Depuis le processus d'indépendance enclenché dès le début de la décennie, les républiques baltes ont entrepris un rapprochement vers l'Union européenne. L'Estonie, la Lettonie et la Lituanie se sont ainsi portées candidates pour l'adhésion à l'Union européenne afin de rompre avec un voisin russe encore trop présent par son héritage communiste, espérant ainsi intégrer une identité européenne prospère et pleine d'avenir.
L'Estonie, le partenaire privilégié
Entamé dès le 15 novembre 1995 avec l'adoption de l'accord d'association entre l'Union et l'Estonie, le processus de négociations aboutissant à l'intégration est devenu une priorité. Décidée à rejoindre au plus vite l'Union européenne, l'Estonie s'est démarquée de ses voisins baltes en obtenant l'accord du Conseil européen de Luxembourg (13 décembre 1997) pour faire partie de la première vague de pays qui intégreront le marché commun.
Dynamisée par des résultats économiques encourageant, l'Estonie espère se présenter au sommet européen d'Helsinki (10 et 11 décembre 1999) appuyée favorablement par le "rapport d'étape" du mois de novembre 1999 de la Commission, qui rend compte de l'état d'avancement des pays engagés dans la première vague d'intégration.
Contrairement à la position française représentée par le ministre des Affaires européennes Pierre Moscovici, qui revendique une égalité concernant l'ouverture de négociations avec tous les pays candidats à l'adhésion, il semblerait que ce sommet voit se profiler trois groupes de candidats distincts avec, d'une part, les pays de la première vague (Pologne, République tchèque, Hongrie, Slovénie, Estonie et Chypre), d'autre part, un petit nombre de pays qui seraient admis à de nouvelles négociations (Bulgarie, Roumanie, Slovaquie, Lettonie, Lituanie) et enfin un troisième groupe qui regrouperait les autres pays dont la Turquie. L'Estonie doit donc faire figure de candidat parfait pour affirmer son statut dans la première vague d'élargissement et devenir ainsi un modèle voire un moteur de l'intégration balte pour la Lettonie et la Lituanie.
C'est en effet l'enjeu majeur de l'Estonie que de "réussir" son intégration à l'Union pour les autres républiques baltes. Celle-ci s'est en effet dégagée de ses concurrents par sa volonté permanente de répondre au dialogue européen par des résultats concrets. L'économie estonienne est en net progrès: augmentation de la production et des échanges avec l'Union européenne avec une croissance de 11 % en 1997, contre 6 % pour la Lettonie et la Lituanie. Mais, c'est sa stabilité politique et sa situation géopolitique qui en font un partenaire idéal pour l'Europe. En effet, l'Estonie se situe à un important carrefour stratégique économique et commercial entre la Finlande, la région de Saint-Pétersbourg et son voisin balte la Lettonie.
D'autre part, l'Estonie met en avant sa capacité à pouvoir répondre aux exigences européennes. Concernant l'Union économique et monétaire, l'Estonie se dit en mesure d'assimiler tout l'acquis communautaire, de participer à la monnaie unique après son adhésion à l'UE, de prendre part au mécanisme de taux de change du système monétaire européen et de remplir tous les critères de convergence. De plus, en matière de politique sociale et de l'emploi, l'Estonie a réalisé des efforts importants en matière d'harmonisation de la législation du travail.
Une volonté lettone renforcée
Contrairement à son voisin balte, la Lettonie n'a pas été retenue dans la première vague d'adhésion à l'Union européenne malgré un processus engagé, comme l'Estonie, en 1995 avec l'accord européen d'association dont la première réunion s'est tenue en février 1998. Cet accord a établi les bases du "screening" (criblage) de l'état communautaire visant à préparer l'intégration de la Lettonie sur le plan politique et économique. Il s'agit de mesures portant sur les réformes économiques et la modernisation des institutions démocratiques mais aussi la participation à plusieurs programmes communautaires ainsi que le développement de la coopération régionale notamment avec la Russie. La Lettonie a réalisé de nombreux efforts pour faire face aux exigences européennes.
Ayant touché, depuis 1991, plus de cent soixante millions d'écus dans le cadre des programmes TACIS et PHARE, la Lettonie a ainsi obtenu les faveurs de l'Union européenne en février 1999 dans la réalisation de la première phase du "screening" de l'acquis communautaire qui concerne l'harmonisation de la législation nationale avec celle de l'Union européenne. La deuxième phase du "screening" comporte pour sa part le douloureux problème de la question de la citoyenneté concernant la minorité russophone du territoire letton.
