Plaidoyer pour un dialogue

Comment expliquer l'inertie des Serbes ? Est-ce un soutien massif à Milosevic ? En guise de réponse, ces quelques lignes nées d'une fréquentation régulière des parias de l'Europe.


Sordide quotidien

En Serbie, travailler dans le public vous rapporte environ 50 DM (175 Frs) ; dans le privé vous doublez votre salaire : 200 DM si vous êtes chanceux. Vous habitez une ville ? dommage : un appartement coûte 100 à 200 DM par mois. La campagne ? alors vous êtes peut-être propriétaire et donc aussi riche que Crésus! Mais l'inflation vous oblige à trouver des DM en petites coupures pour ne pas perdre au change (pratiqué dans les rues en catimini) et votre salaire se fait désirer : "Jour de fête ! s'exclame en août Tania, professeur de serbe. Je viens de toucher la moitié de ma paye du mois de mai!"

Cette réalité financière impose un mode de vie particulier. Aller au restaurant relève de l'exception. Fêter un anniversaire consiste à offrir un parapluie solide, de jolies chaussettes, un produit cosmétique ou une tasse sur laquelle figureront un prénom, un dessin humoristique ou une blague au détriment du régime. Suivre la mode tient de la gageure : plutôt que d'acheter un jean, un t-shirt ou des chaussures, vous empruntez les vêtements des amis, doublant ainsi votre panoplie séductrice. Aller au cinéma vous transforme en critique impitoyable. Vous choisissez Urga plutôt que L'Armée des douze singes : avec les Américains, on est jamais sûr de la qualité…

Passer une soirée entre amis est chose courante (toute autre activité est ruineuse) mais frugale: une tablette de chocolat pour honorer l'hôtesse, trois litres de café turc pour accueillir les invités, une télé qui diffuse X-Files et Friends en version originale pour agrémenter la conversation (qui s'épuise tant ces réunions se ressemblent), améliorer votre anglais et vous donner l'illusion de partager le sort de tous les hommes. Soucieux de rompre la monotonie de ces rencontres, vous vous égarez parfois dans un bistro. Mais les temps sont difficiles pour ceux qui s'aiment : "Je ne fréquente plus certains amis d'enfance. Ils avaient de l'argent, moi pas.

Ça devenait gênant de se faire payer tous les pots. Peu à peu j'ai décliné les invitations. On se croise dans la rue, on se résume nos vies jusqu'à la prochaine rencontre ou au mariage de l'un ou de l'autre auquel on ne peut décemment pas échapper malgré les frais que ça occasionne" affirme Sandra, étudiante en géométrie. Dragana, étudiante en italien, renchérit : "On se voyait tous les soirs. Au début c'était super : on avait enfin un appart, on ne dépendait plus des parents pour se fréquenter. Mais à force de passer le temps de la même façon, de ne pas avoir de projet en commun à cause de la situation économique, on a plus rien eu à se dire. Certains ne viennent même plus: à quoi bon ? Y'a rien de nouveau.

On est devenu des amis étrangers les uns aux autres, embarqués dans la même galère". Le quotidien ne met pas seulement les amitiés en péril: il s'acharne aussi sur les nerfs… Biljana a besoin d'un dictionnaire pour son thème d'italien: elle fera le tour de Belgrade pour se procurer l'ouvrage auprès des étudiants miraculeusement détendeurs du trésor. Milica, sa co-locataire étudiante en espagnol, doit taper sa dissertation : inutile d'espérer un ordinateur. Par quel miracle a-t-elle dégoté une machine à écrire ? Mystère. Sandra, souhaite se nourrir correctement. Quelle chance! Ses parents habitent la campagne: elle ne sera pas obligée, comme tant d'autres, ni de vivre d'amour et d'eau fraîche ni de participer aux travaux des champs. En revanche, elle viendra aider à la zimnica : elle épluchera tomates, poivrons et autres légumes afin de les mettre dans des bocaux destinés à être dégustés toute l'année jusqu'au prochain été; elle fera faisander la viande de mouton et de porc puis la placera dans le congélateur en vous glissant à l'oreille: "J'espère qu'il y aura moins de coupures d'électricité cette année…" La ziminica se prépare l'été et permet à une famille de vivre toute l'année grâce aux produits des champs et de l'élevage. On trouve tout à Belgrade… à prix exorbitants.

