Les femmes en Albanie : actrices du développement en devenir?

La situation des femmes en Albanie, dans les années de transition, a été marquée par les grands bouleversements (démographiques, économiques, politiques) qui ont touché toute la société. Dans ce contexte d’instabilité (crise politique suivant la chute des sociétés pyramidales en 1997, accueil de réfugiés du Kosovo en 1999…), la situation des femmes évolue très sensiblement, en Albanie comme dans les autres pays de l’Europe de l’Est.


La défense de leurs droits, la quête d’une certaine autonomie notamment financière, et l’émancipation en général en sont les aspects positifs. Cette évolution comporte cependant aussi de nombreuses difficultés, voire une détérioration de leur condition dans certains domaines.

Le régime communiste, au-delà de ses propres excès, a contribué à l’émancipation des femmes. La société s’est modernisée malgré tout, à défaut de se démocratiser, et la femme a acquis un statut différent: l’éradication de l’illettrisme est une priorité: en 1938, un habitant sur 20 est scolarisé - essentiellement des garçons - et entre 1970 et 1980 en moyenne une personne sur trois ou quatre. Cette période marque une réelle évolution pour les femmes. Elles ont accès à l’éducation et donc à l’emploi. Avant le changement de régime, elles participent déjà à l’économie du pays.

Les conséquences de l’émigration

Les premières années de la transition sont difficiles pour la population toute entière. L’ouverture des frontières après la fin du régime communiste a pour première conséquence la fuite massive des Albanais entraînant un premier bouleversement démographique.

En 1995 on estime le nombre des migrants à 25 % de la population active. Elle est en majorité masculine (83 % des migrants), urbaine (66 %) et jeune : 70 % ont moins de 30 ans[1]. Conséquence immédiate : le nombre de femmes se retrouvant à la tête de familles monoparentales augmente, elles sont contraintes de subvenir, autant que leurs époux, pères ou frères, aux besoins du foyer.

Autre conséquence de ce phénomène, l’émigration interne et l’augmentation du nombre de femmes dans l’enseignement supérieur. Dans un contexte général de diminution globale de la population mais d’augmentation du nombre d’étudiants - on compte presque trois fois plus d’étudiants inscrits après 2005 qu’en 1990/1991 - le nombre d’étudiantes dépasse de plus en plus largement le nombre d’étudiants: en 2007/2008, il le dépasse de 10 000 personnes, contre 1 000 en 1994/1995.

Chômage et violences conjugales : la condition féminine en question

Les femmes veulent s’insérer dans la vie active, et devenir autonomes financièrement, pourtant elles sont les premières victimes du chômage, en particulier durant les premières années de transition. En 1995 le taux de chômage des femmes atteint 14,8 % contre 11,6 % chez les hommes, essentiellement du fait de la fermeture des usines et entreprises publiques.

La tendance est certes en cours d’amélioration durant les années 1993-1996, avec l’apparition croissante de petites et moyennes entreprises. Mais bien que la dynamique de développement ait été significative depuis, les femmes sont longtemps demeurées plus touchées par le non emploi que les hommes. La situation semble s’inverser en 2007 : le taux de chômage est de 14,4 % pour les hommes et de 12,2 % pour les femmes (en 2007, la population active compte 49,3 % de femmes, contre 38,6 % en 2005).

Acteur économique, acteur social, la femme subit néanmoins une dégradation de sa condition au sein de la famille. D’après un rapport du National Committee of Women and family et de l’UNICEF (octobre 2000), la violence envers les femmes (caractérisée par la violence physique du conjoint, harcèlement et intimidations voire abus sexuels dans l’environnement professionnel, prostitution forcée), s’est accentuée durant les dix premières années de la transition. L’apparition des réseaux de prostitution en est un exemple.

Plusieurs facteurs liés à l’alcoolisme, la jalousie, la pauvreté, la structure patriarcale de la société, la dépendance économique des femmes et l’absence de lois leur proposant une véritable protection explique ce phénomène d’augmentation de la violence envers les femmes.
Les femmes qui ont un niveau plus élevé d’éducation sont plus épargnées, contrairement à celles qui ne travaillent pas et qui vivent dans les campagnes.
De plus, les femmes victimes de violence rechignent souvent à demander de l’aide car, le phénomène faisant partie de la sphère privée, elles sont le plus souvent stigmatisées par leurs familles et la société. Ce sujet était déjà tabou sous le régime communiste.
Un nombre important d’organisations a été créé dès l’année 1993[2], pour proposer des conseils ou de l’aide (hébergement, emploi) à ces femmes.

