Moscou: les studios Pilot, pépinière de jeunes créateurs de film d’animation

Comme bien des trentenaires d’aujourd’hui, Ioulia Postavskaia a grandi avec les grands classiques du dessin animé soviétique, Iojik v toumanié[1], Jil byl pios[2] ou encore Tchébourachka, petite créature aux grandes oreilles parfois surnommée le «Mickey russe» et mascotte de l’équipe olympique russe à l'époque de Brejnev. Devenue dessinatrice elle-même, Ioulia Postavskaia se souvient surtout des films d’animation d’Alexandre Tatarsky, fondateur et directeur des studios d’animation Pilot, à Moscou, décédé le 22 juillet dernier à l’âge de 56 ans.

 

--Voir les caricatures de Ioulia Postavskaia--


Alexandre Tatarsky était le créateur de l’une des œuvres de référence de la jeune femme, Padal prochlogodny sneg (1983), l’histoire burlesque d’un moujik un peu stupide, lancé par sa femme à la recherche d’un sapin pour le Nouvel An, entièrement réalisée avec des figurines de cire modelées. Les 17 et 18 septembre, le deuxième festival international du film d’animation de Moscou, « AnimaX », lui rend hommage en programmant une rétrospective de son œuvre.

Un héros nommé Eltsine

Premier studio indépendant de Russie, né il y a en 1988, Pilot compte près de 130 films dans son catalogue, primés une cinquantaine de fois dans les plus prestigieux festivals internationaux. Une véritable fourmilière employant régulièrement plus de 400 personnes, animateurs, scénaristes, dessinateurs, programmateurs, à la réalisation de films d’animation pour la télévision et le cinéma mais aussi de jeux vidéo ou d’animations pour Internet. Il semble loin, le temps où, avec la complicité de son ami de toujours le réalisateur et dessinateur Ioury Norstein, Alexandre Tatarsky réalisa en quelques fébriles heures nocturnes d’août 1991, dans une obscure chapelle de la rue Arbat, un petit brûlot de 2 minutes 6 secondes, intitulé Putsch, mettant notamment en scène un héros nommé Boris Eltsine…

Pour Ioulia Postavskaia, travailler aujourd’hui à son premier long métrage au sein des studios Pilot est une belle aventure. Née dans la ville sibérienne d’Omsk en 1978, diplômée de la faculté d’Arts graphiques de l’Institut des Arts d’Omsk en 2000 et de l’Académie de dessin et de design de Prague en 2004, Ioulia Postavskaia est encore une petite fille lorsqu’elle fait une rencontre déterminante, avec l’œuvre du caricaturiste danois Herluf Bidstrup. « Je contemplais ses dessins pendant des heures », se souvient-elle. « Un jour, pour le Nouvel An, je lui a dessiné une belle carte de vœux. Ma famille a décidé de la lui envoyer. Dans l’enveloppe, nous avions glissé d’autres dessins. Comme nous ne connaissions pas son adresse, nous avons simplement écrit sur l’enveloppe : Danemark, Copenhague, Bidstrup. Un mois plus tard, je recevais sa réponse. Dans l’enveloppe, il y avait une lettre, un recueil de ses caricatures, une photo dédicacée et une revue danoise sur l’Union soviétique, où l’un de mes dessins avait été publié ! »

Caricatures « anti-pub »

Teint de porcelaine, yeux malicieux, l’enfance ne semble pas l’avoir quittée totalement. Ioulia Postavskaia tire le plus clair de ses revenus d’illustrations de journaux et de livres pour enfants, de poésies et de contes. « Ce qui m’intéresse, c’est d’essayer de découvrir à quoi pensent les enfants », indique Ioulia Postavskaia. « Les adultes sont plus ennuyeux, ordonnés, rationnels. Quand on écrit pour les enfants, on jouit d’une grande liberté, pour inventer ce qu’on veut; les enfants reconnaissent facilement leur univers dans le monde imaginaire. C’est un public beaucoup moins compliqué que celui des adultes. »

