Les transports en mer Noire : vers une nouvelle interface entre UE et CEI

Les bouleversements politiques en Europe centrale du début des années 1990 ont eu pour effet de conférer à cette région une situation géopolitique essentielle dans l’Europe de demain. Et la mer Noire est désormais un point de passage privilégié pour les échanges.


Un trafic dense limité par les détroits

La mer Noire se caractérise aujourd’hui par son intérêt en terme de transport maritime et son nouveau positionnement dans l’espace de l’Union Européenne. Les trafics commerciaux, rendus volatils par les déséquilibres régionaux devraient devenir à la fois plus fluides et plus constants. Aujourd’hui, cette mer est, de fait, la route privilégiée des hydrocarbures russes, kazakhs et azerbaïdjanais dont les exportations ne cessent d’augmenter. Le trafic total des ports russes était de 198 millions de tonnes en 1998, dominé par celui de Novorossisk (45 millions de tonnes).

Cette mer semi-fermée, est une « annexe » de la Méditerranée avec laquelle elle communique par les détroits du Bosphore et des Dardanelles. Ceux-ci constituent une voie internationale dont le trafic va croissant. La Turquie a pris des mesures en 1998 pour le limiter, en menaçant, par exemple, de multiplier par cinq les tarifs de transit et en interdisant le passage de navires sans double coque.

Plutôt que d’un trafic, il conviendrait de parler de plusieurs trafics qui interfèrent. Au transit international, il faut ajouter le cabotage, la desserte du port d’Istanbul et aussi la traversée des détroits. Le transit de marchandises est, pour sa part, de plus en plus dense. Son augmentation notable et son changement de nature dus à la part grandissante des pétroliers et des méthaniers, en fait une réelle source de menaces pour les riverains.

L’interdiction du passage de supertankers dont la capacité excède 150 000 tonnes dans les détroits du Bosphore constitue un facteur supplémentaire limitant les exportations d’hydrocarbures. C’est l’une des raisons pour lesquelles le système de feedering[1] tient aujourd’hui une grande place en mer Noire. Les ports de la Méditerranée jouent un rôle de plus en plus important dans les avant-pays. Ils ferment l’horizon des ports de la mer Noire. Mais l’exportation de matières premières (pétrole, charbon et minerais), principalement en provenance de Russie, échappe à cette évolution et confirme l’importance de la mer Noire pour les échanges de la Russie et de l’Asie centrale vers l’Europe.

Un espace en et de transition

La mise en place des réseaux de transport trans-européens[2] renforce la vocation transitaire de cette mer entre l’UE et la CEI. Les ports inclus dans ces réseaux ou à proximité se trouvent, de fait, favorisés. A la charnière des chemins entre l’Europe et l’Asie, le port roumain de Constanza apparaît ainsi comme l’élément clef de la façade occidentale de la mer Noire. De plus, ne se trouvant qu’à quatre écluses de Budapest, sur le Danube, il pourrait capter dans les années à venir, les marchandises d’Europe Centrale, qui vont actuellement vers Rotterdam. Sans doute faudra-t-il, au préalable, régler les problèmes de navigation sur le grand fleuve. Ce port est également en étroite relation avec celui de Novorossisk qui évacue le pétrole russe vers l’Europe. Outre la vocation russe, renforcée par la construction de tubes reliant désormais Novorossisk à Bakou et au Kazakhstan, l’Ukraine se positionne également. Ses deux ports principaux, Odessa et Ilyichevsk ont connu une croissance de 30 % de leur activité en 2004. Un frein, toutefois, et de taille, à cette expansion : les infrastructures portuaires de l’Ukraine accusent un retard inquiétant.

Les ports géorgiens de Batoumi, Poti, Supsa et bientôt Koulevi connaissent, quant à eux, un redressement de leurs activités plus lent que les autres ports régionaux. De nouveaux terminaux sont prévus afin d’augmenter l’exportation du pétrole de la Caspienne et d’Asie centrale. L’indépendance des républiques du Caucase, ainsi que le Kazakhstan et le Turkménistan bordant la Caspienne, qui développent leur propre politique d’exploitation et d’exportation de leurs hydrocarbures, joue aussi dans le sens d’une intensification sensible du trafic.

Côté turc, les ports n’ont pas attendu la réorganisation de cette zone pour se développer et se positionner comme interface entre l’Europe continentale et l’océan mondial.
Par ailleurs, l’accroissement du trafic maritime et sa diversification sont prévisibles, en raison d’abord du début d’intégration économique régionale, en Mer Noire, visant un développement d’échanges commerciaux encore embryonnaires. En outre, il faut mentionner l’ouverture de la voie Main-Danube qui a déjà commencé à entraîner un développement du trafic fluvial.

Alors que la mer Baltique s’affirme comme une porte nord-est de l’Europe, la mer Noire peut devenir une porte sud-est. Si à la fin des années 80, la région de la mer Noire s’ordonnait autour d’une césure Nord/Sud qui opposait l’ensemble soviétique à la Turquie, aujourd’hui les axes d’orientation ont changé : la césure contemporaine s’ordonne sur une ligne est-ouest, marquant la frontière extérieure de l’UE. C’est ainsi que l’UE, par sa géographie mouvante est partie prenante dans la région de la mer Noire. Depuis toujours, les circulations méridiennes sont prépondérantes en Europe alors que l’élargissement semble mettre en place un contrepoids à cette situation, notamment en mer Noire, en renforçant les possibilités de flux longitudinaux.

[1] Les trafics de feedering permettent, au niveau d'un port dit " hub ", d'acheminer les marchandises conteneurisées récupérées auprès d'un navire " mère " vers des ports secondaires ou, à l'inverse, d'alimenter en conteneurs ces mêmes navires " mères " qui ne peuvent pas se rendre dans des ports secondaires
[2] Afin de garantir une infrastructure de transports performante et assurer le fonctionnement du marché intérieur, le traité de Maastricht stipule la réalisation du réseau de transports transeuropéens (RTE). L’objectif de ces réseaux est la création au sein de l’Union d’ici à 2010 d’un réseau de transport intégré. Les RTE couvrent 70 000 kilomètres de routes et de rails, 20 000 kilomètres de voies de navigation fluviale intérieures et 300 aéroports.

* Docteur en géographie de l'université du Havre
Photo : Rives turques / Célia Chauffour