Depuis la disparition du Rideau de fer en 1989, de nombreux Tchèques ont pu s’installer à l’étranger. En conséquence, le nombre d’enfants qui grandissent à l’étranger et dont l’un ou les deux parents sont Tchèques a considérablement augmenté. Ces enfants vivent dans un milieu bilingue, mais l’apprentissage du tchèque, langue parlée uniquement par dix millions de locuteurs, n’est pas toujours facile. Depuis 2007, l’École tchèque sans frontières vient les aider.
Entretien réalisé à Paris en mai 2013 avec Lucie Slavíková-Boucher, fondatrice et directrice de l’École tchèque sans frontières de Paris. Ses efforts pour la promotion de la langue et de la culture tchèques à l’étranger ont été récompensés en 2012 par le prix Gratias Agit, décerné par le ministère tchèque des Affaires étrangères.
Comment peut-on caractériser les Tchèques qui s'installent aujourd’hui à l'étranger?
Lucie Slavíková-Boucher: Ils sont bien sûr plus nombreux qu’avant 1989. Cela dit, je parlerais plutôt des Tchèques en général qui voyagent librement et s’installent, de façon plus au moins permanente, en France (comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe ou du monde). Certains y restent, fondent des familles et, quelques années plus tard, commencent à élever des enfants dans un milieu bilingue. Un phénomène intéressant: le nombre de famille tchèques "de passage" qui arrivent dans le pays –en France en l’occurence– pour une période vraiment limitée, quelques mois par exemple –il peut s’agir d’une mission scientifique, économique, etc.– est important. Ces familles viennent nous voir à l’École tchèque et sont ravies que leurs enfants puissent la fréquenter le temps de leur séjour. Cela facilite l’organisation familialle et aide à l’intégration, même courte.
Pourquoi les parents qui vivent aujourd'hui à l'étranger souhaitent-ils que leurs enfants parlent tchèque? Y a-t-il une différence avec ceux qui sont partis avant 1989?
Je ne pense pas qu’il y ait une grande différence entre le souhait d’un parent d’origine tchèque d’apprendre la langue à son enfant aujourd’hui ou il y a quelques décennies. Des générations entières d‘immigrés d’origine tchèque ou leurs enfants se sont efforcés de transmettre la langue, la culture, les traditions. La période du communisme en Tchécoslovaquie a été, évidemment, bien spécifique. Les parents ne pouvaient pas vraiment espérer le retour au pays, la langue était donc, peut-être, un peu moins utile, elle perdait son rôle en dehors d’un cercle familial très restreint. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Les enfants naissent et grandissent quelque part mais, tout comme leurs parents qui se déplacent librement, ils savent qu’ils peuvent changer de pays, au gré par exemple des opportunités d’études et de travail. Et même s’ils naissent, par exemple, en France dans une famille mixte (bilingue) et restent y vivre, ils peuvent toujours régulièment se rendre en République tchèque, avoir un contact avec leurs grands-parents et une partie de la famille d’origine, ce qui est, à mon avis, très important. Enfin, il ne faut pas oublier que, contrairement aux familles (et aux enfants donc) tchèques ou mixtes ayant vécu derrière le Rideau de fer sans possibilité de retour, les enfants d’aujourd’hui peuvent un jour également vivre, étudier et travailler en République tchèque – et là, la connaissance de la langue sera très utile, voire indispensable.
Comment l'École tchèque sans frontières peut-elle aider les parents à transmettre aux enfants la langue et la culture tchèques?
Son rôle primordial consiste à donner la possibilité au parent tchèque, qui est dans la majorité des cas tout seul dans son cercle familial, de maintenir et développer la langue, d’offrir à son enfant une sensibilisation au tchèque dès le plus jeune âge (18 mois) et de permettre en même temps de rencontrer, lier des amitiés, échanger des expériences avec des parents qui sont dans la même situation. Cela lui permet de ne pas se sentir seul avec le difficile devoir d‘élever un enfant bilingue. Bien sûr, l’école reste très importante même après cette période initiale qui est cruciale, car l’établissement d‘une situation stable de bilinguisme familial se joue pour l’essentiel avant l’âge scolaire. La fréquentation régulière de notre école à partir du CP apporte à l’enfant, même parfaitement bilingue, une autre dimension de la langue. Elle lui offre une connaissance de la langue tchèque autre que celle "de la maison". Elle l’aide à développer son vocabulaire, lui apprend à s’exprimer de façon plus riche également par écrit, lui permet de connaître notre histoire plus en détail, facilite sa compréhension du monde dans sa globalité. La possibilité d’un regard "double" sur l’histoire et même l’actualité crée une compréhension profonde de soi-même et d’autrui. Je suis persuadée que cette vision plus large du monde élève l’enfant dans une plus grande tolérance.
