Ils auraient pu être une exception balnéaire et humaine. Mais ils ont été rattrapés par la déferlante du tourisme de masse. Incursion dans deux villages, souvenirs ineffables d’une jeunesse roumaine insoumise : 2 Mai et Vama Veche.
Implantés sur la pointe méridionale du littoral roumain, à proximité de la frontière bulgare, 2 Mai est devenu, au début des années 1960, un haut lieu d’une forme de tourisme «marginal», du moins hors norme. S’y retrouvaient artistes, intellectuels ou étudiants contestataires. Une communauté bien pensante qui avait trouvé, parmi les dunes et les chardons, une soupape de défoulement. On parlait même de dissidence… Bref, une véritable alternative au tourisme « légal », miroir d’une société ordonnée et contrôlée.
Prendre ses quartiers d’été à 2 Mai, c’était faire partie d’une société auto-marginalisée, constituée autour de l’idée d’une certaine liberté. Certaine, parce que les patrouilles militaires étaient malgré tout omniprésentes. Et si l’on était loin -très loin même- des soixante-huitards français, il flottait dans l’air comme un parfum de révolution. Pas question ici d’émancipation sexuelle. Non, sur cette rive de la mer Noire, la jeunesse roumaine essayait davantage de penser et d’agir librement au sein d’une micro-communauté complice. Une quête qui se traduisait par de grandes discussions ou des petits plaisirs aussi simples que des parties de bridge avec les autres villageois.
Puis, d’un refuge intellectuel, 2 Mai est devenu la destination adulée d’une foule d’adolescents révoltés, venus s’entasser sur les plages. Le temps était désormais aux ados hippies-rock fraîchement débarqués avec leurs petites tentes et leurs grands espoirs. On mangeait autour du feu entre amis, on collectionnait les bains de minuit, ou on chantait sur des rythmes rock. Toujours sous le regard attentif des militaires en patrouille qui veillaient à ce que personne ne prenne la mer pour se rendre en Turquie. Et il en fut ainsi, au gré des saisons, jusqu’en 1989.
Des chardons aux Mercedes
Signe du temps, 2 Mai prend, dès la révolution de 1989, des allures plus «populaires». Après 1990, la côte est tout d’abord envahie par les familles chassées des stations classiques, où les hôtels pratiquent des prix désormais trop élevés. Leur arrivée pousse rapidement les anciens «deux-maistes» –comprenez les adeptes du mode de vie façon «2 Mai»- à se retrancher à Vama Veche, resté, jusque-là, à l’abri du tourisme grâce à son statut de localité de frontière.
Puis, les plages de 2 Mai voient débarquer des «vacanciers» d’un nouveau genre : télévisions, portables, ordinateurs, etc. Leurs propriétaires, véritables touristes de consommation, font alors exploser le nombre de restaurants. Coquets ou d’un affreux style fast-food, cachés dans les cours ombragées, les restaurants à poisson et à fruits de mer fleurissent dans le village qui se dote également de boutiques, d’un nouveau marché et même d’un cybercafé.
Depuis peu, les touristes classiques ont regagné leurs hôtels redevenus accessibles, ou ont déserté les lieux en faveur d’autres campings plus orthodoxes. Libérant ainsi la place à de nouvelles vagues d’adolescents. Quant à Vama Veche, il s’est également métamorphosé. Ou plutôt, dévisagé. Il est devenu un lieu à la mode, où paradent limousines et foisonnent les restaurants d’été. Dans cette furibonde course à la modernisation, les anciennes maisons de terre ont également laissé place aux villas de vacances.
Reste qu’en dépit des apparences, 2 Mai et Vama Veche ont su gardé l’essentiel : le souvenir encore vif d’un espace alternatif. Le regret d’un espace d’une étrange liberté, d’un esprit de caste, d’une alternative à l’officiel et au classique.