Quel avenir pour le nucléaire en Lituanie?

Alors que le Japon est confronté à un grave accident nucléaire, la Lituanie s’inquiète des projets énergétiques de ses voisins russes et biélorusses, sans toutefois remettre en question la construction d’une nouvelle centrale nucléaire sur son territoire.


centrale nucléaire en LituanieLa centrale nucléaire d’Ignalina ayant cessé de produire de l’électricité et étant en cours de démantèlement, l’accès à l’énergie est devenu un enjeu majeur pour la Lituanie et ses deux voisins baltes, en raison de leur dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Afin de mettre un terme à l’isolement énergétique des États baltes, plusieurs projets d’envergure européenne, ayant recours ou non au nucléaire, sont en cours dans la région.

La fermeture de la centrale nucléaire d’Ignalina : le prix à payer pour l’adhésion à l’Union européenne

Dans le cadre des négociations d’adhésion à l’Union européenne, la Commission européenne avait exigé le démantèlement de la centrale nucléaire d’Ignalina, décision votée par le parlement lituanien en mai 2000. Située à sept kilomètres de la ville de Visaginas, dans le Nord-Est de la Lituanie, la centrale était équipée de deux réacteurs nucléaires de type RBMK-1500. Ces réacteurs de conception soviétique étaient alors les plus puissants au monde avec une puissance électrique de 1500 MW chacun. Suite à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986, le réacteur n°3 resta inachevé et fut démantelé en 1989[1].

Afin de dédommager la Lituanie, l'UE accepta de financer les coûts de démantèlement de la centrale d’Ignalina et de verser des compensations jusqu'en 2013. Le réacteur n°1 fut ainsi fermé le 31 décembre 2004. La fermeture du réacteur n°2 eut lieu le 31 décembre 2009 et suscita des polémiques en Lituanie. L’opinion publique était en effet défavorable au projet de démantèlement de la centrale nucléaire, qui produisait environ 70 % de l’énergie électrique consommée dans le pays. Le 12 octobre 2008, un référendum fut organisé, à l’instigation du mouvement libéral d’Eligijus Masiulis, afin de savoir si les Lituaniens étaient pour ou contre la prolongation de la durée d’exploitation de la centrale. 89 % des votants se prononcèrent en faveur de la prolongation, afin de faire pression sur l'UE. En raison d’un taux de participation inférieur à 50 %, le référendum resta toutefois sans suite[2]. Son résultat témoignait néanmoins du retournement d’une partie de l’opinion publique lituanienne concernant le destin de la centrale. Pourtant, lors du référendum d’adhésion à l’UE organisé en mai 2003, plus de 91 % des votants avaient validé le traité d’adhésion signé entre l’UE et la Lituanie, traité légalement contraignant et incluant la fermeture de la centrale.

Rappelons qu’à la fin des années 1980, la protection de l’environnement avait été un des moteurs de la transition démocratique dans les États baltes: en Lituanie, un des événements « verts » fut la formation d’une chaîne humaine autour du site nucléaire d’Ignalina en septembre 1988, afin de dénoncer sa dangerosité[3]. Une vingtaine d’années plus tard, la peur d’une nouvelle forme de dépendance vis-à-vis de la Russie ainsi que le coût croissant de l’énergie, sans cesse évoqué dans les médias, ont réduit au silence les opposants à l’énergie nucléaire.

L’enjeu énergétique en Lituanie : problème national, solutions européennes ?

Avec le démantèlement progressif de la centrale d’Ignalina, la Lituanie a été contrainte d’augmenter ses importations de gaz russe pour alimenter ses centrales thermiques et électriques, notamment celle d’Elektrėnai, dont les capacités ont alors dû être augmentées. Or, selon les autorités lituaniennes, le gaz distribué par l’entreprise Lietuvos dujos, dont Gazprom détient 37 % des actions, serait aujourd’hui vendu à un prix 15 % plus élevé qu’en Estonie et en Lettonie[4].

