Moscou: Une nouvelle vague de démolition de kiosques commerciaux s’achève

La mairie de Moscou a initié une nouvelle campagne de démolitions de kiosques commerciaux durant l'hiver 2012-2013. Presque un millier d'échoppes auraient disparu du paysage de la capitale russe en quatre mois. La précipitation des chantiers de démolitions n'a toutefois pas surpris les Moscovites.


Sur les larges trottoirs de la rue Profsoïouznaïa, plusieurs dizaines d'échoppes abritaient jusqu'au début de l'année 2013 à peu près tous les commerces possibles: boulangerie, presse, opérateur téléphonique, café, sandwicheries, snacks, charcuterie, quincaillerie. Les échoppes étaient regroupées pour la plupart par groupes de quatre ou cinq dans des pavillons alignés sur les 400 mètres qui séparent les croisements avec la rue Krjijanovskogo et l'avenue Nakhimovskiï. Tous ces pavillons ont tous été démolis en quelques semaines, à l'exception d'un seul petit kiosque où un serrurier offre encore ses services.

Depuis sa désignation par Dmitri Medvedev en octobre 2010, le nouveau maire de Moscou Sergueï Sobianine s'est rapidement démarqué de son prédécesseur, Iouri Loujkov, à plusieurs titres. Il a brutalement freiné les aux programmes immobiliers consentis par l'ancien maire sur les terrains municipaux[1]; il a fait des promesses aux associations de défense du patrimoine architectural[2]; et il a déclaré la guerre au commerce de détail réalisé dans des kiosques situés sur les trottoirs de la ville.

La démolition des kiosques commerciaux

En Russie, jusqu'à la fin des années 1980, les kiosques servaient surtout à la vente de cigarettes et de journaux. Dans les années 1990, des kiosques vendant toutes sortes de produits ont été construits un peu partout dans les grandes villes et constituent aujourd'hui une grande part du commerce de détail privé. Plus ou moins disparus de certaines villes, ils sont encore, pour de nombreux moscovites, le principal point d'approvisionnement en denrées alimentaires courantes, en cigarettes, en alcool, en journaux, etc. En effet, les rez-de-chaussée des immeubles résidentiels abritent rarement des commerces et les centres commerciaux ne sont pas si nombreux. On trouve des kiosques dans les passages souterrains, dans les couloirs du métro ou bien sur les larges trottoirs de la ville. Ce sont ces derniers qui font l'objet depuis trois ans de campagnes de démolitions successives.

En 2010, les démolitions avaient concerné en premier lieu les kiosques qui entourent les entrées de métro, à commencer par la station «Oulitsa 1905 goda»[3]. Il était alors question d'imiter Saint-Pétersbourg: la municipalité de la deuxième ville de Russie avaient lancé en 2004 une vaste campagne de démolition de kiosques commerciaux. En 2010-2011, environ 2.000 kiosques avaient alors été rasés dans les rues de Moscou.

Suite à cette campagne, la mairie de Moscou avait établi un schéma officiel de localisation des kiosques et échoppes (kiosk ou lariok en russe) situé dans l'espace public de la ville ou «objets non stationnaires» en langage administratif. Ce schéma recense les kiosques dont l'emplacement était autorisé, l'architecture validée et pour lesquels un contrat d'occupation du sol municipal avait été conclu. 600 kiosques auraient alors été considérés comme totalement illégaux et plusieurs milliers, conformes, n'avaient pas été pris en compte dans ce schéma pour différentes raisons – absence de contrat, volonté de la municipalité de disposer du terrain, etc.

Ce sont ces kiosques qui ont fait l'objet d'une campagne de démolition cette année: environ un millier d’échoppes, sur les dix mille que compte la ville, auraient été démolies en quelques mois.

La campagne de démolition de l'hiver 2012-2013 à Moscou

Sergueï Sobianine a annoncé en octobre 2012 l'engagement de la mairie dans une lutte contre les kiosques illégaux. Il affichait alors la volonté d'accélérer les procédures de démolition qui traînaient depuis plusieurs mois dans les tribunaux. Grâce à la procédure administrative et non judiciaire nouvellement établie, la mairie peut prendre une décision de démolition de kiosque. Le propriétaire dispose alors de deux jours à compter de la notification administrative pour porter plainte à la préfecture. La démolition reste en principe à la charge du propriétaire mais il est prévu, dans le cas contraire, que les kiosques soient démolis de force, sans précautions vis-à-vis des marchandises qu'ils abritent.

En novembre, S.Sobianine s'est engagé à raser les kiosques illégaux en deux mois. La mairie a également annoncé qu'il était nécessaire de distinguer la démolition de kiosques illégaux de celle des kiosques en règle mais se trouvant sur des terrains nécessaires à la construction de parkings relais situés à proximité de dix stations de métro. Dans ce dernier cas, une compensation ou un nouvel emplacement est proposé au propriétaire. Finalement, il apparaît bien difficile pour les habitants de connaître le motif réel de disparition du jour au lendemain des kiosques[4].

