Les transporteurs routiers roumains: partenaires de l’UE?

La situation des transporteurs routiers de marchandises en Roumanie a largement évolué avec l’adhésion du pays à l’Union européenne, en 2007. Quelles sont les difficultés et les opportunités de ce mode de transport dans le nouveau contexte européen ? 


Photo Liliana-Cristina GeorgescuLa politique des transports de l’UE contribue à la création d’un marché unique et à la réduction des obstacles à la libre-circulation des biens et des personnes en vue de l'ouverture des frontières. Et c’est le transport routier qui domine le trafic intra-européen de marchandises (44%). Comment cette politique a pu faire évoluer l’organisation et les pratiques des transporteurs routiers roumains? Quelles sont leurs stratégies d’adaptation dans le contexte de la crise économique?

Au niveau national, le transport routier était effectué avant 1990 en Roumanie par la Centrale du transport routier qui disposait de bases de véhicules circulant dans le périmètre de chaque département (judeţ). En outre, les filières départementales d’une Agence de collection et d’expédition des marchandises avaient le statut de maisons d’expédition, assurant le chargement des moyens de transport sur les trajets de retour et donc la couverture optimale des coûts fixes. Le transport routier international, lui, était assuré par l’entreprise de commerce extérieur ICE ROMTRANS, tandis que le transport industriel était assuré par les entreprises de production.

Les difficultés des transporteurs routiers en Roumanie après 1990

Le processus de privatisation a rapidement touché le sous-secteur du transport routier. Sont ainsi apparues de nombreuses petites et moyennes entreprises, notamment sous la forme de sociétés commerciales à responsabilité limitée. La plupart d’entre elles ont été créées immédiatement après 1989, sur la base des parcs départementaux de véhicules. Mais on constate encore aujourd’hui que ces petits opérateurs ne répondent pas aux conditions de concurrence sur le marché européen du transport routier du point de vue de la qualité des prestations (ponctualité, sécurité des transports, assurances).

Bien que le fonctionnement du transport routier soit essentiel pour le développement de l'activité commerciale, de nombreux petits opérateurs roumains ne le considèrent pas comme rentable, et le voient plutôt comme le support d'une autre activité.
En effet, en premier lieu, la majorité des opérateurs du transport routier sont d’anciens chauffeurs et ne disposent pas d’une formation dans le domaine de la gestion des affaires. Les formations professionnelles, tel le master de Logistique de l’Académie d’études économiques de Bucarest en coopération avec l'Association roumaine de logistique, sont délaissés par ces opérateurs, ce qui conduit à l’augmentation de l'insatisfaction des clients qui sont obligés de chercher des solutions alternatives dans l’UE.
En deuxième lieu, les barrières d'entrée dans ce secteur sont relativement faibles, ce qui induit une certaine inefficacité. En effet, la création d’une société commerciale à responsabilité limitée ne demande que l’assurance d’un camion et le paiement des taxes nécessaires à sa mise en circulation.
En troisième lieu, il n’existe pas, à l'échelle nationale, de maisons d’expéditions efficaces qui puissent offrir aux clients des transports sûrs.
En quatrième lieu, aucune législation ne garantit de tarif minimum, comme en France, qui permettrait de protéger le marché du dumping, alors que les frais de transport routier sont calculés par kilomètre, pratique menant à l’augmentation des prix du transport, car les véhicules ne sont souvent pas chargés à pleine capacité. Certes, le partenariat entre les entreprises Metro Romania et Karl Heinz Dietrich Romania (filière du groupe allemand) a introduit en Roumanie des tarifs par unité de charge (euro palette) pour les produits non alimentaires, mais cette méthode n'est pas encore généralisée.

Le paiement de la contre-valeur du transport routier est effectué en Roumanie dans un délai de 15 à 60 jours. Dans des conditions de forte concurrence, il est très difficile de renoncer à cette modalité de paiement. Et, pour signer un contrat, les transporteurs doivent accepter ces délais contraignants. L’impact du non respect de ces conditions par les transporteurs vis-à-vis des clients est d’autant plus important que la taille des entreprises de transports est petite, car les coûts fixes d’une entreprise de transport routier de marchandises dépassent 34% en Roumanie.

En 2006, une année avant l'adhésion du pays à l'UE existaient en Roumanie 23.000 entreprises de transport routier de marchandises, dont 22% effectuaient des transports internationaux et 6% des transports à la fois nationaux et internationaux[1].

Les transports routiers de marchandises après l’adhésion à l’UE et dans le contexte de crise économique

Après l’adhésion, en 2007, la situation a relativement changé, surtout grâce à l’amélioration des conditions d’acquisition des véhicules de marchandises: les banques commerciales et les sociétés de leasing ont présenté une offre variée et meilleure concernant les taux d’intérêt et les taux de location des véhicules.

Toutefois, l’adhésion a également créé un certains nombre de difficultés pour les transporteurs roumains. L’élimination des autorisations de transports internationaux[2] n’a pas résolu les problèmes de management des entreprises de transport (ressources humaines, efficacité, diversification des services aux clients). En outre, l’apparition sur le marché roumain de transporteurs des pays voisins, notamment des États membres, ont catalysé le départ les chauffeurs roumains qualifiés vers les marchés du travail de l’Europe de l’Ouest. De plus, le nombre des transporteurs a augmenté, imposant des prix de transport inférieurs aux coûts réels liés aux investissements récents dans des parcs de véhicules.