Plusieurs projets ont vu le jour afin de réduire l’isolement énergétique des États baltes ces dernières années. Concernant directement la Lituanie, le projet Nordbalt, initié en 2004, prévoit la construction d’un câble électrique sous-marin de 450 km de long entre la Lituanie et la Suède. En août 2010, l’UE a accordé officiellement 131 millions d’euros au projet. Le câble, d’une capacité énergétique de 700 MW, pourrait être achevé en 2015[5]. Un autre projet, LitPol, prévoit la construction d’un câble électrique d’une longueur de 341 km et d’une capacité énergétique de 1000 MW entre la Pologne et la Lituanie. LitPol et Nordbalt connecteront ainsi la Lituanie aux réseaux électriques d’Europe du Nord et de l’Ouest. Plus récemment, la présidente Daila Grybauskaitė a réaffirmé lors d’un voyage à Oslo la volonté du gouvernement lituanien de construire un terminal de gaz liquéfié à Klaipėda, afin d’importer du gaz en provenance de Norvège[6].

Il n’en reste pas moins que ces projets, de par leur capacité énergétique limitée, ne peuvent compenser la perte de la centrale d’Ignalina. C’est pourquoi les gouvernements lituaniens successifs, quelle que fût leur composition politique, n’ont jamais exclu l’énergie nucléaire de leurs plans énergétiques. En mars 2007, les trois États baltes et la Pologne se sont accordés pour bâtir une centrale nucléaire à proximité du site de l’ancienne centrale. En août 2008, l’entreprise Visagino Atominė Elektrinė (VAE) a été créée par l’État lituanien, afin de mener à bien le projet. En avril 2009, le ministère lituanien de l’Environnement a approuvé le rapport final d’évaluation sur l’impact environnemental, tout en limitant la capacité énergétique de la future centrale à 3200 MW. En 2010, les propositions de cinq investisseurs ont été soumises au gouvernement. Mais, il fut annoncé en décembre 2010 que l’appel d’offre avait échoué, notamment en raison du désistement de l’entreprise sud-coréenne Kepco[7]. Les négociations avec d’éventuels investisseurs se poursuivent, en dépit des difficultés financières des États baltes et des récents événements de Fukushima.

Le nucléaire, une énergie incontournable en Lituanie ?

La réaction des Lituaniens aux catastrophes ayant frappé le Japon depuis le 11 mars 2011 fut immédiate. La présidente D. Grybauskaitė s’est rendue à l’ambassade du Japon pour présenter ses condoléances et le gouvernement lituanien a annoncé un soutien financier au Japon de 234 000 LTL (67 000 euros). Dans les cinq jours suivant la tragédie, les ONG lituaniennes ont réussi en outre à collecter 200.000 LTL (58 000 euros)[8]. Au-delà de l’émotion, l’accident nucléaire de Fukushima soulève des réactions et des questions plus complexes. Le 18 mars 2011 fut fondé à Vilnius le Mouvement des Verts de Lituanie (Lietuvos Žaliųjų Sąjūdis). La Lituanie était un des derniers États de l’UE sans parti écologique actif[9]. Juozas Dautartas, leader du mouvement, défend la vision d’une Lituanie sans nucléaire et dénonce l’illusion de certains politiciens espérant qu’une centrale nucléaire fera du pays une « superpuissance »[10]. Parallèlement, il semble que l’opinion publique lituanienne pourrait être moins en faveur de l’énergie nucléaire qu’auparavant. Dans un sondage réalisé par Prime Consulting pour le magazine Veidas, 88 % des personnes interrogées pensent que la Lituanie ne doit pas construire une nouvelle centrale nucléaire. Parmi les personnes opposées à ce projet, 41 % affirment avoir changé d’opinion suite aux événements de Fukushima[11]. À l’inverse, le gouvernement lituanien a aussitôt réaffirmé sa volonté de construire une centrale nucléaire à Visaginas et a reçu le soutien du Premier ministre suédois lors de sa visite en Lituanie le 14 mars 2011.

