Lituanie : la diplomatie de Vilnius au sein de l’OSCE

En 2021, la Lituanie a commémoré les trente ans de son appartenance à l’Organisation pour la sécurité́ et la coopération en Europe (OSCE), première organisation internationale qu’elle a intégrée à la suite de la restauration de son indépendance. En trois décennies, Vilnius y a développé une politique étrangère conforme, notamment, à sa perception des menaces russes et bélarusses.


Palais présidentiel, Vilnius, janvier 2022 (photo de l’auteure).Un outil pour le retrait des troupes russes de Lituanie

En 1991, la Lituanie recouvre officiellement son indépendance, et sa reconstruction en tant que nation passe par l’adoption d’une politique étrangère autonome. L’un de ses premiers accomplissements est son intégration à la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), perçue comme la principale instance sécuritaire au sortir de la Guerre froide. Peu de temps après, la Lituanie fait appel à la CSCE pour régler la question du départ des troupes militaires russes de son territoire, et ce malgré l'engagement préalable des deux parties à mener des négociations bilatérales : la multilatéralisation du sujet permet d’obtenir des garanties écrites de la part de la Russie, qui s’engage à effectuer un « retrait rapide, bien organisé et complet » dans un document édicté à Helsinki en 1992(1). Au début des années 1990, la CSCE apparaît donc comme une plateforme à partir de laquelle Vilnius peut exprimer ses revendications pour parvenir à un résultat significatif.

2011 : la présidence de l’OSCE et la montée de l’influence de la Lituanie

Le but majeur de la politique étrangère de la Lituanie est alors d’intégrer les instances euro-atlantiques, objectif atteint en 2004. Dépourvue de perspectives internationales d’envergure, la Lituanie cherche rapidement à obtenir la présidence de l’OSCE pour accroître son influence sur la scène mondiale. Elle exprime pour la première fois l’idée de diriger l’OSCE en avril 2003, avant d’en déclarer formellement l’intention le 7 juillet 2004. En 2007, elle apprend qu’elle prendra cette présidence en 2011, ce qui constitue « un succès pour la politique étrangère d’un petit État »(2). Présenté le 13 janvier 2011, le programme officiel de la présidence est principalement focalisé sur la stabilisation de son environnement régional, jugé menacé par la Russie : la présidence de l’OSCE apparaît donc comme une vitrine de la politique étrangère lituanienne transposée à une échelle élargie. Par exemple, la date choisie pour le discours d’ouverture de la présidence est le 13 janvier 2011, écho symbolique à la commémoration des 20 ans de l’attaque de la tour de télévision de Vilnius par les troupes soviétiques. Dans sa déclaration, le ministre lituanien des Affaires étrangères, Audrionus Ažubalis, met en exergue la défense des droits du peuple lituanien contre l’Union soviétique, avant de généraliser son propos sur le respect des droits de l’Homme(3).

Par ailleurs, le leadership de la Lituanie à l’OSCE a démontré qu’elle était capable de s’ouvrir à de nouvelles perspectives dans sa politique extérieure : ainsi, en 2013 c’est en toute légitimité qu’elle prend la présidence de l’Union européenne puis, de 2014 à 2015 qu’elle obtient un siège de membre non-permanent au Conseil de sécurité́ des Nations Unies (CSNU).

Leader régional de la résolution des conflits gelés, de la démocratisation et de la prévention des guerres

Préoccupée par son environnement sécuritaire, la Lituanie a donc tendance à utiliser l’OSCE de façon à multilatéraliser les menaces qu’elle perçoit. C’est ainsi qu’elle cherche à travers cette organisation à apparaître comme le leader régional de la résolution des conflits gelés, mais aussi comme le pays qui, sur le territoire européen, promeut la démocratie et le respect des droits de l’Homme. Pour cela, elle s’appuie sur sa propre histoire de pays devenu démocratique peu après son indépendance. Il s’agit de partager son expérience et de contribuer à la mise en œuvre de systèmes politiques stables et démocratiques dans son environnement frontalier et au-delà, afin de contribuer à la sécurité́ européenne sur le long terme.

Dès le début des années 2000, Vilnius dit percevoir la Russie comme une menace, notamment pour la Géorgie et la Moldavie. Dans leurs discours à l’OSCE, les représentants lituaniens dénoncent les actions du Kremlin, qui ne respectent pas l’esprit d’Helsinki (souveraineté et intégrité territoriale). La Lituanie soutient alors le processus en faveur de l’intégration euro-atlantique de ces deux pays, l’objectif étant ainsi de favoriser leur mouvement visant à s’extraire de l’influence russe. Son intérêt pour Tbilissi en particulier est renforcé par son action au sein du groupe des amis de la Géorgie créé à l’OSCE(4). Son engagement en faveur de l’Ukraine est également très significatif, surtout après les événements de 2014 : la Lituanie ne se contente pas de condamner l’annexion de la Crimée au Conseil permanent de l’OSCE, elle participe également financièrement à la mise en place du Projet de dialogue national de l’OSCE en Ukraine, qui a pour objectif de faciliter les échanges entre les différentes parties de la société́ afin de lancer un processus de transition. Le 1er septembre 2014, le diplomate lituanien Vaidotas Verba est même nommé au poste de Coordinateur des projets de l’OSCE en Ukraine. L’engagement de Vilnius en faveur de la résolution des conflits gelés se décompose ainsi en plusieurs actions : discours rappelant la violation des principes d’Helsinki et invitant la Russie à remplir ses engagements, envoi de personnels dans les missions de l’OSCE et, enfin, transferts de fonds pour la réalisation de ces dernières.

