Les exportations d’armes en provenance des pays post-communistes ne sont pas les principales sources d’armement pour les pays de l'espace méditerranéen. Cependant, le Printemps arabe a amené de nouvelles forces politiques dans la région. De nouveaux risques sécuritaires et géopolitiques sont en train d’apparaître et un contrôle efficace du commerce des armes permettrait d’y éviter de nouveaux conflits.
Depuis les années 2000, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) a travaillé à un meilleur contrôle du commerce légal et illégal des armes légères et de petit calibre. Bien que d’autres pays membres de l’Organisation soient de plus grand exportateurs d’armes, les pays d’Europe centrale et orientale sont parties prenantes de ce commerce[1]. En temps que fournisseurs de certains des pays du Partenariat Méditerranéen de l'OSCE, ces pays se doivent de soutenir un contrôle accru en rendant publics les rapports des ventes effectuées[2].
La lutte de l’OSCE contre la prolifération des armes
La chute de l’URSS et la dislocation violente de la Yougoslavie dans les années 1990 ont induit l’exportation irréfléchie et l'exfiltration illégale d’armes légères vers d'autres régions d'Europe et du monde. En 2000, le « Document de l’OSCE sur les armes légères et de petit calibre » propose à chaque État membre d’apposer des marques d’identification sur toute arme légère produite, en circulation sur le territoire de l’OSCE et produites sous licence dans les pays hors-OSCE, après le 30 juin 2001. Les États membres de l’OSCE peuvent exporter des armes et/ou vendre des licences de production à la condition que le pays destinataire respecte les droits de l’homme et que la présence d’armes ne mette pas en danger la stabilité et la paix dans sa région.
Les signataires doivent s’engager à conserver les informations liées à ce commerce le plus longtemps possible et à développer des systèmes de contrôle de la vente et de la production d’armes sur leurs territoires. Ils s’engagent à partager chaque année, au sein de l'OSCE, leurs données sur les exportations, importations, destructions de surplus et saisies sur leurs territoires, ainsi que leurs renseignements sur les criminels impliqués dans le trafic d’armes, à travers des organisations comme INTERPOL et EUROPOL. Tous les signataires doivent travailler à la récupération et à la destruction des armes lors de négociations de paix entre deux belligérants[3].
Cependant, le document n’est pas politiquement contraignant: aucune sanction n'est applicable en cas de violation. De plus, certains États membres de l'OSCE sont en désaccord sur la définition de certaines décisions. Plusieurs pays post-communistes, tels que la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, continuent à produire des armes automatiques en utilisant des licences délivrées par l'URSS, expirées depuis des années[4]. La Fédération de Russie souhaiterait que ces pays cessent leur activité, en accord avec le document de l’OSCE qui propose de stopper la prolifération des armes légères. C'est un casse-tête juridique. D'une part, la Russie ne se présente pas comme l’héritière de jure de l'URSS. D'autre part, l’OSCE est dépendante de ses États membres, et ne peut donc prendre de décision sur la validité des licences de production lors de la disparition de leur État émetteur[5].
Et même si les armes se dotent de numéros d'immatriculation, l'initiative de l'OSCE ne peut faire effet immédiatement. Une arme bien entretenue peut fonctionner 60 ans, voire plus[6]. Il faudrait donc attendre jusqu’à 2061, au plus tôt, pour que les armes antérieures à 2001 commencent à ne plus être utilisables ni utilisées. Le rôle de l’OSCE dans le contrôle des armes légères et de petit calibre dépend aussi du contexte international, comme la guerre contre le terrorisme ou encore des nouvelles menaces contre l’aviation civile. Entre 2003 et 2006, les États membres ont ainsi introduit dans le «Document sur les Armes légères et de petit calibre» des clauses sur le contrôle des armes antiaériennes portatives[7]. En 2005, les États-Unis ont aidés la Hongrie à détruire 1540 missiles portatifs[8].
Les pays d’Europe centrale et orientale dans le commerce et le contrôle de la prolifération des armes
Comme d'autres membres de l'OSCE, les pays d’Europe centrale et orientale sont des acteurs importants du commerce légal des armes à feu. Mais les échanges restent difficilement quantifiables. Si des registres existent, tels que le « Registre de l’ONU pour les Armes Conventionnelles » ou les échanges d’information dans le cadre de l'OSCE, ils ne dévoilent que le commerce que les États souhaitent révéler. Il est donc difficile de connaître la valeur réelle des échanges militaires entre ces pays et l'espace méditerranéen, par exemple.
Ces registres fournissent néanmoins quelques indications sur l’origine et la destination des armes. De tous les partenaires de l’OSCE en Méditerranée, l’Égypte, Israël et l’Algérie sont les principaux clients des pays d’Europe centrale et orientale. Depuis 2001, ils ont acheté 27 000 armes légères[9]. Ces armes sont censées avoir des marques d’identification qui leur permettraient d’être identifiées si elles étaient égarées lors d’un conflit dans la région.
