Préserver la Caspienne pour s’assurer un meilleur avenir

Au début de l'année 2010, le port d'Aktau, au Kazakhstan, a accueilli une rencontre de représentants kazakhs du programme écologique CaspEco. Cette rencontre a été organisée en coopération avec les organisations scientifiques et juridiques de Manguistau qui ont remporté le prix CaspEco 2010 pour leur projet portant sur la situation écologique de la Caspienne.


Texte publié dans Ogni Mangystau, 23 février 2010.

Plus grand lac de la planète ou véritable mer, la Caspienne a fourni pendant des siècles les ressources piscicoles des riverains. Il suffit de mentionner le fameux caviar d’esturgeon de la Caspienne pour imaginer la grandeur et la noblesse symboliques de ce lieu. Mais la Caspienne est également connue depuis la fin du XIXème siècle pour ses ressources en gaz et en pétrole. Les plus grandes compagnies internationales contribuent à les extraire et à construire les infrastructures permettant de les acheminer sur le marché international. De cette manière, produits et passagers issus de toute la région transitent sur la Caspienne.

Esturgeons et phoques menacés

Outre ces aspects économiques, il convient de prendre en considération la question de l’écologie de la Caspienne, qui représente aussi un fort potentiel pour le développement d’un tourisme vert. Les arguments sont en effet nombreux: plages de sables qui s’étendent sur des kilomètres, littoraux et tourbières, forêts et monuments historiques, sans compter des vues remarquables depuis les bords de mer.

Or, la biodiversité unique de la Caspienne n’a suscité l’intérêt des spécialistes qu’à la toute fin du siècle dernier. Ils ont été alertés par les menaces pesant sur les deux symboles forts de ce lac: l’esturgeon et le phoque de la Caspienne. L’hécatombe qui touche ce dernier est attribuée au virus de la maladie de Carré, endémique à la Caspienne, à des polluants particulièrement toxiques et au braconnage. Le nombre d’esturgeons a dramatiquement baissé, principalement à cause du braconnage. Mais il n’est pas le seul poisson touché: l’anchois de la Caspienne est aussi menacé de disparition à cause des pêcheurs braconniers mais aussi d'une méduse (cténaire Mnemiopsis) qui, à l’instar du phoque et d’autres animaux marins, se nourrit d’anchois. Qui plus est, en l’absence de prédateur naturel, cette méduse se reproduit à grande vitesse.

Les méfaits de l'hydrogène sulfuré

D’autres dangers pèsent sur l’environnement de la Caspienne. La pollution générée par le déversement des déchets industriels, agricoles et des villes, de même que les accidents polluants et les fuites de pétrole. Ce dernier point pose particulièrement problème sachant que, selon les prospectives, il est prévu d’extraire cinq fois plus de pétrole caspien d’ici 2020, pour atteindre 5 millions de barils par an. « Il est actuellement impossible d’affirmer que la recherche et l’extraction de pétrole menaceront sérieusement l’environnement caspien, si tout se déroule comme il se doit », affirme Arkadioush Labon, consultant en pêche résidant à Toronto (Canada) qui a coordonné les plus grandes recherches sur les ressources piscicoles de la Caspienne il y a quelques années. Toutefois, ce dernier remarque, avec d’autres spécialistes, qu’une fuite de grande ampleur ne peut être exclue dans cette région géologiquement instable et qu’elle causerait une gigantesque catastrophe.

Suzanne Wilson, du Centre de recherches consacrées aux phoques de la ville de Tara, en Irlande du Nord, dirige l’équipe d’écotoxicologues du programme écologique de la Caspienne. Avec le groupe indépendant Vektor, elle a pu déterminer que la tragédie de 2000, qui décima les jeunes phoques caspiens, était due au virus de Carré[1]. Mais, après le constat d’une nouvelle vagues de décès de phoques, les deux équipes de chercheurs se sont rendues en divers points de la Caspienne pour comprendre ce nouveau phénomène. Ils découvrirent alors que le virus n’était pas la seule cause de l’hécatombe. Après examen des phoques morts ou moribonds retrouvés sur les bords de la presqu’île d’Apcheron, l’équipe de S. Wilson a établi qu’à la différence du diagnostic de 2000, les victimes étaient surtout des adultes. Les chercheurs émirent alors l’hypothèse que les décès de ces dernières années étaient à mettre sur le compte de la pollution de la Caspienne.

Le pétrole des gisements disposés au nord de la Caspienne se trouve sous de hautes pressions; en outre, il est «acide», c’est-à-dire qu’il est mélangé à de l’hydrogène sulfuré toxique. «Les problèmes techniques liés à l’extraction du pétrole sont incommensurables, mais proportionnels aux bénéfices à en tirer», explique Grégory Oulmichek du Centre américain de recherches géologiques de Denver. Le même souligne que l’exploitation des gisements de pétrole atteindra, à terme, les 23 milliards de barils.

Les compagnies pétrolières et les écologistes craignent qu’un accident ne survienne sur le plateau kazakh, et ne déverse des tonnes d’hydrogène sulfuré dans le nord de la Caspienne qui est peu profond. Selon le géophysicien Maïka Bilbo, chef des relations extérieures de British Petroleum, « L’Occident ne reconnaît pas la conformité de ces activités aux exigences écologiques. »

Pays de la Caspienne, unissez-vous!

L’écosystème caspien, réservoir enclavé, est tristement connu pour sa grande fragilité. Sa capacité à se régénérer et se purifier prend des décennies, voire des siècles. La préservation de cet écosystème unique au monde nécessite avant toute chose qu’un contrôle écologique se mette en place et qu’il prenne en compte la Caspienne en son ensemble. En effet, instaurer un contrôle morcelé, laisser les différents gouvernements et leurs administrations s’occuper de leur plan d’eau chacun de son côté ne permettra pas, selon les experts de l’association Mangystau Tabigaty, d’avoir une vision homogène et complète de l’écosystème caspien. Car chaque Etat riverain agit en fonction de sa législation et suivant ses méthodes, ce qui contribue à dissocier et fragmenter l’approche de la Caspienne. Il est alors nécessaire de soumettre ce lac au statut juridique d’Aire Protégée reconnu à l’international. Cela permettra enfin de réunir les Etats caspiens et d’unifier leurs méthodes et leurs revendications. Les militants estiment que l’Iran sera à même de diriger les fonctions d’instance de contrôle du respect de cette Aire Protégée, cet Etat n'ayant aucun intérêt pétrolier direct lié à la Caspienne. Des représentants de tous les Etats riverains pourraient s’en charger de concert.

L’avenir des habitants des cinq pays riverains de la Caspienne est étroitement lié à ce lac gigantesque, et donc à sa situation écologique. Seule une politique commune de préservation de son écosystème pourra relancer le développement de toute la région caspienne. La conférence d’Aktau a permis de souligner ces faits, et de présenter les difficultés qui attendent les organisations écologiques et les scientifiques concernés : le projet de préservation sera difficile et long, mais il est désormais indispensable.

[1] Revue Science, 22 septembre 2000.

 

Par Beka MINDIACHVILI

Traduction du russe : Sophie Tournon

Texte original : http://ogni.kz/index.php?option=com_content&task=view&id=2131&Itemid=5

Photographie : © Romain Gouvernet.

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