La pacification de l’environnement régional lituanien passe aussi par la démocratisation et le respect des droits de l’homme dans les pays frontaliers de la Lituanie, à savoir le Bélarus et la Russie. Vilnius est tout particulièrement impliqué dans la mise en place d’une transition démocratique au Bélarus sous l’égide de l’OSCE, notamment depuis la réélection controversée d’Aliaksandr Loukachenka en août 2020 : depuis, la Lituanie est devenue la porte-parole de l’opposition démocratique bélarusse. Ce rôle lui permet de faire régulièrement appel à la communauté internationale à travers l’OSCE pour trouver une solution, qui consisterait à favoriser des négociations entre les autorités bélarusses et l’opposition démocratique, afin d’organiser une nouvelle élection sous l’égide de l’OSCE. Dans le même temps, la Lituanie condamne régulièrement à l’OSCE les violations des droits de l’homme ainsi que les atteintes aux opposants politiques en Russie.

La Lituanie consacre aussi une part importante de son travail à l’OSCE à la prévention des conflits complexifiés par l’apparition de menaces hybrides. Jusqu’en février 2022, l’éloignement des risques de conflit conventionnel s’est traduit par le renforcement de la confiance et de la transparence entre États concernant leurs niveaux d’armements et la notification de leurs exercices militaires. À ce titre, la Lituanie a ratifié le traité Ciel ouvert (TCO) en 2004 et a contribué à la dernière révision, en 2011, du Document de Vienne qui instaure des mesures de sécurité et de confiance(5). La Lituanie a complété son action en faveur de la prévention des conflits en se consacrant à l’inscription des menaces hybrides à l’agenda de l’OSCE. La sécurité des journalistes, la désinformation, la cybersécurité ainsi que la sécurité énergétique ont figuré à l’agenda de sa présidence en 2011, et bénéficient depuis d’un engagement constant de la Lituanie. La Lituanie a même proposé en 2011 de créer une Task Force de l’OSCE sur la sécurité énergétique (celle-ci ne s’est toutefois pas concrétisée), ainsi qu’un groupe informel de travail chargé d’élaborer des mesures de confiance pour le cyberespace dans un contexte d’augmentation des cyberattaques, notamment contre des infrastructures critiques géorgiennes et ukrainiennes. De plus, en 2018, la Lituanie a créé, conjointement avec la France et la Suède, le groupe informel des amis de l’OSCE sur la sécurité des journalistes.

Les limites de l’OSCE pour assurer la sécurité régionale de la Lituanie

L’action de la Lituanie au sein de l’OSCE doit tout de même être relativisée, en regard de l’influence qu’ont l’OTAN et l’UE dans la politique étrangère de Vilnius. Le premier signe de cette relégation de l’OSCE au rang secondaire des organisations internationales utilisées par Vilnius est l’absence de représentation permanente lituanienne spécifiquement dédiée à l’OSCE. La faible influence de l’Organisation, comparativement à celles de l’OTAN et de l’UE, peut être étayée par trois éléments : premièrement, à l’issue de la Guerre froide et malgré son institutionnalisation en 1995, l’OSCE a perdu de l’influence, tandis que certaines de ses prérogatives sont désormais concurrencées par celles de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne. Deuxièmement, le principe de prise de décision à l’unanimité obère les chances d’obtenir un consensus, surtout lorsque les États membres affichent des conceptions différentes de la sécurité dues à leur culture et leur histoire : la présence de la Russie est évidemment particulièrement symptomatique de ce phénomène. Troisièmement, l’OSCE est une organisation internationale de sécurité douce puisqu’elle n’a pas recours à l’usage de la force militaire ; or, la Lituanie recherche des garanties militaires pour faire face à la Russie et au Bélarus. En cela, l’OTAN demeure son meilleur bouclier.

Notes :

(1) Marie-Aude Cochez, Riina Kionka, « La politique étrangère des États baltes », Politique étrangère, 1994, p. 93.

(2) Tomas Janeliunas, « The Lithuanian OSCE Chairmanship: Lessons and Dilemmas », Lithuanian Annual Strategic Review, novembre 2012, pp. 59-86.

(3) Walter Kemp, Rytis Paulauskas, « Adapt or Die: “Smart Power”, Adaptive Leadership, the Lithuanian Chairmanship and the Evolution of the OSCE », IFSH, OSCE Yearbook 2012, 2013, pp. 25-41.

(4) Les membres du groupe des amis de la Géorgie de l’OSCE sont la Bulgarie, le Canada, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, la Pologne, la Roumanie, la Suède, l’Ukraine, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique.

(5) Le Traité ciel ouvert met en place des vols de surveillance non armés au-dessus des territoires des États-parties. Les États-Unis s’en sont retirés en 2020, suivis de la Russie en 2021.

 

Vignette : Palais présidentiel, Vilnius, janvier 2022 (photo de l’auteure).

 

* Cyrielle Guilbaud est récemment diplômée d’un master en Géostratégie défense et sécurité internationale.

Lien vers la version anglaise de l'article.

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