Alors que la communauté internationale souffle les dix bougies de l'anniversaire de l'effondrement du Rideau de fer, elle ne semble pas accorder à la région de la mer Baltique un intérêt comparable. Pourtant, la région a connu une incroyable évolution compte tenu de la situation qui a prévalu pendant une cinquantaine d'années.
La sécurité de la Baltique, intégrée au prisme de la Guerre Froide, a radicalement changé. Traditionnellement, la sécurité a une double dimension : une dimension psychologique - sa perception, et une dimension mécanique, à savoir l'ensemble des procédés et des instruments visant à établir des relations stables entre les États qui recherchent cette sécurité et leurs voisins. Comme perception, la sécurité suppose qu'elle réponde convenablement aux menaces et risques redoutés et comme mécanisme, elle cherche à répondre efficacement à ces perceptions. Or, c'est en tentant de répondre à cette double définition que les trois États baltes vont chercher à s'insérer dans l'architecture européenne de sécurité qui se met lentement en place depuis le début des années 1990.
Identification des acteurs
Les acteurs en présence se caractérisent par une très grande hétérogénéité, ce qui donne l'impression que le système de sécurité régionale ressemble plus "à une jungle qu'à un jardin". Des quatre pays scandinaves riverains de la Baltique, la Norvège et le Danemark appartiennent à l'OTAN tandis que la Suède et la Finlande entretiennent encore une politique officielle de neutralité. L'Allemagne et la Pologne sont membres de l'OTAN tandis que la Russie, toujours viscéralement opposée à toute extension de l'Alliance atlantique tente de garder une position prépondérante, notamment par le biais de Kaliningrad. Derniers États souverains à avoir été englobés dans la sphère soviétique pendant la Deuxième Guerre mondiale, les États baltes ont, quant à eux, une position plus qu'insolite.
Nichés aux confins de la mer Baltique, ils n'ont connu le goût de l'indépendance que deux fois : une petite vingtaine d'années avant la Deuxième Guerre mondiale et depuis 1991. La règle "jamais deux sans trois" devra faire exception car ils entendent bien que leur pays ne soit pas de nouveau rayé de la carte. C'est la raison pour laquelle ils cherchent à obtenir un maximum de garanties de sécurité. Or, si le premier réflexe a été de rechercher des garanties dans le champ de la sécurité dure ("hard security"), notamment au travers de l'Alliance atlantique, ils se rendent de plus en plus compte que l'OTAN n'a pas le monopole de la sécurité et que celle-ci a vocation à revêtir une multitude de formes dont les composantes essentielles s'insèrent dans la sécurité douce ("soft security").
Une sécurité multidimensionnelle
Le concept de sécurité a fortement évolué au cours des années 1990. S'il est courant de parler de sécurité douce et de sécurité dure, les termes de sécurité coopérative, de sécurité démocratique et de sécurité collective constituent désormais le triptyque sur lequel la nouvelle architecture européenne de sécurité se fonde. La sécurité coopérative trouve son origine dans la conclusion de la Convention pour la Sécurité et la Coopération en Europe ; il s'agit de créer une culture de coopération et de bon voisinage entre États afin de créer une véritable communauté de sécurité dans laquelle les différends seraient résolus sans recours à la violence.
Quant à la sécurité démocratique, il s'agit d'un concept qui a été dégagé lors du Sommet de Vienne de 1993, dans le cadre du Conseil de l'Europe. Celui-ci entend insister d'une part sur le respect absolu des conditions préalables indispensables à la sécurité que sont la démocratie parlementaire et pluraliste, l'indivisibilité et l'universalité des droits de l'homme, l'État de droit et un héritage culturel commun enrichi par sa diversité, et d'autre part, sur la nécessaire coopération européenne fondée sur ces valeurs afin d'établir un climat de confiance à travers le continent, cette action pouvant tout à la fois prévenir des conflits et aider à trouver des solutions aux problèmes communs. Or, ces deux nouvelles dimensions de la sécurité ont concerné les trois États baltes pour au moins deux raisons: d'une part, une instabilité sociale due à la forte présence d'une minorité russophone et, d'autre part, des différends frontaliers, soit entre eux, soit avec des pays voisins. Dans ce dernier cas, excepté pour le litige frontalier entre l'Estonie et la Russie, chacun des États a réglé le problème du tracé de ses frontières maritimes ou terrestres, bilatéralement, avec ou sans recours à l'arbitrage.
