Pour des centaines de milliers d’élèves et d’enseignants polonais, 2009 s’annonce comme l’année du changement: le ministère de l’Education nationale envisage une profonde réforme du système éducatif, la plus ambitieuse depuis 1989. En septembre prochain, les enfants pourraient faire leur entrée dans le primaire dès six ans, et les écoles être gérées par des fondations ou associations. Ce qui n’est pas sans soulever de nombreuses protestations…
L’objectif de la réforme, ainsi que l’a présenté cette année la ministre de l’Education Katarzyna Hall, est la mise en œuvre d’une « éducation efficace, agréable et moderne ». En d’autres termes, il s’agit pour l’école polonaise de s’adapter aux défis de son temps, d’être plus ouverte, décentralisée, et libre de toute pression idéologique. Le temps est venu de rompre définitivement avec les reliquats de la démocratie populaire et de l’époque Giertych[1] (il était alors question de contrôler davantage les programmes et les ouvrages et de réintroduire les uniformes). Cependant, dès leur annonce, les mesures prévues ont soulevé une intense émotion dans l’ensemble de la société. Tous –politiques, syndicats, parents d’élèves, collectivités– se sont en particulier mobilisés ces dernières semaines pour ou contre le projet de loi, si bien qu’une table-ronde a été organisée pendant plusieurs jours au Palais présidentiel de Varsovie à la fin du mois d’octobre.
Six ans, l’âge d’aller à l’école ?
En premier lieu, le ministère de l’Education nationale (MEN) prévoit d’avancer d’un an l’ensemble du parcours scolaire: les enfants intègreront désormais le primaire à six ans (au lieu de sept), et les jeunes sortiront du secondaire non plus à 19, mais à 18 ans. Pour le MEN, cette mesure a une profonde signification sociale: il s’agit d’égaliser les chances entre tous les enfants, et notamment pour ceux qui évoluent dans des environnements défavorisés (en particulier dans les campagnes) en les faisant entrer plus tôt à l’école. On espère également augmenter l’accessibilité des classes de maternelle, et se rapprocher ainsi des critères européens. La Pologne demeure en effet bien en deçà de la moyenne communautaire en ce qui concerne l’enseignement préscolaire[2]. Enfin, il s’agit d’engager plus rapidement les jeunes dans les études supérieures puis sur le marché du travail, afin de soutenir les besoins des retraités toujours plus nombreux.
Malgré les nuances apportées par la ministre -l’obligation de placer les enfants à l’école primaire dès l’âge de six ans ne sera définitive qu’en 2012 et pendant trois ans les parents conserveront le choix de la décision- cet aspect de la réforme, depuis mai 2008, mobilise les parents comme jamais. Tous dénoncent un projet mis en œuvre dans la précipitation, qu’ils considèrent comme une « expérimentation » sur les enfants et une source potentielle de souffrances.
Fin septembre, plus de 200 parents ont manifesté à Varsovie devant le ministère. Les actions les plus visibles sont menées par les organisations Prawa Rodzicow (qui milite pour les droits et la liberté de choix des parents), Forum Rodzicow (le forum des parents), ou encore Ratuj Maluchy!(littéralement « Sauve les tous petits ! »)[3]. Cette dernière a été fondée par les parents d’une famille de quatre enfants originaire de Legionowo (près de Varsovie), M. et Mme Elbanowski. En l’espace d’un mois, une centaine de pères et mères de famille s’y sont inscrits quotidiennement, si bien qu'à la fin du mois d'octobre, ils étaient plus de 30 000 à soutenir leur action. Au cours du même mois, Ratuj Maluchy ! a lancé l’offensive « Main visible » : un envoi massif, au MEN et à la chancellerie du Premier ministre, de courriels accompagnés de photos de famille, et de télécopies portant le tracé d’une main, pour dénoncer leur mise à l’écart dans les débats. Début novembre, l’organisation en a appelé à d’autres ministères de l’Education en Europe, notamment français.
« Je suis contre cette réforme » ; « Je ne suis pas virtuel ! » (source : www.ratujmaluchy.pl)
Des établissements à la hauteur ?
