Nowe Tychy, ville satellite de la conurbation silésienne

Nowe Tychy est une des trois villes nouvelles majeures construites en Pologne pendant la phase d’industrialisation massive des années 1950. Modèle exemplaire d’urbanisation socialiste, elle n’a pu échapper aux carences de celle-ci, notamment au perpétuel inachèvement des services et des infrastructures.


Industrialisation et urbanisation socialistes en Pologne dans les années 1950

Dans la Pologne socialiste des années 1950, trois villes nouvelles ont été créées comme témoignage d’un nouvel ordre spatial: Nowa Huta, devenue en fait dès 1951 un quartier de Cracovie, mais conçue comme une entité urbaine cohérente autour d’un combinat sidérurgique, ainsi que Jastrzebie et Nowe Tychy, en Haute-Silésie.

Il n’est pas absurde de se poser la question de leur raison d’être dans le contexte géographique polonais de l’époque. En effet, la plupart du temps, les villes nouvelles ont pour objectif de déconcentrer des agglomérations saturées, de rééquilibrer le peuplement à une échelle nationale ou régionale. Or l’espace polonais des années cinquante, âge d’or de la création des villes nouvelles, est foncièrement polycentrique et Varsovie n’a pas encore récupéré son niveau de population d’avant-guerre. Les villes nouvelles obéissent donc davantage à des impératifs idéologiques et/ou d’aménagement régional: leur rôle est d’installer la population nécessaire à la valorisation de ressources minières sur de nouveaux sites d’exploitation (Jastrzebie en Haute-Silésie), infléchir la structure sociale d’une ancienne capitale historique (Nowa Huta à Cracovie), ou réorganiser selon l’ordre spatial socialiste une conurbation minière héritée du 19e siècle, au développement jugé chaotique (Nowe Tychy).

«Le chantier»

La conurbation de Haute Silésie est liée à l’exploitation de la mine et à la métallurgie, développées en territoire allemand dans les frontières d’avant 1914, puis en Pologne après les tracés frontaliers de 1920. Elle constitue la plus vaste unité urbaine d’Europe centrale, et est structurée par Katowice, chef-lieu de la voïvodie de Silésie, qui compte aujourd’hui un peu plus de 300.000 habitants.

Nowe Tychy, commencée en 1950, est située à environ 20 km au sud de Katowice. Elle fut conçue comme un exemple d’urbanisme harmonieux, dans une région saturée d’infrastructures et d’usines, symbole de la phase de développement capitaliste du 19e siècle, jugé responsable d’un désordre spatial omniprésent[1].

La composition urbaine de Tychy résulte tout autant des projets de ses auteurs principaux (le couple d’architectes Hanna et Kazimierz Wejchert), que des pressions exercées par les représentants de l’industrie lourde au niveau de la planification centrale. C’est une ville socialiste «moderne» composée d’ensembles résidentiels, identifiés chacun par une lettre de l’alphabet et par un prénom féminin (Anna, Barbara, Celina, etc.), dont cette lettre est l’initiale. Elle est prévue au départ pour 100.000 habitants. La construction de l’ensemble s’étire sur une trentaine d’années. Les premiers quartiers sont inspirés de l’architecture du réalisme socialiste qui règne en Pologne dans les années 1950: les immeubles sont en brique, et de taille encore modeste. Puis, ceux des années 1970, à la périphérie, illustrent la construction préfabriquée de mauvaise qualité de cette période, et consacrent l’abandon des principes urbanistiques de base. Par rapport à la croissance de l’emploi, la ville souffre d’un retard constant dans la construction des équipements, voire des logements eux-mêmes (aux immeubles ordinaires s’ajoutent de nombreux «hôtels ouvriers»). La pénurie de commerces est particulièrement criante en périphérie, et les écoles assurent encore deux services dans les années 1980 (l’un le matin, l’autre l’après-midi). C’est pourquoi Nowe Tychy fut longtemps surnommée «le chantier». Les ensembles résidentiels sont séparés par les axes de transports, des zones industrielles ou des espaces verts. Ceux qui furent construits dans les années 1960 et 1970 jouent le rôle de centre-ville.


Maquette de Nowe Tychy selon les plans initiaux
© Kazimierz Wejchert, «O niektorych zagadnieniach projektowania nowego miasta» («Quelques problèmes de conception d’une ville nouvelles»), Miasto, V/5, p.26, 1954.

