Pourquoi parler de Bélarus? Pourquoi ne pas parler de Biélorussie?

Préparer un dossier au sujet du Bélarus, demande de faire des choix linguistiques. Et puisque des enjeux politiques et culturels sous-tendent ces choix, nous avons souhaité expliquer ceux que nous avons faits. Voici pourquoi nous avons décidé d'employer le terme de «Bélarus», nom du pays officiellement reconnu par l’ONU.


Qu’est-ce que le Bélarus ? Et pourquoi ne pas parler plutôt de Biélorussie? Un débat existe sur ces appellations et sur l'emploi de leurs dérivés (bélarusse, biélorusse, bélarussien, biélorussien). Ainsi, en France, plusieurs écoles s'opposent depuis l’introduction en 1991 du terme Bélarus par les autorités du pays nouvellement indépendant. Compte tenu de cette situation, nous avons fait un choix: depuis 2010 la rédaction de Regard sur l’Est a opté pour l'emploi du terme internationalement reconnu de «Bélarus» pour désigner cette république post-soviétique et de l’adjectif «bélarusse» pour désigner les institutions nationales et les habitants du pays. En outre, nous avons opté pour le terme «bélarussien» pour désigner la langue slave, distincte du russe, et qui a le statut de langue officielle dans ce pays. Sur une population de 9 millions et demi d’habitants, selon le recensement de 2009, environ 53% des habitants du Bélarus déclarent le bélarussien comme leur langue maternelle, mais seulement 23% en font un usage quotidien. D’autres sondages indépendants fournissent des chiffres bien plus bas. L’emploi du terme «Biélorussie» sera lui seulement employé pour désigner ce pays au sein de l'URSS (1922-1991), en tant que république socialiste soviétique de Biélorussie.

Bélarus ou Biélorussie?

En France, la Commission nationale de toponymie, les ministères des Affaires étrangères et de l’Éducation nationale, l’Académie française, l’Institut géographique national (IGN) et la Commission générale de terminologie et de néologie recommandent l’usage de l’appellation de «Biélorussie» pour désigner ce pays.

Historiquement parlant la réalité est bien plus complexe. Ainsi, Virginie Symaniec nous explique que «c’est dans le cadre de l’empire de Russie que naissent les concepts modernes de «Bieloroussiïa» (en russe) et de «Bielarous» (en biélorussien), lesquels ne recouvrent ni les mêmes territoires ni les mêmes populations». Le terme «Bielarous» a lui été formé à partir de «Bielaïa Rous» (Rous blanche), expression apparue au XIIe siècle, laquelle, contenant le mot «Rous», relie le Bélarus à «la Rus’ originelle, médiévale, qui réunissait en un même peuple les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens»[1].

Cependant, au XVIIIe siècle, la Russie (Rossiïa) politique, peuplée par les Russes (Rousskie) fait son apparition, à la place de la Moscovie. Le pouvoir, alors situé à Saint-Pétersbourg, fit en sorte que le mot russe (Rossiïa) remplace systématiquement celui qui le précédait (Rous) pour désigner les terres prises à la Pologne. Et comme le nom pouvait être traduit par «Russie blanche», les autorités tsaristes donnaient ainsi l’impression que le Bélarus n’était qu’un territoire de la Russie comme les autres. D'après V.Symaniec et J.-C.Lallemand, «le terme de Biélorussie renvoie à la notion de russité et présente donc un caractère légèrement discriminatoire, comme si l’on parlait d’une sous-catégorie de Russes.»[2]. Par respect pour l’identité nationale et culturelle des habitants du pays, nous avons donc choisi de nous abstenir d’utiliser le terme de «biélorusse» pour les désigner.

Le nom de Bélarus est la transposition en français d'une transcription allemande du nom que le gouvernement de Minsk a imposé à l'ONU dès son indépendance en 1991[3]. Notons que ce terme avait été brièvement utilisé sous l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale[4]. En anglais, le terme «Belarus» est employé depuis 1991 de manière univoque. En français, l'emploi du terme est considéré comme imprécis par certains spécialistes[5]. La Commission de toponymie refuse pour le moment de revoir sa position: s'il fallait reprendre ce terme, alors il faudrait le transcrire en français «Bielarous». Faute de mieux, Regard sur l’Est emploie «Bélarus» pour désigner le pays, considérant que c’est la forme la plus proche de l’appellation demandée par le pays. Par ailleurs, si le mot Bélarus a timidement fait son entrée dans la presse française (Le Nouvel observateur du 29 mai 2014), il est déjà employé au Québec, ainsi que l'adjectif bélarussien pour désigner la population du Bélarus[6]. La rédaction a toutefois choisi ici de réserver cet adjectif à la langue, mais d'utiliser l’adjectif «bélarusse», suivant le modèle allemand, pour désigner la population du pays et les institutions. Ce terme a déjà été utilisé entre autres par le site france-belarus.com tout comme par la presse francophone belge ou par la version française de la radio La Voix de la Russie.