Aussi Sandra devra-t-elle se rendre dans son village tous les mois pour en rapporter une lourde valise pleine de vivres. Quoique…: "La plupart du temps, j'y vais tous les trois mois. J'ai épuisé depuis longtemps mes réserves : je suis gourmande et mes amis savent quand la nourriture est arrivée… Une orgie pendant 15 jours ! Le prix du billet de bus ne cesse d'augmenter. Je ne peux pas me permettre tant d'aller-retour. Transporter une valise si chargée est épuisant, souvent humiliant : il faut trouver quelqu'un au village qui acceptera de t'amener à la gare. Une fois arrivé, faut se taper le bus bondé… Si on te laisse entrer! Le taxi ? Hors de question : trop cher."

Pour affronter les difficultés financières, trois solutions. Primo, le travail au noir ou le système D : la nuit, Biljana est serveuse dans un bar; Tania fabrique des objets en osier qu'elle revend aux touristes pour couvrir son séjour d'une semaine sur la côte monténégrine. Secondo, le mérite: tout étudiant peut prétendre à des bourses si ses notes sont excellentes. Mais la corruption, règle d'or du régime, règne jusque dans les couloirs des universités : "Je devais aller en Espagne, raconte Milica. J'avais toutes mes chances: grâce à mes notes j'étais deuxième sur la liste. Ni moi ni la jeune fille qui occupait la première place n'avons obtenu cette bourse. On ne nous a pas expliqué pourquoi. Ce genre de truc, c'est normal ici". Tercio : la solidarité familiale, seule valeur dont peut se glorifier la Serbie.

Tout un réseau d'entraide se tisse entre les Serbes de l'intérieur et ceux de la diaspora : "Ma tante vit à Paris, explique Sandra. Elle envoie médicaments, vêtements, DM. Ca permet de payer le téléphone, l'électricité au village ainsi que mon loyer à Belgrade. Ma mère tient les comptes, affirmant qu'elle lui rendra l'argent dès que la situation économique aura changé. C'est drôle non ?"

Doit-on s'apitoyer sur ces étudiants dont la vie est à l'image de celles des autres citoyens ? Certes non. Il y a eu Vukovar, Sarajevo, Srebrenica…: question larmes et indignation, on a déjà donné. L'enjeu n'est pas de compatir mais de comprendre comment une situation matérielle désastreuse influe sur un "comportement citoyen". Les difficultés, distillées à "faibles" doses mais avec une régularité à toute épreuve rendent égoïste. Dix ans à ce rythme là et c'est chacun pour soi: "Ma seule ambition est de rejoindre mon frère en Espagne , affirme Milica. Ici, même avec un doctorat en poche je ne peux rien faire. Là-bas j'aurai au moins un travail". Poursuivre ses études en Serbie c'est feindre qu'un avenir est possible. Ce repli sur soi est un désastre car il s'accompagne d'une fuite des cerveaux et d'un rejet toujours plus obstiné de la politique : "En 96, on a essayé d'agir. Trois mois de manifestations monstres… Ça n'a servi à rien. On ne m'y prendra plus" ajoute Milica.

En 1993, tandis que la Bosnie agonisait à coups de bombes et de viols, les Serbes connaissaient une inflation démente : le salaire moyen équivalait à 10 DM (35 Frs), le dentifrice à 8. Vu d'ici, depuis le confort capitaliste d'une démocratie, le parallèle est monstrueux; vu de près, on doute de son héroïsme personnel en cas de situation similaire. La dictature de Milosevic ne repose pas sur la terreur mais sur l'entretien d'un marasme économique qui épuise la population aussi bien physiquement que moralement. Or toute velléité de lutte exige de l'énergie: en Serbie, cette énergie, dépensée exclusivement à survivre, explique en partie, le manque de réaction politique, l'incapacité des gens à prendre leur destin en mains. Rien ne saurait justifier les guerres en ex-Yougoslavie. Tout concourrait et concourt à rendre les Serbes insensibles aux malheurs des autres et impuissants à remédier aux leurs.

