L'actualité récente semble prouver une fois de plus l'obsolescence et la dure épreuve du temps qui marque du fer rouge les réalisations soviétiques; les symboles de la grandeur passée s'effondrent, disparaissent, l'empire semble se déliter… drame du Koursk qui remet en question l'état de la flotte et de l'armement russe, incendie de la tour d'Ostankino en plein Moscou, station Mir qui menace de revenir sur terre - autant de symboles en proie à une terrible agonie.
Les exploits des sportifs et des cosmonautes soviétiques semblent aujourd'hui lointains, les conquêtes spatiales et militaires de l'empire soviétique accusent un vieillissement inquiétant… Et pourtant, il suffit de feuilleter un vieil album de timbres pour retrouver un peu de la gloire passée…[1]
La production de timbres, dans les années soixante, est en effet très prolixe, notamment en ce qui concerne la conquête spatiale lancée quelques années plus tôt. Cette dernière ne manque pas d'une certaine vigueur si l'on prend en compte la multiplication des commémorations de lancement ou de sorties dans l'espace, des mises en orbite de satellites ou des collaborations renouvelées avec des pays frères (Inde, Afghanistan) qui y apparaissent.
La fierté d'un "Kosmos " tout soviétique
Fer de lance de l'industrie et des efforts de propagande de l'URSS, la conquête spatiale représente dans les années du communisme triomphant un monde de symboles forts, voire rassurants: c'est la supériorité de l'homme sur la nature, sur l'immensité de l'espace, l'espoir d'étendre la civilisation et l'utopie communiste à l'infini, la confiance aussi bien dans le progrès scientifique que dans la toute-puissance de la science et, enfin, l'affirmation de la fierté d'un système en proie à une course de vitesse avec son homologue et néanmoins ennemi, l'hydre américaine.
En témoignent les citations de Khrouchtchev ou de Brejnev figurant sur les timbres en question, qui illustrent parfaitement ces propos [2]; la présence soviétique et l'occupation de l'orbite terrestre sont affirmées par la récurrence de la figure du satellite, les exploits techniques donnent lieu à de véritables épanchements sur timbres géants.
Mythologie et idéologie
Une mythologie au service de la propagande soviétique s'étale donc à longueur d'envois postaux, et ce, dès les premières réalisations spatiales soviétiques; le fait d'être les premiers constitue d'ailleurs la principale revendication que l'on retrouve sur tous les timbres - souvent sous forme de longue litanie commémorative dans le plus pur style du réalisme socialiste.
Les slogans du style "les premiers à… " ainsi que les dates précises constituent le fondement même de cette production, à laquelle vient se greffer un appareil commémoratif toujours plus inventif et foisonnant : n'importe quel prétexte sert à rappeler la suprématie réelle ou fantasmée de la conquête spatiale, que ce soit la journée des Cosmonautes, les anniversaires de lancement, la célébration des vols spatiaux Soiouz ou Saliout, etc… allant jusqu'à des projections proches de la science-fiction (sur le thème des vols spatiaux habités dans le Cosmos affermissant l'amitié des peuples).
Héros de l'espace
On ne peut évidemment pas évoquer la conquête spatiale soviétique sans parler des hommes - traduire des héros - qui la composent. Déclinés sur le thème des portraits façon grand héros de la révolution prolétarienne, tous, du plus illustre des cosmonautes (Youri Gagarine) au plus obscur d'entre eux, ont leur nom mentionné sous un portrait en majesté accompagné du code désignant leur mission: on apprend ainsi, au fil des missions Saliout et autres sorties dans l'espace, les noms de Bykovski, Leonov, Nikolaev, Sevastianov, Gorbatko, Gretchko, Feoktisstov, Savinikh, etc., cosmonautes relevant pour la plupart du pur anonymat (à titre indicatif, nous en avons répertorié plus d'une cinquantaine).
En refermant l'album de timbres, il ne reste plus que la nostalgie ou l'illusion peut-être d'avoir participé, par procuration, à une grande aventure humaine; peut-être est-ce l'actualité récente ou le fruit d'une pensée qui, a posteriori, n'aurait pas grand mérite, mais le fait est qu'en consultant ces quelques morceaux de papier dentelé, l'impression que ceux-ci étaient déjà obsolètes et teintés de nostalgie à l'époque même où ils étaient imprimés persiste…
La conquête spatiale soviétique a sans doute connu une gloire aussi brève que fugace qui résidait seulement dans le fait d'avoir osé en premier. La chronique d'un "qui ose gagne", en quelque sorte, encore faut-il tenir la distance…
Par François VILALDACH
[1] Tous mes remerciements à Alexandre Keller, philatéliste éminent, ami sincère, qui outre ses conseils éclairés, a gentiment mis à ma disposition sa collection privée. Extrait de la collection.
[2]"Le socialisme est cette aire de lancement d'espoir par laquelle l'URSS lancera ses fusées". (N. S. Khrouchtchev) "En étendant notre connaissance de l'espace, nous ne posons pas seulement les fondements pour les futures et titanesques conquêtes de l'humanité par le fruit desquelles les générations profiteront, mais nous en tirons aujourd'hui un avantage pratique direct pour la population de la Terre, pour nos peuples, pour notre construction communiste". (L. I. Brejnev)