Il s'agissait de l'une des raisons majeures du refus de l'Union concernant l'intégration de la Lettonie car cette minorité russe, composant plus de 30 % de la population lettone, a été mise à l'écart par le gouvernement qui lui refusait tout accès à la nationalité. Cependant, un grand pas a été franchi avec l'adoption par la Saeima (parlement letton), le 3 octobre 1998, de modifications concernant la loi sur la citoyenneté qui facilite les procédures d'acquisitions de la nationalité lettone pour l'importante minorité russe du pays. Outre d'importants progrès réalisés sur le plan économique -croissance de 6 % en 1997, augmentation de la part des exportations (52 %) et des importations (54 %) vers l'Union européenne en 1998- la Lettonie a également affiché des résultats remarquables dans l'accomplissement des critères de Copenhague, progrès lui garantissant pour la fin de l'année 1999 son intégration au premier groupe des candidats à l'UE.
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Enfin, la réforme du système des tribunaux, la résolution sur la législation des réfugiés ainsi que l'amélioration du contrôle des frontières sont autant de mesures qui ont été accueillies favorablement par la Commission. Celle-ci a ainsi été convaincue que ces progrès pourront aboutir à une société lettone intégrée, stable et prospère. La Commission européenne a ainsi recommandé que le conseil européen d'Helsinki puisse statuer pour entamer les négociations d'adhésion avec la Lettonie, dès le mois de décembre 1999, estimant que cette dernière, à la différence des quelques pays candidats, a accompli toutes les conditions pour pouvoir entamer des négociations immédiates.
La Lituanie et le problème nucléaire
La plus grande des trois Républiques baltes est pour l'instant dans une situation incertaine concernant son adhésion à l'Union européenne. Développant comme la Lettonie et l'Estonie son rapprochement européen depuis l'entrée en vigueur de l'accord européen le 1er février 1998, la Lituanie a cependant ramené les ex-communistes du LDDP (Parti démocratique du travail) au pouvoir en 1992 après les avoir désavoués au lendemain de l'indépendance. Depuis, les réformes économiques trop timides n'ont pas obtenu de résultats suffisants et ont retardé l'intégration européenne pourtant indispensable.
En effet, si les résultats économiques font entrevoir de nets progrès depuis l'indépendance, la Commission européenne exige, que des efforts supplémentaires soient accomplis sur le plan politique. Car si, comme chez ses deux voisins, la question des minorités ne se pose pas en Lituanie, la Commission estime que de nombreux problèmes sont encore à résoudre concernant la lutte contre la corruption et le crime organisé ainsi que la réforme de l'administration et du système judiciaire dont l'harmonisation avec le modèle communautaire est encore en cours de réalisation. En fait, le gouvernement lituanien estime que son adhésion à l'Union ne pourra pas s'effectuer avant 2005, aussi bien à cause du problème posé par la centrale nucléaire d'Ignalina que par les réformes économiques à poursuivre, notamment au niveau agricole.
Bénéficiant d'un héritage industriel datant de l'époque soviétique, la Lituanie reste cependant un pays doté d'une agriculture très présente, qui n'a pas encore accompli un développement conforme aux normes européennes prévues par le processus de "screening". La Commission estime, en effet, que la priorité doit concerner le développement des investissements agricoles lituaniens. De plus, la Lituanie doit, selon la Commission, effectuer une restructuration substantielle du secteur des entreprises afin de le rendre plus efficace face à la pression concurrentielle et faciliter à moyen terme une modernisation encore inachevée.
Cependant, la Lituanie travaille activement à mettre en pratique la stratégie de pré-adhésion pour suivre la voie de l'intégration tout comme ses voisins baltes. Celle-ci est bien sûr soutenue par le programme PHARE, qui consiste à fournir une aide financière aux pays candidats à l'adhésion (53 millions d'écus versés rien que pour l'année 1996 à la Lituanie).
Quel avenir pour les trois pays?
L'Estonie représente un rôle moteur pour l'intégration des pays baltes aux yeux de l'Union européenne. Néanmoins, les progrès à réaliser au cours de la phase de pré-adhésion sont très spécifiques pour chacun des trois pays qui considèrent que l'adhésion ne peut être réalisée que sur les seules performances individuelles des candidats. Le sommet européen d'Helsinki, qui se tiendra les 10 et 11 décembre 1999, sera sans aucun doute un tournant important dans l'évolution des négociations estonienne, lituanienne et lettone afin de définir clairement une date d'intégration effective.