Mythes et réalités de la « maison balte »

Les pays baltes appartiennent à deux ensembles culturels bien différents, de par leurs origines et leurs langues. Commençons par distinguer le peuple estonien de celui des Lettons et des Lituaniens. Malgré l'étiquette de Pays balte, l'Estonie ne fait pas partie de cette famille. En effet, le peuple, comme la langue qu'il parle, est d'origine finno-ougrienne, comme le sont aussi les Finnois et les Hongrois. Les Lettons et les Lituaniens, quant à eux, appartiennent pleinement à l'ensemble indo-européen, dont ils constituent le rameau balte. Ainsi, seuls ces deux derniers peuvent revendiquer cette qualification.


Soldat estonien dans un exercice de l'OTAN - Estonian soldiers during a NATO exerciseQuant aux histoires nationales, il convient également de distinguer les influences qui ont agi sur ces trois pays. Au XIIe siècle déjà, l'influence germanique se fit sentir sur les côtes de la Baltique : influence commerciale d'abord, avec la Hanse, association des villes commerçantes, colonisatrice ensuite, par l'implantation de colons germains sur les terres baltes, puis enfin par l'arrivée de croisades venues christianiser les Lives et les Estes, ascendants des Lettons et des Estoniens actuels. La Lituanie était à l'époque, contrairement à ses voisines, un État déjà constitué sur un immense territoire, de la Baltique à la Mer noire. Les chevaliers teutoniques ne mirent fin à leur tentative de christianisation forcée qu'en 1410, date de leur défaite face à l'armée polono-lituanienne à la bataille de Grünwald. La Lituanie, par sa jonction à la Pologne dans le cadre d'un Royaume commun, choisit le catholicisme ; les peuples d'Estlandie et de Livonie furent convertis au protestantisme. La différence entre ces différents peuples était, déjà à cette époque, très nette…

Une histoire contemporaine commune 

© Anne Laval

Ce n'est qu'au XIXe siècle, après quelques siècles de tourmente -suédoise pour les Estes et les Lives, polonaise pour les Lituaniens- que les trois peuples se retrouvèrent soumis à la même hégémonie russe. Commençait alors la période des "éveils nationaux" qui allait mener à l'indépendance des trois pays en 1918. Dès cette date, ils ont été désignés par le reste du monde sous le nom de "Républiques baltes". Après vingt ans de liberté, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie se firent annexer par l'URSS suivant ainsi les clauses du Pacte Molotov-Ribbentrop (23 août 1939). Les trois républiques comprirent rapidement que s'unir leur serait profitable: elles étaient en effet les seules dont les langues étaient écrites avec l'alphabet latin, les seules à revendiquer leur européanisme face à la masse eurasienne qui les entourait. Leur différence fut sans cesse étouffée par Moscou qui tenta de noyer leurs revendications en envoyant des Russes s'implanter dans les trois républiques.

Dès 1987, les premiers Fronts de soutien à la Perestroïka, convertis ensuite en mouvements pour l'indépendance, naquirent dans les trois républiques. En unissant leurs forces ils réussirent non seulement à organiser de grands rassemblements de masse, à coordonner leur politique afin que les revendications baltes soient comprises dans le même objectif, mais surtout ils organisèrent le 23 août 1989, date du cinquantième anniversaire du pacte d'annexion Molotov-Ribbentrop, une chaîne humaine longue de 560 km reliant Tallinn à Vilnius. Cette manifestation prouvait à l'URSS et au reste du monde la solidarité des peuples baltiques et leur volonté de sécession. Ces révolutions "de velours", connues sous le nom de "révolution chantante", troublèrent peu à peu la bonne marche de l'URSS tout entière, poussant à sa désagrégation finale en 1991.

L'introuvable diapason balte : objectifs communs, voies différentes

L'union des trois peuples, nous l'avons vu, fut indispensable dans leur processus d'indépendance. Qu'en est-il de l'amitié et de la collaboration balte, une fois cette dernière acquise ? Malgré des efforts de coopération dans les domaines politique, économique et militaire, à l'exemple de ceux de l'Assemblée balte (créée le 8 novembre 1991 afin de coordonner les politiques des trois pays, la tentative de développement de la zone économique balte, et la création du bataillon inter-balte "BALTBAT" dont le fonctionnement s'aligne sur les standards de l'OTAN), nous pouvons déplorer que ces nouvelles institutions restent des coquilles vides.

Les pays baltes ont vite compris qu'il était préférable de jouer de leurs affinités avec différents pays voisins, pour accéder plus rapidement aux organisations internationales -Union européenne et OTAN- dont ils rêvent tous trois. Ainsi l'Estonie se revendique nordique, et non pas balte, et renforce ses relations avec la Finlande qui la soutient dans ses efforts d'intégration européenne, la Lituanie retrouve sa place de pays d'Europe Centrale, prouvant sa volonté par une coopération intense et des relations de très bon voisinage avec les pays qui l'entourent, alors que la Lettonie, située entre ces deux dernières, a du mal à trouver une place dans le nouvel espace européen. Le "chacun pour soi" a repris le dessus sur l'unité mythique des trois pays, qui espèrent que, par le jeu de leurs alliances distinctes avec des partenaires occidentaux, leur adhésion au sein des différentes institutions européennes et internationales sera plus rapide et fructueuse.

Par Sophie SCHMIDT

Vignette : Soldat estonien dans un exercice de l'OTAN - Estonian soldiers during a NATO exercise, © Siim Teder (CC-BY-SA 2.0)

 

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