Le système d’enseignement en Roumanie

En Roumanie, un nouveau projet de loi dans le domaine de l’éducation vient d’être approuvé par le gouvernement et a été transmis au Parlement. Il sera soumis au vote des députés en juin.


Ecole primaire et jardin d’enfant du village de Lacu rosu dans le département de HarghitaCe texte succède aux autres lois et aux ordonnances qui n’ont cessé de modifier le système éducatif depuis 1990. Or, comment se présente ce système aujourd’hui, à la veille, peut-être, de nouvelles évolutions?

L’organisation du système d’enseignement

En Roumanie, le système d’enseignement est organisé en quatre grands niveaux: préscolaire, fondamental (primaire et secondaire inférieur), secondaire supérieur, et supérieur. Pour chacun de ces niveaux, on trouve des établissements publics et privés.

L’enseignement pré-scolaire, non obligatoire, concerne les enfants âgés de 3 à 6 ans. Il prend place dans des établissements appelés "jardins d’enfants", lesquels sont organisés en trois sections: petite (enfants de 3 ans), moyenne (ceux de 4 ans) et grande (ceux de 5 ans), cette dernière ayant le statut d’année préparatoire et connaissant de ce fait une fréquentation plus importante que les autres sections.

L’enseignement fondamental correspond à la scolarité obligatoire, qui est d’une durée de dix ans en Roumanie (de 6 à 15 ans). Il comprend l’enseignement élémentaire (les classes I à IV, pour les élèves de 6 à 9 ans), l’enseignement secondaire inférieur dit "gymnasial" (les classes V à VIII, pour les élèves de 10 à 13 ans), puis soit le premier cycle de deux ans du lycée, soit l’enseignement secondaire technique dispensé dans les écoles d’arts et métiers (les classes IX et X, pour les élèves de 14 et 15 ans).

L’enseignement secondaire supérieur concerne le lycée. C’est un cycle de deux ans (les classes XI et XII, pour les élèves de 16 et 17 ans), qui prolonge celui suivi à l’issue des études gymnasiales. Une poursuite d’études dans l’enseignement secondaire supérieur est également possible pour les élèves des écoles d’arts et métiers qui, après une année d’études complémentaires (classe XI), peuvent poursuivre leur scolarité en lycée technologique (classes XII et XIII). Cet enseignement secondaire supérieur se termine par l’examen de baccalauréat, lequel rend ensuite possible la réalisation d’études supérieures.

L’enseignement supérieur est l’apanage des universités. Depuis l’année universitaire 2005-2006, les études y sont structurées suivant le modèle promu par les accords de Bologne, c’est-à-dire l’organisation en trois cycles de respectivement trois, deux et trois ans, menant tour à tour à la Licence, au Master et au Doctorat; néanmoins, ces durées peuvent être différentes dans le cas de certaines filières (par exemple en médecine ou dans des domaines techniques). En dehors des universités et de leurs différentes facultés, il existe aussi des écoles post-secondaires dans divers domaines (sanitaire, secrétariat, etc.).

Les enseignants roumains

Fortement féminisé comme dans bien d’autres pays, le corps enseignant en Roumanie se distingue par quelques caractéristiques.

En premier lieu, ce corps enseignant ne constitue pas un groupe socioprofessionnel unitaire et homogène. L’origine sociale des enseignants est en effet variée, avec pour conséquence une hétérogénéité socioculturelle parmi ces derniers. C’est la première caractéristique que met en avant Emil Paun, en soulignant qu’à "appartenance sociale hétérogène, culture hétérogène"[1].

Une autre spécificité majeure de ce corps enseignant est son vieillissement. Deux phénomènes permettent de l’expliquer. D’une part, l’enseignement n’attire plus trop aujourd’hui les jeunes diplômés du supérieur, en raison des bas salaires, du moindre prestige du métier d’enseignant et donc d’un statut social globalement déprécié. D’autre part, le manque d’enseignants qualifiés, en particulier en milieu rural, amène à ce que des instituteurs et des professeurs à la retraite soient rappelés pour enseigner.

A ces deux traits, l’hétérogénéité socioculturelle et le vieillissement du corps enseignant, contribue un autre phénomène: suite aux fermetures, restrictions d’activités ou privatisations d’entreprises d’Etat depuis le début des années 1990, de nombreux salariés diplômés de l’enseignement supérieur -principalement des ingénieurs- se sont réorientés professionnellement vers le métier d’enseignant.