Néanmoins, c'est la question des minorités qui constitue le problème le plus aigu dans les relations entre les trois États baltes et la Russie. Le Conseil de l'Europe, l'Organisation pour la Sécurité en Europe, notamment par le biais du Haut Commissaire pour les Minorités Nationales, mais aussi l'Union européenne et dans une moindre mesure le Conseil des États de la Mer Baltique ont été amenés à intervenir à plusieurs reprises afin d'infléchir la législation des trois États baltes relative au statut des minorités. Enfin, la sécurité collective implique une solidarité politique entre les membres d'une même communauté aux termes de laquelle si l'un des États est agressé militairement par une puissance tierce, cette agression remettra en cause la sécurité de toute la communauté, si bien qu'automatiquement celle-ci y répondra comme si elle était dirigée contre elle. La meilleure illustration de ce mécanisme politique est l'article V de l'OTAN. Pour les Baltes, cet article, presque "magique", doit leur fournir l'élément dissuasif et le sentiment de stabilité indispensables à la sauvegarde et au développement de leur indépendance.
L'OTAN, clé de voûte de la sécurité régionale ?
Avant une éventuelle adhésion à l'Alliance, les États baltes devront franchir un certain nombre d'obstacles d'ordres endogène et exogène. En effet, leurs armées respectives doivent avoir atteint un degré d'inter-opérabilité élevé afin de se mettre en conformité avec les exigences de l'OTAN. En outre, cette dernière exige des postulants une stabilité sociale que n'ont pas les Baltes du fait de l'inadéquation qui persiste entre le statut des minorités russophones et les différentes législations plutôt restrictives. Cependant, c'est la question de l'opposition viscérale de Moscou à tout élargissement de l'OTAN, surtout quand il concerne les Baltes, qui constitue la difficulté principale.
Les manœuvres des Russes afin d'éviter l'adhésion des Baltes à l'Alliance n'ont pas manqué, de la menace travestie (blocage des pourparlers sur la question des frontières, la Russie obtenant ainsi un droit de veto déguisé car sans règlement des questions frontalières, les Baltes ne peuvent adhérer à l'Alliance) aux propositions amicales et conciliatrices (propositions visant à créer un Pacte régional de sécurité dont Moscou serait le garant). Quant aux États-Unis, ils ont pris deux initiatives majeures afin d'assurer la sécurité des Baltes, sans pour autant les inviter à rejoindre l'Alliance. Il s'agit, d'une part, de "l'initiative nordique", et d'autre part, de la Charte américano-balte. Dans le premier cas, les États-Unis ont demandé à la Suède et à la Finlande un plus grand investissement dans le rôle de garant de la sécurité des Baltes. Néanmoins, c'est la seconde initiative qui entend être la plus ambitieuse. La Charte américano-balte traduit la volonté de Washington d'assurer aux Baltes une stabilité politique et économique par des mesures concrètes de coopération, sans pour autant leur assurer des garanties de sécurité dure.
La construction d'une sécurité à deux temps
A l'heure actuelle, on peut constater que les Baltes ont atteint un certain nombre de leurs objectifs dans le cadre de la construction de la sécurité douce, grâce au rôle actif des institutions européennes: Conseil des États de la mer Baltique, OSCE, Conseil de l'Europe, coopération nordico-balte et Union européenne. Néanmoins, dans le cadre de la sécurité dure, les Baltes ont tendance à s'impatienter, sans pour autant avoir le sentiment d'être condamnés à errer dans le purgatoire d'une "zone grise". S'ils comprennent que leur position géopolitique ne milite pas en leur faveur, ils estiment que leurs efforts considérables doivent être récompensés.
Or, il est peu probable que les États-Unis acceptent que les Baltes adhèrent à l'OTAN, du moins à court ou moyen terme. Cependant, l'Alliance atlantique est de moins en moins perçue par les Baltes comme le seul vecteur valable de sécurité. Récemment, lors des négociations sur le renouvellement du traité sur les Forces Conventionnelles en Europe, les Baltes ont eu le sentiment que Washington donnait trop de gages à Moscou, ce qui a eu pour conséquences une approche plus favorable vis-à-vis du pilier de la sécurité européenne, l'Identité Européenne de Sécurité et de Défense (IESD). Si, à l'origine, l'UE devait être dépourvue de toutes vertus sécuritaires, ils estiment désormais qu'elle peut leur fournir un "cran de sûreté" complémentaire, voire supplémentaire à celui de l'Alliance atlantique.
Identité et sécurité sont les deux maîtres mots explicatifs de la motivation des États baltes pour rejoindre les institutions occidentales. Identité car ils se considèrent avant tout comme des pays appartenant à l'Ouest et revendiquent à ce titre leur place dans la communauté des États européens, et sécurité car ils craignent toujours les réflexes hégémoniques de Moscou.