairement à la post-production en France.

Eurimages
Fonds européen de soutien Eurimages.Créé en 1988 au sein du Conseil de l'Europe.États membres : Belgique, Chypre, Danemark, France, Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Luxembourg, Portugal, Espagne, Suède, entrés en 1988 ; Islande; Norvège, Suisse, Hongrie, Finlande; Turquie, Autriche; Pologne; Irlande; Bulgarie; République tchèque; Slovaquie, Roumanie, Slovénie, Lettonie, Croatie (1er janvier 2003), ex-république yougoslave de Macédoine (1er juillet 2003).Il vise à promouvoir dans ses États membres, par des aides financières, la coproduction d'œuvres cinématographiques européennes. Il attribue également des aides à la distribution et à l'exploitation. La Direction des affaires européennes et internationales du CNC représente la France au sein du Comité de direction.

Par Ninon WECK

Photo : No Man's Land de Danis Tanovic

Sources : http://culture.coe.fr/eurimages
www.cnc.fr

244x78