Moscou : Le conflit du parc de Torfianka

En 2010, le Patriarcat orthodoxe de Moscou a engagé un programme de construction de deux-cents nouvelles églises orthodoxes dans la ville. Aujourd’hui, des voix s’élèvent contre le choix de certains sites[1], tels que celui du parc de Torfianka au nord de la ville.


A Moscou, les parcs sont des lieux de vie commune particulièrement animés. Les habitants y pratiquent toutes sortes d’activités (sport, musique, pêche, pique-nique etc.). Pour l’Eglise, une présence au sein de ces parcs est un enjeu crucial en termes de visibilité. Le parc de Torfianka est un petit espace vert de 16 hectares situé dans le quartier de Lossinoostrovski au nord de la ville. En 2015, un chantier voit le jour en son sein, celui de l’église Notre-Dame-de-Kazan. Plus qu'une simple église, le complexe religieux prévoit des restaurants, des magasins et un centre médical pour les pèlerins[2]. Chaque église du Programme-200[3] comporte d'ailleurs une « école du dimanche », jouant à la fois un rôle éducatif et de catéchisme[4]. Loin d'être une nouveauté, nombre d'églises orthodoxes à Moscou comportent des écoles du dimanche en leur sein. Depuis juin 2015, des manifestations ont lieu quasiment tous les dimanches dans le parc et les militants s’affrontent sur l’opportunité du projet.

Confrontations et soutiens politiques

Les militants qui s’opposent au projet de construction sont en grande partie des riverains du quartier populaire de Lossinoostrovski, quartier-dortoir de l’ère soviétique. Ceux-ci avancent comme argument la pollution visuelle causée par le futur édifice, la réduction des espaces du parc, ainsi que la perte de tranquillité liée à l’afflux probable de population non riveraines issues de classes sociales plus aisées[5].
Face à eux, le mouvement en faveur du projet défend lui le droit de pratiquer le culte orthodoxe au sein d’un quartier populaire et insiste sur les milliers d’églises détruites à l’époque soviétique[6]. Pour la plupart, ces militants viennent de quartiers limitrophes ou éloignés.

La confrontation est soutenue entre les deux camps qui en sont même venus aux mains[7]. Cette situation justifie la surveillance policière du site et l’interruption du chantier en juin 2015, alors à peine entamé. Depuis 2016, les deux camps investissent des espaces symboliques différents du parc autour du chantier. Les pro-parc s’installent derrière l’emplacement de la future église, lieu où ont été plantés deux drapeaux symbolisant leur mouvement : « Pour le parc Torfianka ! »[8]. Ils manifestent en jouant et en mimant les activités de loisir qu’ils pourraient pratiquer si le projet était abandonné. De leur côté, les pro-église se regroupent sur un chemin piéton attenant à l’entrée du site auquel ils souhaitent accéder pour effectuer une prière, voire une messe symbolique. L’emplacement de la futur église, bien qu’entouré d’une clôture, ne comporte en son sein aucune construction mise à part une croix orthodoxe à huit branches en bois. Pour les pro-église, cette croix représente un lieu de prière symbolique en tant que futur autel de l’église. Ils prient alors tels qu’ils l’auraient fait si celle-ci avait été construite.

Plus largement, les deux camps font l’objet de récupérations politiques. Les pro-parc sont soutenus par le parti communiste, ce dont témoigne la présence régulière d’un député du parti lors des manifestations, ainsi que par le parti social-libéral Iabloko, présidé par Sergueï Mitrokhine qui soutient l’abandon du projet. Naturellement, ceux-ci critiquent l’amputation par l’Eglise orthodoxe d’un parc moscovite, ainsi que les privilèges alloués à celle-ci par l’Etat russe.