Notre enseignement à Paris est proposé une fois par semaine pour chaque catégorie d’âge durant l’année scolaire; elle est complétée par un programme pendant les petites et grandes vacances scolaires comme, par exemple, des camps d’été ou stages linguistiques de courte durée.
Nous avons actuellement 70 enfants inscrits. Les plus petits (18 mois à 3 ans) ont une heure par semaine où ils apprennent la langue tchèque par l'intermédiaire des chansons, de la lecture et des arts plastiques. Pour les enfants de 3 à 6 ans, l'École tchèque propose deux heures hebdomadaires avec un enseignement qui est proche des écoles maternelles tchèques. Les enfants âgés de 6 à 15 ans suivent 4 heures de cours par semaine, où ils apprennent la langue et la littérature tchèques, ainsi que l'histoire et la géographie du pays, d'après le programme du ministère tchèque de l'Éducation nationale.
Avez-vous le soutien du ministère tchèque de l'Éducation? Quelle est sa position par rapport à l'enseignement de la langue et de la culture tchèques aux enfants vivant à l'étranger?
Il faut tout d’abord mentionner que nos écoles existent surtout grâce au financement privé des parents et sponsors, même si nous disposons maintenant d’une aide financière de l‘État tchèque.
Historiquement, le soutien est venu du ministère des Affaires étrangères, qui a établi voilà déjà presque dix ans un programme d’aide au maintien et au développement des traditions et de la langue tchèques à l’étranger, ainsi qu‘à la sauvegarde des bâtiments à caractère historique. Une aide indirecte consiste aussi en la possibilité d’utiliser des espaces appartenant à l’État tchèque, comme c’est le cas par exemple à Paris au Centre culturel. Depuis deux ans maintenant, nous recevons également une petite subvention du ministère tchèque de l'Éducation. Cette situation évolue néanmoins constamment. Grâce au réseau mondial, très développé aujourd’hui, des Écoles tchèques sans frontières et des écoles tchèques partenaires –presque une quarantaine dans le monde-, le soutien de l’enseignement de la langue tchèque aux enfants à l’étranger est de plus en plus important.
Nous avons récemment obtenu une reconnaissance de notre cursus en République tchèque, applicable à partir de la prochaine année scolaire. Il existe un nouveau projet de loi pour reconnaître à part entière nos écoles dans la loi d’enseignement public tchèque; nous le suivons de très près. Il est vrai qu’en comparaison avec d’autres pays d’Europe, nous sommes un peu en retard. Un soutien systématique de l’enseignement de la langue d’origine à l’étranger est de règle dans la majorité des États d’Europe. Et pour cause: élever des générations d’enfants à l’étranger en leur permettant de sentir leur appartenance à leur pays d’origine, de le comprendre non seulement du point de vue linguistique mais également culturel et historique est un enjeu stratégique qui nécessite des investissements de longue durée. Ces enfants "reviendront" un jour en République tchèque, y étudieront, y travailleront, établiront des collaborations scientifiques transfrontalières, etc.
Qu'en est-il des enfants des étrangers vivant en République tchèque: sont-ils plus nombreux qu'avant? Comment se passe leur intégration?
Notre pays s’est ouvert après novembre 1989 et nombreux sont donc ceux qui arrivent chez nous et y restent de façon plus au moins permanente. On voit se créer de nombreux centres d’intégration, des centres communautaires, dont le but est d’aider les étrangers à s’établir en République tchèque.
Si l’on s’intéresse uniquement à l’apprentissage de la langue, qui est cependant la porte ouverte à tout le reste, il est sans aucun doute primordial que tout immigré arrivant en République tchèque ait la possibilité d’apprendre facilement, rapidement, et surtout à faible coût, la langue tchèque. Cela permettra une intégration rapide et évitera la formation de ghettos culturels et linguistiques. On peut dire que, même dans cette situation, il s’agit de la protection et de la promotion de la langue et de la culture tchèques.
Contacts :
École tchèque sans frontières
18, rue Bonaparte 75006 Paris
Site Internet de l’ETSF: http://www.csbh.cz/pariz
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Vignette : Lucie Slavíková-Boucher.
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Après avoir expérimenté le communisme qui a réservé des fonctions spécifiques aux enfants, quelle place les sociétés centre et est-européennes leur accordent-elles aujourd’hui ? Comment nourrir leur imaginaire, quels droits leur…