Servitude volontaire et inéluctable ? 

Mais la paupérisation n'explique pas à elle seule l'inertie de la population. L'apathie politique est à la fois volontaire et entretenue par un régime qui contrôle les médias. Les guerres en Croatie et Bosnie ont fait l'objet d'une censure ou d'une falsification systématiques (on reconnaît ici la stratégie politique propre aux pays en guerre). Habitués à leurs mensonges et à leurs inepties, les gens ont cessé de prêter attention aux discours des journalistes et des sbires de Milosevic. On pourra leur reprocher de n'avoir pas cherché d'autres sources d'information. Rappelons, sans pour autant considérer le reproche comme infondé; que les journaux étrangers se font rares sous les dictatures; que les propriétaires d'un ordinateur relié au Web ou d'une antenne parabolique le sont tout autant; que la population, souffrant d'une paranoïa nourrie par le régime, considère avec la même suspicion journalistes occidentaux et serbes…

L'information ne circule pas grâce aux médias : en Serbie, la source de toute connaissance c'est la rumeur. Pour lui accorder du crédit, il faut qu'elle vienne de la bouche d'un serbe. Ainsi Milica, Biljana et Dragana ont été horrifiées, le mot est faible, d'apprendre qu'au cours de la guerre en Croatie, soldats serbes et croates jouaient au football avec des têtes d'enfants; que les Kosovars albanais ne devaient pas circuler à Pristina après le couvre feu sous peine d'avoir la tête brisée contre le pavé etc. La révélation venait de Dule, étudiant en philosophie à Pristina après avoir été enrôlé dans l'armée en 1991. En août 98 Svetlana, serveuse dans un bar de province, découvrait avec horreur ce dont avaient été capables les officiers serbes durant la guerre au Kosovo: l'information lui venait de son neveu, policier envoyé durant 4 mois sur le terrain. Les Serbes dans le rôle du bourreau ? Inconcevable ! L'histoire de la Serbie ne prouve-t-elle pas tout le contraire ? Peuple courageux (ils tentent de repousser les Ottomans à la Bataille du Kosovo), épris de liberté (les premières insurrections contre le pouvoir ottoman sont le fait des Serbes), peuple juste, toujours au côté des Alliés (souvenez-vous du rôle des Serbes lors de la Première et Seconde guerres mondiales).

Ce passé glorieux ne suffirait pas à cautionner les "dérapages" actuels si les intellectuels ne soutenaient pas l'idéologie nationaliste. Ces derniers présentent toujours le peuple serbe comme une victime (c'est leur droit le plus stricte et l'Histoire considérée sous un certain angle leur donne raison) : le malheur semble être la propriété exclusive des Serbes… "Sarajevo n'est qu'un détail dans l'histoire des guerres de l'ex-Yougoslavie: des centaines de villages serbes ont, eux aussi, été rasés" m'affirmait une étudiante de l'INALCO. En 1991 après la chute de Vukovar, le peintre serbe Milic Stankovic installait son chevalet sur la place dévastée de la ville afin de "peindre la souffrance de son peuple": le tableau montre une serbe des entrailles de laquelle son mari croate arrache leur bébé avec un couteau pour lui éviter d'engendrer un métis… L'élite culturelle n'est pas coupable de revenir inlassablement sur " la souffrance du peuple serbe" mais bien de ne pas reconnaître celle des autres, Albanais Bosniaques ou Croates.