Les éducateurs et les instituteurs étaient habituellement formés dans des lycées pédagogiques, puis des collèges universitaires pédagogiques firent leur apparition en 1999 pour la formation des instituteurs. La voie traditionnelle menant au métier de professeur du secondaire consistait quant à elle à suivre une formation universitaire classique de quatre ans, complétée par l’obtention d’un module en psychopédagogie. Cela a désormais changé. Les éducateurs et les instituteurs sont à présent recrutés après avoir obtenu une Licence en sciences de l’éducation option "pédagogie de l’enseignement primaire et préscolaire". C’est ce diplôme qui permet donc l’accès à l’enseignement préscolaire et primaire. Pour travailler dans l’enseignement secondaire obligatoire, comme professeur de mathématiques ou d’histoire, il faut avoir obtenu à la fois une Licence et le premier niveau de certification pour le métier d’enseignant, auquel prépare le suivi d’un module initial en psychopédagogie. Les professeurs du secondaire supérieur (lycée) doivent, pour leur part, être diplômés d’un Master et avoir obtenu le second niveau de certification pour le métier d’enseignant. Ce second niveau de certification nécessite de suivre un module d’approfondissement en psychopédagogie (ce qui permet également d’enseigner dans des écoles post-secondaires et même dans l’enseignement supérieur). La possession de ces diplômes et certifications est une condition nécessaire pour passer les concours annuels qui sont toujours à la base de l’accès aux différents métiers de l’enseignement.

Les effectifs et l’infrastructure scolaires

De 5.544.648 élèves et étudiants durant l’année scolaire 1989-1990, la population scolaire est passée à 5.066.031 en 1990-1991, puis à un peu plus de 4.325.000 en 2008-2009[2]. Si cette tendance générale à la baisse des effectifs affecte le nombre d’enfants scolarisés dans les jardins d’enfants ainsi que celui des élèves de l’enseignement primaire et secondaire, les effectifs universitaires ont, pour leur part, continuellement augmenté depuis la chute du communisme: de 192.810 étudiants durant l’année universitaire 1990-1991, on est en effet passé à un peu plus 891.000 en 2008-2009, le record ayant été atteint l’année précédente avec 907.353 étudiants.

Selon le sociologue Ioan Marginean[3], la baisse des effectifs scolaires s’explique tout d’abord par certaines décisions administratives, comme l’abaissement de la période de scolarité obligatoire, passée de dix à huit ans entre 1990 et 2003, puis essentiellement par la baisse de la natalité et l’essor de l’immigration. Quant aux effectifs universitaires, parmi les nombreux facteurs qui ont contribué à leur essor, on peut noter l’apparition des universités privées (plus d’un tiers de l’effectif total des étudiants en 2007-2008 et presque la moitié l’année suivante!) et l’introduction, en 1999-2000 dans les universités publiques, de places supplémentaires non financées sur le budget de l’Etat et donc acquittées par les étudiants, ainsi que le développement de l’enseignement ouvert à distance (cette modalité fut choisie par 260.911 étudiants en 2007-2008, soit plus d’un quart de l’ensemble de la population estudiantine).

Concernant les infrastructures scolaires, on s’aperçoit que la baisse globale des effectifs s’est accompagnée d’une baisse du nombre d’unités d’enseignement et du nombre d’enseignants, excepté pour les lycées et les universités. En fait, après une augmentation du nombre d’unités d’enseignement (passées de 28.303 durant l’année scolaire 1990-1991 à plus de 29.000 de 1992-1993 à 1998-1999), accompagnée d’un accroissement des effectifs enseignants (de 271.719 en 1990-1991 à plus de 300.000 entre 1995-1996 et 1999-2000), il y a eu ensuite une baisse continue. Ainsi, on n’enregistre plus que 8.221 unités d’enseignements et à peine plus 275.000 enseignants pour l’année scolaire 2008-2009.

Ce phénomène de réduction du nombre d’établissements (de plus de 30% entre 2005 et 2008) et, à moindre ampleur, de celui des enseignants touche les jardins d’enfants, les écoles et les collèges, ainsi que l’enseignement secondaire professionnel. En revanche, les lycées et les universités ne sont pas affectés et connaissent au contraire une évolution inverse, en dépit même de la baisse du nombre d’élèves dans le cas des lycées[4].


Ecole du village Laza dans le département de Vaslui (© Dany Bourdet)

L’enseignement, entre sous-investissement et réformes

Pour compléter ces constats chiffrés sur l’évolution des effectifs et des infrastructures dans le système d’enseignement, on peut évoquer la part des dépenses publiques de l’Etat roumain destinées à l’éducation. Se référant au Rapport sur le développement humain 2007/2008, Ioan Marginean signale qu’elle était de 3,5% du PIB en 1991 et qu’elle est restée stable, à 3,4% entre 2002 et 2005. A titre de comparaison, ce sociologue indique également qu’en 1991, 80 pays sur les 177 étudiés avaient une part de leur dépenses publiques consacrées à l’éducation supérieure à celle de la Roumanie (26 Etats y consacraient même plus de 5,5% de leur PIB); entre 2002 et 2005, 116 pays invertissaient davantage dans l’éducation que la Roumanie (34 Etats y consacrant plus de 5,5% de leur PIB).