Son premier long métrage de réalisatrice aura bel et bien l’enfance pour thème, celle de son père, né en 1941, « à l’époque où il n’y avait rien ». Angle original, les souvenirs de cet enfant de la Grande Guerre Patriotique seront mis en scène du point de vue de ses jouets. « Dans ce dessin animé, je veux qu’il y ait de l’humour », explique la dessinatrice. « Mais je veux aussi montrer à quel point le prix des choses a changé dans le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. » Un sujet qu’elle a déjà abordé à travers une série de caricatures « anti-pub », où elle croque la nouvelle société de consommation russe, mettant en scène des utilisatrices de shampoing aux cheveux gras devenus secs, des buveurs de bière prétendument au régime, des mangeuses de yaourt prises de coliques. « J’aime bien me moquer de ce qu’on nous vend, de ce qu’on achète, de la façon dont on le vante. En réalité, nous n’avons pas besoin de toutes ces choses; c’est cela que je veux montrer à travers ces dessins satiriques. »

Vinni-Poukh contre Winnie l’Ourson

La jeune garde des créateurs russes de dessins d’animation bâtit aujourd’hui sa renommée sur l’univers commun des contes populaires russes et de l’histoire du Prince Vladimir, grande figure de l’histoire nationale et illustre souverain de la Russie kiévienne, auxquels les coproductions avec la Première chaîne de télévision russe offrent une nouvelle jeunesse. Pourtant, en dehors des coproductions avec les grandes chaînes nationales qui rencontrent l’engouement du public jeune, le film d’animation russe peine à se développer. « La difficulté consiste à intéresser des enfants désormais familiers d’Internet et du téléchargement gratuit de vidéos », explique Ioulia Postavskaia. Les dessins animés étrangers, américains et japonais rencontrent également un grand succès. En outre, « les films pour enfants bénéficient de faibles budgets. » Le prix d’achat de toute la série « Pokémon », suivie quatre fois par semaine pendant six mois par une majorité d’enfants lors de sa première diffusion en Russie en 2001, était inférieur au coût de production de trois épisodes de dessins animés russes.

Pour vivre, les studios Pilot sont contraints de sous-traiter les demandes croissantes de producteurs occidentaux en quête de main-d’œuvre bon marché, au détriment de la création et de la qualité. A l’inverse, les plus talentueux des créateurs partent chercher fortune aux Etats-Unis ou en Israël. D’autres préfèrent fonder leur propre entreprise, à l’instar de Gary Bardine, auteur de Le Loup gris et le Petit Chaperon Rouge (Grand Prix d’Annecy en 1991), qui a installé son studio, Stayer, dans la campagne moscovite.

Quant à l’État, il s’est presque intégralement désinvesti du film d’animation. Fleuron de l’industrie cinématographique soviétique, Soyouzmoultfilm peine à occuper aujourd’hui ses 300 permanents. En dix ans, la production annuelle est passée d’une quarantaine de titres à moins d’une dizaine. Et plus de 300 heures de programmes, appartenant au patrimoine national, ont été bradés aux studios américains, notamment Walt Disney. A ce rythme, Vinni-Poukh, ancêtre soviétique de Winnie l’Ourson, pourrait en arriver à prendre la nationalité américaine…

Tchébourachka au Kremlin

A moins qu’une fois de plus, le réflexe patriotique joue. Comme de plus en plus d’œuvres d’art russe proposées sur les marchés étrangers, les dessins animés soviétiques attirent les grandes fortunes russes qui se proposent de les rapatrier. Le 24 août 2007, le magnat de l’acier et du gaz russe Alicher Ousmanov, propriétaire de la compagnie Swinstar Holdings Limited, a racheté une collection de dessins animés bien connus, vendus par Soyouzmoultfilm en 1992 et 1994 à la société américaine Films by Jove, fondée par l’ancien acteur soviétique Oleg Vidov. Parmi les stars de cette collection estimée à plus de 10 millions de dollars, « Tchébourachka », série culte de l’époque Brejnev. Proche du Kremlin, Alicher Ousmanov aurait transmis la collection et tous les droits de propriété à la chaîne russe pour enfants Bibigon, à titre gratuit.

 

Par Marie-Anne SORBA

[1] Le hérisson dans le brouillard
[2] Il était une fois un clebs

http://www.pilot-film.com/