Ce refus a des conséquences dramatiques car il influence tous les esprits. En effet : 1/ Erigée en victime, la population devient incapable de se remettre en cause. Ou pourrait-elle trouver la force de le faire quand ses intellectuels l'en ont privé afin de mieux soutenir le dictateur ? 2/ Ressasser et glorifier la souffrance, c'est établir un rapport étroit pour ainsi dire ontologique entre les Serbes et elle. A l'époque titiste tous les discours faisaient des Yougoslaves des héros : ils ont repoussé les nazis, dit "non" à Staline puis choisi la voix des non-alignés, etc. Avec l'avènement de Milosevic, la souffrance devient le socle de l'identité serbe. Cette conception de l'identité était déjà possible autrefois mais c'est Milosevic et ses admirateurs qui l'ont érigé en système et convaincu la population de sa validité. Le discours des intellectuels se nourrit de morbide: "Il y a au Kosovo tant de sang et tant de reliques serbes que le Kosovo restera serbe même lorsqu'il n'y aura plus un seul serbe au Kosovo" affirme Matija Betkovic, poète et académicien serbe. La logique veut que la guerre et son cortège d'horreurs deviennent le moyen le plus efficace de son expression. Et d'anciennes chansons de revenir à la mode : "Qui ment ainsi ? Qui raconte "petite est la Serbie" ?/ Elle ne l'est pas: par trois fois elle guerroya/ Et demain encore une fois: si de la chance elle a/ Et demain encore une fois: esclave elle ne sera pas !" : la grandeur et le bonheur d'un pays se mesure donc à ses occasions de faire la guerre… Certains ne partagent pas cette humeur belliqueuse née d'une glorification de la souffrance. Dès 88 Doka Balasevic, chansonnier serbe, enregistrait le texte suivant : "Pourvu que la guerre n'éclate pas / Que la folie des gens ne s'empare pas/ Les puissants nous abreuvent d'illusions/ Nous effraient à coup d'aberrations/ Et détruisent les contes de fée/ Que la guerre n'éclate pas !". Mais que pouvait et peut faire un poète contre toute une armada médiatique, contre des discours qui faisaient et font de la guerre un mythe romantique plus qu'une réalité humaine ? Mes amis, un verre à la main, vilipendaient les Croates et appelaient la guerre de leurs vœux au cours de l'été 88 ; Sandra à la veille de la guerre avec la Croatie s'exclamait outrée : "Y'a des déserteurs ! J'ai des amis qui refusent de se battre! Quels lâches !".

Dès 92 cette adhésion au discours dominant cesse d'être aussi massive. La naïveté et l'aveuglement ont cédé la place au désenchantement : "Durant la guerre [avec la Croatie], j'ai vu des atrocités commises par les Serbes comme par les Croates, j'ai vu des élans de solidarité entre les victimes des deux camps : on ne m'y reprendra plus question nationalisme…" m'expliquait Dule revenu du siège de Vukovar. Aujourd'hui rares sont ceux qui se déclarent favorables à Milosevic. Néanmoins si leur désaffection repose parfois sur une prise de conscience de l'atrocité de sa politique le sentiment d'avoir été trompé, bafoué, volé, (victime pour la énième fois !) prévaut avant tout. Tant que les intellectuels serbes se feront les porte-parole d'un criminel au pouvoir, la mentalité serbe n'a guère de chance d'évoluer.

D'aucun s'écrieront que tout espoir n'est pas mort puisqu'il y a OTPOR!. Certes. Le cite consacré à ce mouvement témoigne de son succès auprès de la population. Malgré une avalanche de textes argumentatifs mais fastidieux, le discours politique dont il se réclame semble des plus fréquentables. La révolte dont OTPOR! est porteur n'a rien d'une révolte morale. La rébellion semble avoir des racines plutôt économiques et existentielles : un ras-le-bol généralisé, un désespoir profond. Parmi les photographies disponibles sur le cite et censées illustrer les idées du mouvement, l'une d'elle montre Milosevic sous les traits de Hitler: hier, la chose était encore impossible. Cependant, OTPOR!, tout comme PROTEST en 1996-1997, est voué à l'échec s'il n'obtient pas un véritable soutien de la part des Européens. Pour que ce mouvement s'ancre dans la population l'Occident doit changer sa stratégie.

Ecouter et parler c'est guérir

Car l'Occident n'est pas sans entretenir "la flamme du martyr" chez les Serbes. Bombarder toute la Serbie plutôt que les instruments du pouvoir n'a fait que donner raisons aux sbires de Milosevic : "C'est pas Sloba qu'ils bombardent mais nos maisons, nos usines, nos routes! C'est nous qu'ils veulent éradiquer !", telle était l'opinion générale au moment des bombardements.