Autant dire que la Roumanie ne manifeste pas de volonté d’accroître son effort financier en faveur de l’éducation. Sa politique en la matière a surtout consisté à réformer et réorganiser le système d’enseignement à travers la promulgation de nombreuses ordonnances et par le vote et la modification de plusieurs lois (dont les plus importantes sont celles de 1995, 1997, 2003, 2005 et 2006). La décentralisation et l’autonomie des établissements à tous les niveaux de l’enseignement, l’équité dans l’accès à l’éducation (pour les minorités ethniques, les groupes sociaux défavorisés et le milieu rural) ainsi que la qualité dans ce domaine ont été et continuent à être les priorités. Cette politique a aussi consisté à réduire le nombre d’établissements scolaires et à limiter celui des enseignants (y compris dans le milieu rural), sous couvert de baisse de la natalité et d’économies budgétaires, tout en fournissant néanmoins un peu plus de moyens aux lycées. Enfin, elle a visé à permettre l’essor de l’enseignement supérieur, mais à moindres frais (universités privées, places autofinancées dans les universités publiques, etc.) et sans assurer a priori de débouchés réels ou potentiels aux futurs diplômés.

Les plus importantes implications du nouveau projet de loi semblent concerner la formation initiale et continue ainsi que le recrutement et la promotion professionnelle des enseignants, à tous les niveaux de l’enseignement. Ainsi, il prévoit que le personnel de l’enseignement pré-universitaire soit recruté sur la base de l’obtention d’un Master en didactique (après avoir préalablement obtenu une Licence dans une discipline donnée: histoire, mathématiques, etc.) et de la réalisation d’un stage rémunéré d’un an dans une unité d’enseignement, mené sous la houlette d’un "professeur mentor". Au-delà des implications de cette nouvelle loi, si bien sûr elle est approuvée par le Parlement, l’annonce faite très récemment par le Président de la République de Roumanie de réduire de 25% les salaires des fonctionnaires à partir du 1er juin et de faire baisser les dépenses publiques contribuera aussi à l’évolution du système éducatif roumain, marquée une nouvelle fois par une volonté de réforme et le sous-investissement.

[1] Emil Paun, "Roumanie. Attendre ou produire le changement?", Revue internationale d'éducation de Sèvres, n°40, 2005, pp.85-89 (citation p.86). Les arguments évoqués ici proviennent aussi de cet autre article de l’auteur: Emil Paun, "Le système éducatif roumain: les enjeux de la réforme", Revue internationale d'éducation de Sèvres, n°42, 2006, pp.154-159.
[2] Ces données et la plupart de celles citées dans la suite de l’article proviennent du chapitre consacré à l’éducation de L’annuaire statistique de la Roumanie (2008) (http://www.insse.ro/cms/files/pdf/ro/cap8.pdf ) et de La Roumanie en chiffres (2009) (http://www.insse.ro/cms/files%5Cpublicatii%5CRomania%20in%20cifre%202009.pdf). Certaines données proviennent pour leur part de l’article de Ioan Marginean cité ci-après.
[3] Ioan Marginean, "Scoala in societatea romaneasca de azi" ("L’école dans la société roumaine d’aujourd’hui") in Calitatea vietii, n°3-4, 2009, pp.298-302.
[4] Ainsi, au cours de l’année scolaire 1990-1991, il y avait 1.198 lycées, accueillant 995.689 élèves et dans lesquels travaillaient 51.731 enseignants, tandis qu’en 2007-2008 on comptabilisait 1.426 lycées, où étudient 791.348 élèves et dans lesquels professent 61.620 enseignants. Quant aux institutions d’enseignement supérieur, elles sont passées d’un total de 48 à 106 (186 à 631 facultés) et de 13.927 à 31.964 enseignants au cours de cette même période.

* Dany BOURDET est Sociologue, professeur contractuel en Sciences de l’éducation à l’université Charles-de-Gaulle de Lille (Lille 3) et auteur d’une thèse de doctorat sur Les pratiques communicationnelles médiatisées des étudiants roumains à Iasi.

Vignette: Ecole primaire (classe I à IV) et jardin d’enfant du village de Lacu rosu, dans le département de Harghita (© Dany Bourdet)