Dès 2009, les transports routiers de marchandises au sein de l’Union européenne ont enregistré un recul de 10% par rapport à 2008. Les plus forts reculs ont été enregistrés en Roumanie (39%), en Lettonie (34%) et en Estonie (24%) –les deux seuls pays de l’UE où le ferroviaire domine les transports de marchandises–, tandis que des ralentissements importants ont été enregistrés en Bulgarie (15%) et en Pologne (10%).

Toutefois, la crise globale n’a pas remis en cause la domination du transport routier sur les autres modes de transports européens. En baisse de 17% en 2009, le transport routier a néanmoins été, au niveau européen, quatre fois supérieur au ferroviaire. Et c’est en Roumanie que la chute la plus forte dans le transport ferroviaire a été enregistrée (50%).

La crise a mis en difficulté plusieurs PME roumaines de transport routier de marchandises, car elle a imposé une réduction du volume de marchandises à transporter. En Roumanie, comme dans d’autres pays, plusieurs entreprises ayant investi dans des systèmes logistiques performants ont dû mettre la clé sous la porte. En outre, plusieurs entreprises ont vendu leurs parcs de véhicules et ont été transformées en maisons d’expéditions bénéficiant de conditions de paiement meilleures.

Les stratégies de partenariat européen des transporteurs routiers

En Roumanie coexistent, auprès des PME, de grandes entreprises qui présentent une bonne adaptation aux conditions économiques de l’année 2011. ’expérience des entreprises roumaines qui ont résisté a mis en évidence, après 2007, l'existence des trois types de stratégie d’organisation: l'internalisation, l'externalisation et la stratégie win-win mettant en œuvre des partenariats avec des entreprises européennes de transport, pour sortir de la récession et entrer en concurrence loyale avec celles-ci.

La stratégie d'internalisation consiste à faire assurer les services de transport grâce aux moyens des entreprises de production ou de services. Des partenariats sont alors établis entre producteurs et clients. Plusieurs raisons sont susceptibles de motiver les entreprises de production: surveiller le transport et la distribution ou gagner de nouveaux segments du marché. Les producteurs roumains veulent alors créer leur nom sur le marché du transport des marchandises qui nécessitent une chaîne de transport spécifique. L’entreprise Coca-Cola Romania a adopté une telle stratégie parce que la distribution, d’une part, impose l’utilisation des véhicules de transport pour les boissons gazeuses et, d’autre part, demande un circuit complet de transport, c’est-à-dire comprenant le retour avec des emballages consignés.

La stratégie d’externalisation réside dans l’assurance des services du transport commercial pour les clients. Les partenariats sont réalisés entre production et logistique. Cette stratégie prend notamment la forme, en Roumanie, de partenariats basés sur l’achat des paquets de services logistiques. Par exemple, l’entreprise Unilever Romania a conclu de tels partenariats avec trois sociétés spécialisées: Aquila (entreposage et transport) Legazza (transport en groupage) et Centrum Romania (transport international). L’achat de certaines catégories de services de transport représente une autre forme de la stratégie d’externalisation. SC Whiteland SRL Romania assure ainsi ses besoins de transport par des partenariats avec des entreprises roumaines de transport portant notamment sur la distribution de fromages à des grossistes ou à des marchands de détail.

La stratégie win-win est menée soit par des entreprises de production qui possèdent des moyens de transport, soit par des entreprises de logistique qui ont une clientèle nombreuse. Elle consiste, pour des entreprises dont les véhicules reviennent sans chargement, à signer des partenariats avec des entreprises de logistique pour les trajets retour. Une telle décision a été prise par l’entreprise de confections textiles Secuiana de Tîrgu Secuiesc, qui a signé jusqu’en 2004 des partenariats avec des entreprises de transport de l’Europe de l’Ouest.

Ces différentes stratégies, dans un contexte de crise, concourent chacune à leur manière à l’amélioration de l'environnement des entreprises du domaine du transport routier européen de marchandises. Dans ce contexte, les transporteurs roumains pourraient devenir des partenaires des transporteurs européens, lié à des maisons d’expédition de taille européenne.

Notes :
[1] Ces entreprises utilisaient un parc de véhicules dont 50% avaient moins de 3,5 tonnes, 32% étaient des véhicules spécialisés et 7% des tracteurs.
[2] Il s’agit des taxes qui autorisaient des véhicules extracommunautaires à circuler au sein de l’UE.

Sources: Revues Tranzit et Cargo (2000-2010, Bucarest); S.Iftime, «Contributions à l’amélioration de services de transports commerciaux dans l’économie roumaine», thèse de doctorat, soutenue à l’Académie d’Études économiques de Bucarest en 2006, sous la direction du Prof. D.Patriche.

Traduction du roumain réalisée par les étudiantes de 1ère année du master en Linguistique appliquée, Université d’État de Moldova, Chişinău, République de Moldova: Lucia Coscodan, Corina Cvasniuc, Natalia Malahovscaia et Tatiana Prodan.

Cliquer ici pour accéder à la version originale en langue roumaine

Vignette : Liliana-Cristina Georgescu.

* Liliana-Cristina GEORGESCU est professeur d’économie de la servuction au Collège économique Ion Ghica (Targoviste, Roumanie), co-créatrice d’une entreprise de transport routier de marchandise dès 1990.
** Silvia IFTIME est chargée de cours (Logistique commerciale, Transport, Assurances, Management commercial) à l’Université ARTIFEX de Bucarest.

 

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