Un peuplement à la remorque de l’industrialisation

Contrairement à la conception générale des villes nouvelles, Nowe Tychy est d’abord conçue comme une ville dortoir, pour désengorger la conurbation minière dont on prévoit une forte croissance démographique. Elle ne comporte aucun site industriel ou minier ce qui, dans un premier temps, freine son développement. Adossée au bourg de Tychy, qui compte 13.000 habitants en 1950, elle reçoit le statut de ville en 1951. Elle fut peuplée par des Silésiens, des Polonais d’autres régions, mais aussi beaucoup de rapatriés des Confins orientaux.

Les activités économiques ne démarrent dans la ville que tardivement. Après une phase intensive de construction, l’évolution de Tychy connaît un temps mort dans les années 1960; mais elle est réactivée par la décision d’y implanter les usines automobiles FSM (producteur de modèles Fiat) en 1970, qui entrent en activité en 1975. Cette relance correspond à la période d’industrialisation accélérée, illustrée par le slogan «Nous construisons la deuxième Pologne» du gouvernement Gierek. La population de Tychy passe de 71.500 habitants en 1970 à 166.500 en 1980; les actifs travaillent à 45% dans l’industrie et à 14% dans le bâtiment en 1988. En ce sens, Tychy s’est «alignée» sur un modèle de développement urbain socialiste, alors qu’elle en était plutôt éloignée au départ, du fait de son caractère résidentiel.

Nowe Tychy et les recompositions post-socialistes

Tychy se trouve aujourd’hui au cœur du bastion de l’industrie automobile de Pologne, en plein développement, en Haute Silésie. Elle abrite une des quatre sous-zones de la zone économique spéciale de Katowice, créée en 1995. On y trouve surtout des équipementiers de l’automobile comme Delphi, Isuzu, Lear, etc., ainsi que de l’imprimerie (Agora) et des industries agro-alimentaires. Toujours ancrée dans l’industrie, la ville cherche néanmoins, dans sa stratégie actuelle, à promouvoir l’économie de la connaissance, le développement des infrastructures et la protection de l’environnement, au service d’une meilleure compétitivité.

Les spécificités de son peuplement et de son développement s’observent encore de nos jours. La ville est plus jeune (le mouvement naturel y est donc positif), mais peu attractive: le solde migratoire, négatif, explique un déclin général de la population depuis 1990 (elle avait atteint alors un maximum démographique de 191.700 habitants et en a perdu 60.000 depuis).

Par rapport à la ville phare de la conurbation (Katowice), et surtout à la capitale, elle souffre d’un manque d’équipement en matière de logements, et le chômage y sévit deux fois plus (notamment parce que la main d’œuvre y est moins polyvalente). Le taux de mortalité infantile est particulièrement élevé, signe d’une dégradation de la situation sanitaire et environnementale.

La composition de la population, en particulier la forte proportion de «Néo-Silésiens» venus des confins orientaux, explique que s’y exprime une identité moins «silésienne» qu’à Katowice par exemple, et à tendance plus traditionnelle ou conservatrice. Ainsi, lors de l’élection présidentielle de 2005, le vote pour Lech Kaczynski, représentant du parti conservateur Droit et Justice (PiS), était de 41% à Katowice, 40% à Varsovie, mais 46% à Tychy. Lors du récent scrutin parlementaire d’octobre 2007, la circonscription de Bielsko-Biala, dans laquelle se trouve Tychy, a montré la même tendance: le PiS y a recueilli 35% des voix, contre 31% seulement à Katowice (et 27% à Varsovie).

[1] A côté de Tychy, Pyskowice, Radzionkowo et Nowa Dabrowa devaient compléter ce dispositif de rééquilibrage.

Bibliographie en français sur Tychy et la Haute Silésie:
-Bohdan Jalowiecki, «Les villes polonaises», in Nicole Haumont, Bohdan Jalowiecki, Moïra Munro, Viktoria Szirmai, Villes nouvelles et villes traditionnelles, une comparaison internationale, Paris, L’Harmattan, 1999, pp. 235-290.
-Maria Tkocz, «La restructuration socio-économique du Bassin Industriel de Haute-Silésie», Géocarrefour, vol.80, n°1, 2005, pp.49-58.

* Lydia COUDROY DE LILLE est maître de conférence en géographie, Université de Lyon (Lyon 2), UMR 5600 (Géophile).