De l’autre côté, les pro-église sont soutenus par le groupuscule activiste de mouvance nationaliste Sorok-Sorokov (Quarante-Quarantaine)[9]. Ces activistes sont régulièrement présents aux côtés des pro-église, voire encadrent les manifestations. Le dimanche 5 juin 2016, ces derniers, accompagnés et guidés par les activistes, étaient empêchés d’entrer sur le site par les forces de l’ordre. Andreï Kormoukhine, leader de Sorok-Sorokov, aurait alors accusé les policiers de servir le complot américain[10], et promu la primauté de la Russie orthodoxe face au multiculturalisme occidental.

La bataille juridique

Le conflit se joue dans la rue, mais également dans les tribunaux. La bataille juridique est liée à un dilemme foncier: la Loi russe accorde des privilèges fonciers à l’Eglise orthodoxe mais interdit toute construction dans les parcs publics. C’est d’ailleurs probablement pour cette dernière raison que le projet a été officiellement abandonné.


Le conflit du parc de Torfianka au nord de Moscou

A titre compensatoire, une autre église a été édifiée et inaugurée en 2012 dans le secteur, l’église Saint-Macaire, à seulement 1 300 mètres au sud du parc. Pourtant, à seulement 1 500 mètres au nord-ouest du parc, l’église Saint-Séraphin de Sarov (rue Chokalskovo) vient également d’être construite. Dès lors, comment expliquer la ténacité des instances orthodoxes à vouloir s’approprier le parc de Torfianka ? La ténacité du prêtre Oleg Chalimov pourrait être un élément d’explication. Celui-ci devait être nommé recteur de l’église de Torfianka mais avait été pris pour cible par les slogans des militants pro-parc. Alors privé d’édifice, c’est lui qui a été nommé recteur de l’église de compensation Saint-Macaire en 2012[11].

Les militants pro-églises continuent toutefois d’alimenter le conflit, probablement dans l’espoir que soit reconsidéré l’abandon du projet. De même, les pro-parc restent actifs sur le terrain. Autrement dit, l’abandon juridique du projet n’a en aucun cas entravé la dynamique du conflit.

Notes:
[1] Une dizaines de cas de protestations auraient eu lieu entre 2011 et 2015.
[2] Pierre Avril, « L'Église russe sous l'aile de Poutine », Le Figaro, 11 août 2015.
[3] Voir David Coupechoux, « Deux-cents nouvelles églises pour Moscou », Regard sur l’Est, 26 mai 2017.
[4] Cf. http://www.martyr.ru/index.php?option=com_content&view=article&id=31&Itemid=12.
[5] Propos recueillis auprès d’une riveraine.
[6] « A Moscou, la multiplication de nouvelles églises se heurte à une certaine résistance ? », La Croix, 17 juillet 2015.
[7] Certaines vidéos sur la toile montrent la virulence du conflit : www.youtube.com/watch?v=helbylMoPOAwww.youtube.com/watch?v=i-FuqixPb-wwww.youtube.com/watch?v=gaTWFBUtKSYwww.youtube.com/watch?v=vutcb8dK1G0.
[8] En novembre 2016, la page Vkontakte du mouvement pro-parc comptait plus de 4.000 membres. Cf. http://vk.com/park.torf .
[9] Le nom du mouvement fait référence au dicton « Moscou et sa quarante quarantaine d’églises ». Créé en 2013 en réaction à l’action des Pussy Riot dans la cathédrale du Christ Sauveur, le groupe comptait 10 000 membres en 2015. En novembre 2016, la page Vkontakte de Sorok-Sorokov comptait plus de 18 000 membres : https://vk.com/sorok_sorokov.
[10] D’après les propos d’un riverain.
[11] Cf. http://zastupnica-losinka.ru/stranitsa-nastoyatelya.

Vignette: Manifestation contre la construction de l’église Notre-Dame-de-Kazan, parc de Torfianka, quartier de Lossinoostrovski au nord de Moscou (© David Coupechoux, 5 juin 2016).

* Étudiant en aménagement et concertation à l’Institut français de géopolitique (IFG).