S.Sobianine a finalement lancé le 29 mars une opération choc de démolition d'une semaine. Malgré les annonces de «déconstruction» et de conservation des kiosques démontés, les opérations de démolition ont été menées dans la précipitation et sans guère de précaution vis-à-vis des passants: dans la pratique, après que l'échoppe avait été vidée, des groupes de quatre ou cinq hommes démolissaient les pavillons les plus légers en deux jours, arrachant fenêtres et planches et les lançant dans des bennes à ordures ou même dans les fossés, au-dessus de la tête des passants. Un record de démolitions semble avoir été atteint à Zélénograd, quartier satellite de Moscou situé au-delà du MKAD, le périphérique de la ville, avec des opérations menées en moins d'une journée.


Fin d'une opération de démolition d'échoppes dans la rue Bolchaïa Tcheriomouchkinskaïa à Moscou (Eric Le Bourhis, 15 décembre 2012).

Réaction des habitants

Les témoignages des habitants, dans la rue ou sur Internet, témoignent davantage de cynisme que de colère. Nombreux pensent que les kiosques seront reconstruits de toute façon. Certains plaisantent: pourquoi raser seulement ceux qui se trouvent sur le trottoir, et non également ceux qui se trouvent dans les passages souterrains? Et que faisaient la milice et la municipalité quand ces kiosques ont été construits dans l'espace public?

Un internaute anonyme ironise: «À l'adresse 1 ter, rue de Minsk à Moscou, se trouve un kiosque de produits laitiers – le litre de lait à 50 roubles [1,20€] – qui est ouvert 24h/24. L'installation du kiosque et son raccordement aux réseaux urbains sont illégaux. La milice de quartier de Ramenki clarifie la situation depuis deux mois): […] Pendant ce temps, l'échoppe fonctionne, pique de l'électricité et … rapporte des bénéfices à son propriétaire. Les habitants plaisantent: tant que la milice procède aux contrôles, il y aura du lait sur la table des miliciens): Morale de l'histoire: les infractions profitent en premier lieu à ceux qui sont chargés de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'infractions.»[5] Mais alors pourquoi détruire? Les habitants qui n'ont pas assisté aux chantiers de déconstruction ont cherché en vain un matin le kiosque où ils achetaient des viennoiseries depuis vingt ans. Ils devront désormais aller faire leurs courses «au métro» – les commerces de détail sont en général concentrés près des stations de métro – ou bien dans les grandes surfaces. Le roman Un maire en sursis de Pavel Astakhov[6], publié en 2007, faisait déjà le récit de la tentative d'un maire de fermer les kiosques commerciaux au moment où sa femme ouvrait un hypermarché. De nombreux habitants pensent en effet que les démolitions profitent en premier lieu aux grandes surfaces.

Les kiosques comme symbole de la crise économique et de la corruption

Malgré le confort qu'ils apportent, les kiosques jouissent d'une image assez négative auprès de la population moscovite. Leur disparition ne déclenche pas nécessairement de nostalgie. Ces petites boutiques sont en effet un symbole de la crise des années 1990 –lorsque de nombreux habitants ont dû s'improviser vendeur en kiosque pour survivre– et de la corruption. Cet imaginaire est fortement entretenu par le roman de Viktor Pelevine Homo zapiens: «Tatarski passa moins d'un an dans le kiosque, mais il y acquit deux nouvelles qualités. La première était un cynisme aussi infini que la vue depuis le restaurant tournant de la tour de télévision d'Ostankino. La seconde se révéla aussi étonnante qu'inexplicable: il lui suffisait de jeter un bref regard sur les mains d'un client pour savoir précisément s'il était possible de le voler, et de combien, s'il allait essayer de fourguer un faux billet ou si, au contraire, on pouvait lui en refiler un en rendant la monnaie.»[7]

La municipalité Sobianine utilise cette image pour se démarquer de Loujkov, maire de 1992 à 2010. Kirill Chtchitov, député de la douma municipale, explique que de nombreux kiosques illégaux volent l'électricité sur les câbles des trolleybus et donc le contribuable, qu'il n'y pas lieu de regretter des kiosques, surtout à bière et à cigarettes, qui font beaucoup de profits. La mairie annonce même le chiffre de 630 messages reçus durant l'hiver sur le portail Internet «Nach gorod» et signalant la présence de kiosques probablement illégaux sur le territoire de la ville qui justifiaient à ce titre vérification de la part des services municipaux[8].


Emplacement d'un pavillon disparu rue Chvernika à Moscou (Eric Le Bourhis, 19 avril 2013).

Notes:
[1] Maria Abakumova, «Stop kran! Potchemou i kouda iz Moskvy begout stroiteli?», forbes.ru, 24 janvier 2012.
[2] Isabelle Cornaz, «Moscou: Un nouveau maire au secours du patrimoine?», Regard sur l'Est, 1er juin 2011.
[3] Erlan Jourabaev, «Jertvy blagikh namereniï: V Moskve prodoljaïout snosit torgovye palatki i kioski», novopol.ru, 16 novembre 2010.
[4] Sources: www.izvestia.ru, www.vmdaily.ru, www.gazeta.ru, www.mo.ru.
[5] Commentaire zzz-8929 du 6 novembre 2012 sur le site: http://www.ridus.ru/news/51811/
[6] Traduction française: Pavel Astakhov, Un maire en sursis, Calmann-Lévy, 2011.
[7] Viktor Pelevine, Homo zapiens, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain, Le Seuil, 2001, p. 21-22.
[8] http://gorod.mos.ru/