De l’avis des parents, mais également de spécialistes de l’éducation, les écoles primaires polonaises seront loin d’être prêtes, d’ici un an, à accueillir des élèves plus jeunes. Leur prise en charge nécessite de réaménager les locaux et d’acquérir de nouveaux équipements (fauteuils, peluches, jeux d’éveil, ordinateurs, projecteurs, etc.). Le ministère de l’Education assure que les besoins des établissements ont bien été pris en considération, et que d’ici un an les écoles seront pourvues du matériel nécessaire. En outre, les enfants de première année ne devront pas être plus de 25 par classe, et les écoles devront disposer de foyers ouverts jusqu’à 17 heures au moins, pour les accueillir après les cours. « Nous exigerons et nous mettrons en œuvre cette réforme de telle sorte qu’aucun enfant n’en souffre. Je comprends l’inquiétude des parents », avait déclaré en juin l’actuel sous-secrétaire d’Etat au MEN, Zbigniew Marciniak.
Cela n’a pas suffi à rassurer les inquiets. D’ailleurs, un rapport réalisé par des pédagogues de l’université de Varsovie, et paru à la fin du mois de septembre, démontre que même dans la capitale, la moitié des établissements primaires ne dispose d’aucun foyer d’accueil, et dans deux tiers d’entre eux les salles sont beaucoup trop petites. Selon l’un des auteurs du rapport, les collectivités dans leur ensemble auront à peine le temps d’évaluer leurs besoins en locaux si la réforme doit entrer en vigueur en septembre 2009. La moitié des premières classes de Varsovie devraient alors fonctionner par roulement, ce que redoutent de nombreux parents. L’inquiétude est d’autant plus forte lorsqu’il s’agit des campagnes, car selon le projet du MEN, les enfants de six et sept ans suivront dans un premier temps le même enseignement. Or, dans les territoires de l’est du pays par exemple, presque 30 % des écoles fonctionnent déjà par classes mixtes composées de premières et deuxièmes années : avec l’arrivée des six ans, on trouverait jusqu’à trois âges différents dans une même classe.
Introduire des enfants d’un an plus jeunes implique de repenser l’enseignement. La refonte des programmes est d’ores et déjà prévue par le ministère et touchera l’ensemble de la scolarité jusqu’au secondaire (avec entre autres l’apprentissage obligatoire d’une langue étrangère dès la première classe de primaire). Mais ce qui préoccupe davantage est la question du rapport des maîtres aux élèves. Car même si l’on assure dès à présent une formation pour les enseignants et les directeurs, quelques mois ne suffiront pas à modifier fondamentalement les modes de fonctionnement.
Si la réforme passe, les enfants qui entreront à l’école l’année prochaine n’auront pas tous le même bagage : certains, sortis de classe « zéro » ou de maternelle[4], auront été préparés à « affronter » l’environnement scolaire, d’autres non. Les enseignants devront s’adresser à des enfants d’âge et de maturité divers, plus ou moins préparés à recevoir leurs discours. Or pour de nombreux parents, les enseignants ne sont pas bien formés, l’école polonaise souffre de trop de rigidités et génère un climat de stress. Un changement profond des mentalités devrait être accompli pour véritablement moderniser l’école. Compte tenu des délais, les enfants pourraient bien pâtir du changement.
Afin de convaincre les établissements du bien fondé de la réforme, et de les aider à s’y préparer, le ministère de l’Education annonçait à la fin du mois d’octobre la mobilisation d'une soixantaine d’« émissaires » à travers tout le pays. Ces promoteurs de la réforme, formés par le MEN, doivent rencontrer d'ici la mi-décembre des directeurs, employés de maternelles et d’écoles primaires, ainsi que les associations de parents d’élèves. La tâche s’annonce rude, tant les opposants sont nombreux. D’ailleurs, selon un sondage paru dans le quotidien Gazeta Wyborcza fin novembre, 79 % des Polonais se disent contre l’entrée à l’école primaire à six ans.