De tous les pays post-communistes exportateurs, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie publient régulièrement leurs données sur leurs ventes et achats d’armes à l’étranger dans le « Registre de l’ONU des armes Conventionnelles ». Entre 2006 et 2009, la Pologne a vendu 10 522 pistolets à l’État d’Israël. La Hongrie n’a pas fourni d’armes au pays du partenariat. Les ventes de la Slovaquie dans la région méditerranéenne entre 2006 et 2010 n’ont pas dépassées 6 exemplaires d’armes, malgré un total de vente de 69 293 armes par les exportateurs Slovaques dans le reste du Monde. Entre 2002 et 2008, la République Tchèque a livré 17 315 pistolets à l’Égypte, 600 pistolets à la Tunisie, 350 pistolets à la Syrie, 140 pistolets à Israël et un mortier à la Jordanie. La Roumanie et l’Ukraine n’ont pas déclaré de ventes d'armes spécifiques aux pays du Partenariat. Selon les transactions totales communiquées de 2001 à 2010, la première a vendu 819 088 armes à travers le monde, et la deuxième 1 087 241. Entre 2008 et 2010, la Bulgarie a exporté 142 045 armes à travers le monde, dont seulement 14 exemplaires à Israël en 2008. Le Bélarus communique à l’OSCE les données de ses échanges, mais pas à l'ONU. Ses ventes d’armes ne sont pas à destination des pays du Partenariat Méditerranéen. Cependant, selon le « Stockholm International Peace Research Institute », la Biélorussie a fait une vente de 300 missiles SOL-AIR portables à la Syrie en 2003[10]. Ni l'ONU ni l'OSCE n'auraient les moyens de sanctionner cette vente si elle était avérée. Enfin, la Moldavie communique ses importations, mais pas ses exportations d’armes, laissant les observateurs étrangers dans le flou.
Futurs projets pour l’OSCE
D'autres outils de contrôle sont en cours de négociation. En mars 2007, un document sur le contrôle des États sur le fret aérien a été discuté. Beaucoup d'entreprises de fret utilisent des sociétés-écrans, ce qui rend difficile la supervision de leurs destinations. Elles ont été utilisées par des trafiquants d’armes comme le Russe Viktor Bout, arrêté en 2008 en Thaïlande par INTERPOL[11]. Les entreprises dénoncent l’application de ce document qui causerait des complications inutiles dans le chargement de leurs cargaisons[12]. Là où l’OSCE montre ses limites, les États peuvent exercer un contrôle, à l'exemple de l'Ukraine qui a introduit une liste restreinte de personnel qualifié et de compagnies de fret aérien pouvant transporter des armes légères et de petit calibre. Selon cette législation, chaque vol ne peut transporter plus de 3 000 kg de matériel militaire.
Au sein de l'OSCE, des efforts ont été faits pour superviser les échanges d'armes en provenance de l'espace post-communiste à destination des pays du Partenariat Méditerranéen. Il faudrait néanmoins plus que de la simple bonne volonté d’États pour garantir que les armes produites dans la région ne puissent déstabiliser encore plus l'espace méditerranéen.
Notes :
[1] Entre 2001 et 2008, les six principaux exportateurs d’armes légères et de petit calibres dans l’OSCE étaient les États-Unis, l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et la Fédération de Russie. Cf. site Web de Small Arms Survey [date de consultation : 22 Mai 2012].
http://www.smallarmssurvey.org/fileadmin/docs/H-Research_Notes/SAS-Research-Note-11.pdf
[2] Dans l'espace méditerrannéen, l'OSCE compte six partenaires: le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Égypte, Israël et la Jordanie.
[3] « OSCE document on Small Arms and Light Weapons » [date de consultation : 12 avril 2012]: http://www.osce.org/fsc/20783
[4] Sur cette question, voir : Jean-Charles Antoine, « Le trafic d’armes légères en Europe de l’Est 1/3, les origines », Regard sur l’Est, 15 janvier 2012 : http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=1280
[5] Document de l’OSCE (accès restreint), “Foreign Manufacturers of SALW based on Kalashnikov Assault Rifle and Dragunov Sniper Rifle, reference paper prepared by Izhmash Corporation, Russian Federation”.
[6] Raphaëlle Besse Desmoulières, « Combien d'armes à feu circulent en France ? », lemonde.fr, 2 octobre 2008.
[7] Document de l’OSCE (accès restreint), “Presentation by Ms Donna Phelan, CFE Adviser of the US mission to the OSCE, delivered at the Organisation of American States on 8th of March 2007”.
[8] Document de l’OSCE (accès restreint), “United States and Hungary agreement on destruction of Man-Portable Air Defense Systems (MANPADS) missiles”.
[9] Document de l’OSCE (accès restreint), “Exchange of military information 2001-2011”. Voir aussi: United Nations Office for Disarmament Affairs, [date de consultation : 2 mai 2012]:
http://www.un-register.org/SmallArms/Index.aspx .
[10] Site du “Stockholm International Peace Research Institute” [date de consultation : 28 Avril 2012]: http://www.sipri.org/
[11] Né en 1967, Viktor Bout est l'un des trafiquants d'armes les plus importants de l'ère post-soviétique. Il est notamment accusé d'avoir soutenu Charles Taylor dans ses exactions. En avril 2012, il a été condamné aux États-Unis à 25 années de prison.
[12] Document de l’OSCE (accès restreint), “Presentation by Mr. Adrian Wilkinson, SEESAC with regard to Working Session 1 of the Special Forum Security Council Meeting on Combatting the Illicit Trafficking of SALW by Air, 21 March 2007”.
Vignette : Salle du Conseil de l'OSCE, Vienne (Alejandro Marx, 2012).
* Alejandro MARX est diplômé de la School of Slavonic and East European Studies, University College of London et ancien stagiaire au Bureau praguois du Secrétariat de l’OSCE.