Dès lors, il devient difficile de parler des exactions serbes. C'est à peine si l'on vous croit. On s'empresse de vous fournir les preuves du martyr serbe. Gardez-vous de nier leur exactitude: vous ne feriez que rendre tout dialogue impossible. En effet : 1/ Les références historiques de vos interlocuteurs sont exactes: elles ont simplement subi une dramatisation nationaliste susceptible d'émouvoir un croque-mort. Question de point de vue. Placez un fou à la tête de l'état français et vous découvrirez combien les Français ont été victimes… des Anglais par exemple… rappelez-vous Jeanne d'Arc ! 2/ Refuser cette perception de l'histoire c'est se montrer insensible au martyr (réel ET fantasmé) de vos interlocuteurs: pour répondre à un tel outrage qui nie leur identité profonde, ils vous rappelleront vos erreurs passées (la France de Vichy, la Guerre d'Algérie et ses tortionnaires,) les incohérences occidentales (le statut des langues régionales en France, le Rwanda, la Tchétchénie), histoire de contrecarrer votre arrogance démocratique. 3/ S'ils acceptent de remettre en cause leur perception de l'histoire, ils courent le risque de voir leurs certitudes s'écrouler. Quoi de plus effrayant ? Souvenez-vous de la réaction des communistes après la découverte des camps staliniens… Face à une telle menace, vos interlocuteurs n'hésiteront pas à se montrer de mauvaise foi.

Rassurez-vous: comprendre le point de vue serbe ne consiste pas à l'adopter mais à engager un dialogue autre que moralisateur, à soulever des questions sans prétendre avoir la réponse et sans les accuser comme s'ils avaient eux-mêmes directement participer à l'horreur des guerres en ex-Yougoslavie. Ne vous trompez pas d'ennemi : ce n'est pas Arkan que vous avez devant vous mais un simple citoyen pétri de contradictions! Accordez-leur le statut de victime au début de la conversation et leur discours sera bien différent de celui dont les médias occidentaux vous abreuvent. "On sait fort bien de quoi vous parler mais ça fait si mal de l'accepter" explique Biljana. Héléna, mariée à un policier, s'exclame : "J'en ai rien à faire du Kosovo ! J'y ai jamais mis et n'y mettrai jamais les pieds".

"Alors tu parles d'un attachement sentimental ! Mon mari a été envoyé sur le front en Croatie, puis en Bosnie. Voilà 4 mois qu'il est au Kosovo ! Moi ce que j'aimerais, c'est qu'il revienne, s'installe pour de bon, ici, avec nous et voit grandir les enfants. Peu importe qui gouvernera le Kosovo, les Américains ou d'autres, l'essentiel est résoudre le problème. Si la solution c'est l'indépendance, va pour l'indépendance !". "Les Albanais sont des ingrats: on leur a tout donné : écoles, universités, journaux… Je ne comprends pas leur attitude mais rien ne peut justifier la nôtre car elle était pleine de racisme. Le monde entier nous considère comme des brutes et des porcs ? Il a bien raison, c'est ainsi que nous avons agi" constate Vlada, étudiant en droit. En somme, il ne s'agit ni de donner des leçons ni de désigner les coupables en endossant la panoplie des justiciers.

Pour autant il ne s'agit ni de nier les crimes ni de soustraire les criminels à la justice mais simplement de laisser le temps à cette nouvelle génération de se remettre d'un drame collectif dont elle a, elle aussi, été victime et de hâter le travail du Tribunal de La Haye. Le rôle des intellectuels occidentaux est de comprendre non de juger, de proposer des outils d'analyse non de condamner. Mépriser la "mentalité serbe" depuis sa tour d'ivoire aux certitudes démocratiques, c'est participer à un dialogue de sourds où la Serbie est autiste et l'Occident inquisiteur, entretenir la paranoïa et précipiter les jeunes dans le vide. Continuons et il ne restera en Serbie en guise de jeunesse que les émules de Marko, fils du leader, qui ne connaît d'autre passion que celle des voitures de course; en guise de conscience politique, la piètre opposition dont on connaît le nationalisme, la faiblesse, les revirements ; en guise de projet économique, social et politique, l'exil ou le replis identitaire. Ce scénario a déjà fait ses preuves : essayons d'en inventer un autre.

Par Angélique RISTIC
Vignette : Novi Sad (Photo libre de droit, attribution non requise)