Des récompenses pour les bonnes pratiques
Se pose par ailleurs la question du financement de la réforme. Une enveloppe de 347 millions de zlotys (soit presque 92 millions d’euros) a été prévue pour l’adaptation des écoles du pays à l’accueil des six ans. Mais K. Hall souhaite répartir cet argent en fonction du nombre de nouveaux inscrits, et non de façon égalitaire. Le nombre d’inscrits témoignant de la confiance des parents envers les écoles, cela encouragera les collectivités territoriales et les directeurs d’établissement à faire plus pour améliorer les conditions d’accueil et de prise en charge. En outre, grâce à un système rémunérant les meilleures pratiques, la ministre espère inciter les écoles à s’ouvrir davantage, et instaurer un meilleur dialogue entre elles et les parents. Ces derniers regrettent souvent d’avoir en face d’eux des établissements-forteresses, de ne pouvoir participer à la vie scolaire, exprimer leur opinion sur les programmes ou sur les méthodes des enseignants (ce qui ressort d’un débat organisé début octobre avec la ministre par la rédaction du journal Polska).
Si, d’après Katarzyna Hall, certaines collectivités s’efforcent déjà de montrer leurs écoles sous leur meilleur jour, certains estiment que cette pratique ne fera qu’accroître les différences entre établissements. Globalement, du reste, le montant prévu pour la réforme est jugé largement insuffisant.
Lors de la table ronde d’octobre, la plupart des opposants au projet se sont prononcés en faveur d’un report de l’avancée de la scolarité d’ici 2011-2012, ce qui laisserait du temps pour résoudre la question des maternelles et s’assurer de la capacité des enfants à intégrer le primaire. Les représentants du MEN sont restés fermes à ce sujet : pour des raisons démographiques, l’année 2009 s’avère la plus pertinente pour démarrer, car les enfants de six ans seront moins nombreux (350 000 au total) ; ensuite, parce que le libre choix laissé aux parents pendant encore trois ans ne devrait faire augmenter les effectifs de première année que d’un tiers au maximum.
L’opposition en a alors appelé au veto présidentiel. Mais, le 13 novembre, Lech Kaczynski a déclaré n’avoir pas encore pris position, bien qu’il soutienne l’idée d’un décalage de la scolarité. Pour autant, le MEN avait déjà entériné les nouveaux programmes et donné le feu vert aux éditeurs d'ouvrages scolaires…
La privatisation de l’éducation
La décision du Président dépend aujourd’hui d’une autre question brûlante, qui, elle, mobilise surtout les politiques: la possibilité, pour les collectivités, de transférer la gestion des écoles à des organismes privés tels qu’associations ou fondations. Selon la ministre, ces dernières comprennent mieux les besoins de la population locale, et peuvent assurer une gestion plus habile et plus rentable des établissements. Si l’opposition accuse le MEN de se défaire de ses responsabilités, et dénonce une privatisation de l’éducation, K. Hall dément catégoriquement cette idée: les écoles conserveront leur statut public, l’accès y restera gratuit et universel. Et si les organismes repreneurs souhaitent finalement céder l’établissement, la collectivité sera dans l’obligation de le récupérer. Ainsi, on évitera toute entrave à l’apprentissage des élèves.
Malgré la menace de veto présidentiel, la ministre reste sur ses positions et espère bien que sa loi sera entérinée à la Diète avant la fin de l’année[5]. Le mot de la fin reste donc à venir…
Par Amélie BONNET
[1] Roman Giertych, ministre controversé de l’Education en 2006-2007, fondateur du parti ultra-catholique LPR (Ligue des familles polonaises).
[2] La majorité des écoliers européens intègre le primaire à six ans, voire à cinq ans dans le cas de la Grande-Bretagne. En dehors de la Pologne, seuls le Danemark, la Suède, la Finlande, la Lituanie et l’Estonie fixent l’âge d’entrée obligatoire dans la scolarité à sept ans.
[3] www.prawarodzicow.pl, www.forumrodzicow.pl, www.ratujmaluchy.pl
[4] La classe dite « zéro » est une année obligatoire de préparation à l’école primaire, la maternelle n’étant pas obligatoire. A l’heure actuelle, elle accueille donc les enfants de six ans. Ces classes sont organisées dans les établissements primaires ou dans les maternelles. Comme le programme suivi et celui de première année de primaire s’avèrent redondants, cela justifie d’autant, pour le MEN, d’avancer l’âge de scolarisation d’une année.
[5] Outre la refonte du système éducatif, le ministère souhaite revoir la « Carte de l’enseignant » avec, entre autres, la question du temps de travail et des privilèges de retraites.
Sources: polskatimes.pl, rp.pl, wyborcza.pl, europschool.net, polskieradio.pl
A venir dans un prochain article : la question des maternelles en Pologne