Choix de translittération des toponymes et des noms

Dans ce dossier, la rédaction a choisi de donner la priorité au bélarussien dans la translitération des toponymes et des noms pour accorder de la visibilité à cette langue méconnue et la distinguer clairement du russe[7]. Seront translittérées pour cela les désignations en bélarussien «soviétisé»[8], c’est-à-dire postérieures à la réforme de 1933, qui correspond à la norme aujourd'hui enseignée à l'école. Cependant, il existe d'autres normes orthographiques de cette langue, qui font référence à des époques ainsi qu’à des visées politiques diverses. En effet, quiconque utiliserait la tarachkievitsa (d’après Branislaù Tarachkievitch, du nom de l’auteur de la première grammaire moderne du bélarussien, publiée à Vilnius en 1918), revendiquée par certains milieux nationalistes, serait qualifié d’opposant au président A.Loukachenka. La graphie réformée de 1933 est plus proche du russe que la tarachkievitsa: par exemple le prénom Aliaksandar et la ville de Harodnia en bélarussien tarachkievitsa, s’orthographient Aliaksandr et Hrodna en bélarussien réformé (graphie employée dans ce dossier), mais Aleksandr et Grodno en russe, graphie à laquelle un lectorat francophone est certes plus habitué. C’est la version établie en 1933 qui «sert aujourd’hui de référant symbolique à la nation biélorusse, par opposition à la langue et à la nation russe»[9]. C'est donc celle qui est utilisée ici.

Le tableau de translittération imposé a été défini sur la base de celui qui est généralement utilisé dans les langues slaves écrites avec l’alphabet cyrillique et notamment les normes internationales de translittération du bélarussien en français. Celles-ci s'écartent fortement de l’alphabet dit «latsinka», translittération en alphabet latin du bélarussien, utilisée de la fin du XVIIe siècle au début du XXe siècle. Cependant, des signes supplémentaires ont été ajoutés pour rendre compte des spécificités du bélarussien même s'ils ne sauraient pas toujours traduire les sons parfaitement en français. C’est le cas de «ў», «ou» court, un son proche du «w» anglais. Lettre propre à la langue bélarussienne, nous avons choisi de la transcrire «ù» suivant la proposition de V.Symaniec, J.-C.Lallemand et A.Goujon[10]. Par ailleurs, le «г» est transcrit, surtout en début de mot, par h, son proche de l’anglais horse. Enfin, nous avons choisi de ne pas retranscrire le signe mou.

Notes :
[1] Alexandra Goujon, Jean-Charles Lallemand et Virginie Symaniec (dir.) , Chroniques sur la Biélorussie contemporaine, L’Harmattan, 2001, p.3; Alexandra Goujon, Révolutions politiques et identitaires en Ukraine et en Biélorussie, Belin, 2009, p.7.
[2] Biélorussie, mécanique d’une dictature, dir. Jean-Charles Lallemand, Virginie Symaniec, Les Petits Matins, Paris, 2007, p. 11
[3] Ibid., p. 26
[4] Parlons biélorussien, Langue et culture, Virginie Symaniec et Alexandra Goujon, L’Harmattan, Paris, 1997, 380 pages, p. 7
[5] Horia-Victor Lefter, «Belarus, Biélorussie, biélorussianité... Comment (bien) parler du pays de Loukachenko?», entretien avec Virginie Symaniec publié le 17 décembre 2010 sur Le Taurillon.
[6] Voir la «Liste des noms de pays, Traduction, terminologie et interprétation» proposée par la Section de Traduction, terminologie et interprétation auprès des Services gouvernementaux du Canada, consultée le 10 juin 2014. La publication suivante suit ces règles: François Dépelteau et Aurélie Lacassagne (dir.), Le Bélarus, l’État de l’exception, Les Presses de l’Université de Laval, 2003.
[7] À écouter également Ihar Klimau, Two Standard Languages within Belarusian: a Case of Bi-cultural Conflict, Semaine culture l’Ukraine et la Biélorussie, Université Paris I - Panthéon Sorbonne, 25 mars 2006 ou bien à lire Mikalai Kliashchuk & Kanstantin Tsedryk, «Le paradoxe linguistique au Bélarus, Le Bélarus sans le bélarussien», Université Western Ontario, Canada, 2006.
[8] Nicolas Broutin, «Biélorussie. La question linguistique au cœur des enjeux identitaires», Grande Europe, n° 21, juin 2010 – La Documentation française.
[9] Ibid. note 5, p. 23
[10] Ibid. note 1, p. 3.