Une certaine prise de conscience au niveau des dirigeants, ainsi peut-être que les exigences en matière de respect des droits de l’homme, critère d’intégration à l’Union européenne, ont imposé de sérieux efforts au niveau législatif et gouvernemental pour la défense des droits des femmes et la reconnaissance de leurs capacités.

L’évolution en marche

D’un point de vue législatif, de nombreuses démarches sont entreprises en vue d’améliorer la condition des femmes. L’article 18 de la Constitution de 1998 stipule que « tous les citoyens sont égaux devant la loi et [que] personne ne peut être discriminé en raison de son genre, sa race, sa religion, son ethnie, sa langue, ses convictions politiques, religieuses, philosophiques, sa situation économique, éducative, ou sociale ». L’article 49 insiste sur le droit au travail pour tous. En 2004 est approuvée la loi pour la parité et l’égalité des sexes (n° 9198 en date du 01.07.2004) dont l’objectif est de défendre l’égalité des sexes face à l’emploi, l’éducation et au sein des organes de prise de décision. Cette loi résulte de la création du Comité de la femme et de la famille (Komitetit Gruaja dhe familja), institution placée sous l’autorité du Conseil des ministres et qui s’inscrit dans l’objectif plus global d’adaptation aux critères d’intégration à l’Union européenne.

La Constitution de 1998 garantit des droits politiques, économiques et sociaux égaux pour les deux sexes. Elle a entraîné la modification de l’ensemble de la législation en matière de droits des femmes et notamment l'élaboration de nouveaux textes juridiques comme le Code civil, le Code pénal, le Code du Travail. Le plus important est sans doute le Code de la Famille, élaboré en mai 2003 à partir d’une loi proposée par un collectif d’ONG luttant pour le droit des femmes. Ce code remplace toute la législation précédente relative au mariage et à la famille. L’article 7 par exemple fixe l’âge minimum du mariage pour les deux époux à 18 ans, l’article 8 stipule que les deux époux doivent être consentants.

La participation des femmes au pouvoir est aujourd’hui plus importante qu’au début de la transition en Albanie, mais leur niveau de représentation politique reste très bas. Même si la présidente du Parlement est aujourd’hui une femme (Jozefina Topalli), ce qui marque une importante évolution, seuls 14 % des députés sont des femmes (11 sur 155 députés) et les femmes ne sont présentes que dans 5 % des postes à responsabilités de ce Parlement. Par ailleurs, une seule femme siège au Conseil des ministres - Majlinda Bregu, ministre de l’Intégration européenne - qui est constitué de 18 ministres.

Les femmes sont encore peu représentées à tous les niveaux du pouvoir, y compris au sein des partis politiques et plus encore dans les campagnes. Au niveau local, leur niveau de représentation est très bas: trois femmes seulement sont maires pour 65 mairies et on trouve seulement 10 % de femmes parmi les conseillers municipaux.

Toutefois, il existe une pression croissante des groupes de femmes et de la société civile, des institutions étatiques et des organisations internationales présentes en Albanie en faveur de la promotion de l'égalité des chances. L'opinion publique prend conscience du fait que les femmes sont de dignes concurrentes face aux hommes et qu'elles sont capables de réussir. Ce sont principalement les ONG, dans le cadre de manifestations, qui luttent pour plus de droits pour les femmes et notamment pour plus de représentativité en politique, l’Albanie étant au 114ème rang mondial dans ce domaine.

Des réformes importantes en matière de droits des femmes ont été entreprises en Albanie depuis 1991 et notamment ces dernières années. Plus que des réformes c’est un changement des mentalités qui doit continuer à s’opérer progressivement pour permettre aux femmes de participer au développement du pays.

[1] Conditions économiques et émigration des élites intellectuelles en Albanie, Jean-Guillaume DITTER et Ilir GEDESHI, in CEMOTI n°23, en ligne le 1er mars 2005.
[2] National Council of Albanian Women (Këshilli kombëtar i gruas shqiptare), Albanian Coalition Against Gender Violence and Trafficking (Koalicioni shqiptar kundër dhunes gjinore dhe trafikimit), l’association Në dobi të gruas shqiptare (En faveur de la femme albanaise), etc.

* Fatime NEZIROSKI est linguiste

Vignette : Majlinda Bregu, ministre de l’Intégration européenne, source : www.mie.gov.al

244x78