En revanche, les autorités lituaniennes ont vivement réagi à la signature d’un accord signé le 15 mars 2011 entre la Russie et le Bélarus. Cet accord prévoit en effet la construction d’une centrale nucléaire en 2017-2018 dans le village de Mikhalichki, situé à une cinquantaine de kilomètres de distance de Vilnius. Le gouvernement lituanien a accueilli cette annonce comme un acte d’agression, et ce d’autant plus que les autorités russes avaient déjà décidé en février 2008 de construire dans l’oblast de Kaliningrad une centrale nucléaire, située sur les rives du fleuve Niémen, à proximité de la frontière lituanienne[12]. Le 26 mars, le ministre lituanien des Affaires étrangères, Audronius Ažubalis, a demandé pendant une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE une action commune contre la construction de la centrale russo-bélarussienne. En outre, le Premier ministre lituanien, Andrius Kubilius, a accueilli favorablement l’annonce de l’UE de renforcer la sécurité des centrales nucléaires sur le territoire communautaire, tout en souhaitant que ces mesures soient élargies aux États limitrophes[13]. Cependant, le parlement de l’UE a rejeté le 7 avril un projet de résolution sur la sécurité nucléaire en Europe, qui contenait certaines dispositions concernant les projets russo-bélarussiens. En réalité, la marge de manœuvre des autorités lituaniennes est faible : ni la Lituanie, ni l’UE ne disposent de moyens légaux contraignants sur le plan international pour intervenir dans la politique énergétique de la Russie et du Bélarus.

Malgré la catastrophe récente de Fukushima, il est fort probable que la peur de la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie reste plus forte en Lituanie que la crainte du nucléaire.

Notes :
[1] Site Internet de la centrale nucléaire d’Ignalina : www.iae.lt
[2] Commission électorale lituanienne: www.vrk.lt
[3] V. Stanley Vardys, Judith B. Sedaitis, Lithuania: The Rebel Nation, WestviewPress, 1997, p. 107-108.
[4] Petras Vaida, “ Kubilius: Lithuania prepared for fight with Gazprom”, The Baltic Course, 11 avril 2011.
[5] Petras Vaida, “Swedish and Lithuanian prime ministers: Nordbalt link to be completed by 2015”, The Baltic Course, 12 août 2010.

[6] “Osle D.Grybauskaitė įsitikino, kad Norvegija remia Lietuvos ir Baltijos šalių energetinę nepriklausomybę” (À Oslo, D.Grybauskaitė s’est convaincue que la Norvège soutient l’indépendance énergétique de la Lituanie et des États baltes), Lietuvos rytas, 5 mai 2011.
[7] “Nuclear Power in Lithuania” sur le site www.world-nuclear.org, consulté le 15 avril 2011 (La World Nuclear Association est une organisation internationale, qui fait la promotion de l’industrie nucléaire et qui représentent les professionnels travaillant dans ce secteur).
[8] “Prezidentė pasirašė Japonijos ambasados užuojautų knygoje”(La Présidente a signé le livre de condoléances de l’ambassade du Japon), delfi.lt, 17 mars 2011.
[9] Site Internet du parti vert européen: www.europeangreens.eu
[10] Linas Jegelevicius, “Lithuanian political novice plans massive protests throughout Europe”, Baltic Times, 6 avril 2011.
[11] “Apklausa : po avarijos Japonijos atominėje elektrinėje pasikeitė Lietuvos gyventojų nuomonė dėl jėgainės reikalingumo” (Sondage: après l’accident dans la centrale nucléaire au Japon, l’opinion des Lituaniens à propos de la nécessité d’une centrale nucléaire a changé), 15min.lt, 4 avril 2011. Il faut cependant souligner que le sondage concernait seulement 500 personnes interrogées dans les grandes villes du pays.
[12] Rokas Tracevskis, “Discussing nuclear energy “, Baltic Times, 23 mars 2011.
[13] “Kubilius urges nuclear safety in surrounding countries”, The Lithuania Tribune, 24 mars 2011.

* Anne-Sylvie PIGEONNIER est doctorante en sciences politiques à l’Université du Luxembourg

Source photographie : Visagino Atominė Elektrinė (www.vae.lt)