Introduire les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les écoles des villages est l’un des objectifs actuels du gouvernement roumain, soucieux d’améliorer l’offre éducationnelle en milieu rural. Ce dernier, encore trop souvent perçu comme «archaïque», est cependant déjà conquis par ces technologies. Désormais, il est même sans doute plus utile de s’intéresser aux usages effectifs des TIC dans les établissements scolaires ruraux qu’à la pertinence de leur diffusion.
Le cinquième chapitre du Programme de gouvernance élaboré par le gouvernement roumain pour la période 2005-2008 concerne le domaine de l’éducation[1]. Le début de ce chapitre présente les objectifs majeurs dans ce domaine et on peut y trouver, notamment, celui de «reconstruire l’enseignement dans le milieu rural». Cet objectif est ensuite détaillé et deux propositions retiennent l’attention: «Doter les écoles de matériels didactiques et équipements informatiques destinés au processus didactique (ordinateurs, logiciels éducationnels, équipements multimédia)» et «Organiser mieux le fonctionnement de l’enseignement à distance en sorte qu’il soit profitable à un plus grand nombre de gens du milieu rural (formation continue, reconversion professionnelle)». La diffusion des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans les écoles du milieu rural constitue ainsi l’un des principaux aspects de la politique roumaine actuelle dans le domaine de l’éducation. Ceci n’est pas foncièrement nouveau, puisque qu’un programme d’implantation des TIC dans ces écoles avait été lancé dès 2001, avec l’appui de la Banque mondiale. En fait, il s’agit aujourd’hui de le prolonger afin de remédier aux inégalités d’accès à l’éducation et à la formation qui persistent dans les campagnes par rapport au milieu urbain.
Le milieu rural, les inégalités d’accès à l’éducation et à la formation et les TIC
En matière d’accès à l’éducation et à la formation, le milieu rural roumain cumule en effet deux facteurs d’inégalités[2]. Un facteur territorial d’une part, car l’offre éducationnelle y est limitée, tandis que les enseignants y sont souvent moins qualifiés qu’en ville. Un facteur social d’autre part (facteur dont les travaux en sociologie de l’éducation de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont démontré l’importance dans la réussite scolaire des élèves), puisque la population roumaine vivant en milieu rural est globalement plus pauvre et moins instruite. Un rééquilibrage de l’accès à l’éducation et à la formation est par conséquent nécessaire, voire même fondamental, dans la perspective du développement économique et social du milieu rural du pays. C’est à cette nécessité que répond le projet actuel du gouvernement roumain de diffuser les TIC dans les écoles des villages, mais celui-ci renvoie en outre à une volonté politique plus globale, celle de faire accéder ce pays à la «société de la connaissance».
Le déploiement des TIC dans les villages
Qui connaît un peu la Roumanie et les réalités sociales, économiques et culturelles de son milieu rural peut avoir des doutes à l’égard d’un tel projet. Que la diffusion des TIC dans les écoles rurales participe au rééquilibrage de l’offre éducationnelle publique certes, mais que cela permette l’accès des élèves à la «société de la connaissance», voilà qui peut effectivement paraître exagéré. Il ne faut cependant pas préjuger des résultats, d’autant que cette réaction de doute sur les finalités du projet se fonde le plus souvent sur une connaissance superficielle du milieu rural roumain, et donc sur un ensemble de représentations où il apparaît comme «archaïque» ou «coupé de l’histoire». Des TIC, plus ou moins nouvelles, se déploient pourtant dans les villages, quand bien même perdure l’état de sous-équipement d’une agriculture dominée numériquement par des petits producteurs: ainsi, bien que les tracteurs soient peu nombreux et que la charrette demeure le véhicule agricole le plus communément employé, on observe néanmoins aujourd’hui que presque toutes les familles possèdent une télévision, que nombreuses sont celles qui disposent par ailleurs d’un abonnement au câble et à son offre de programmes, et que la téléphonie mobile s’est rapidement diffusée, surtout dans les villages où il n’y a pas encore d’accès à la téléphonie fixe par manque d’infrastructures disponibles. Les ruraux –notamment les plus jeunes– utilisent donc déjà des TIC, tandis qu’ils continuent à manier la binette, la faux et la fourche dans leurs activités domestiques quotidiennes. Cette situation peut paraître paradoxale, mais il ne faut pas oublier que ces villages n’ont en fait jamais été totalement tenus à l’écart des évolutions techniques et économiques qui ont cours ailleurs en Europe[3]. Une agriculture d’autosubsistance et le déploiement de TIC peuvent ainsi parfaitement coexister.
Il faut en outre signaler que les migrations pendulaires des parents et/ou d’autres membres de la famille, partis travailler à l’étranger, créent chez les jeunes ruraux une curiosité pour ce qui se passe ailleurs, dans cette Europe dont ils sont désormais des citoyens à part entière. A cette curiosité peut en partie répondre la diffusion des TIC au sein des écoles. On voit par conséquent que ces technologies ne constituent pas quelque chose de marginal dans la vie des gens de la campagne en Roumanie: elles font déjà partie de leurs usages quotidiens et correspondent ou peuvent correspondre à la reconfiguration d’une partie de leurs besoins. La diffusion des TIC dans les écoles du milieu rural roumain constitue dès lors un enjeu majeur, tant en matière d’accès à l’éducation et à la formation qu’en ce qui concerne le développement économique et social des villages roumains.
L’étude de la diffusion des TIC dans les écoles du milieu rural roumain
Ce que dorénavant il conviendrait d’examiner n’est donc pas la pertinence de la diffusion des TIC dans les écoles des villages en Roumanie, mais leur utilisation effective, c’est-à-dire la manière dont elles sont employées par les enseignants (sont-elles intégrées dans leurs pratiques pédagogiques et, si oui, de quelle façon?) et comment les élèves y ont accès et se les approprient (que leur apportent-elles?). Ainsi, on pourra comprendre en quoi les TIC contribuent réellement à améliorer l’accès à l’éducation et à la formation chez les jeunes ruraux et dans quelle mesure elles leur permettent également de participer à cette «société de la connaissance» que les élites politiques d’une Roumanie récemment intégrée à l’Union européenne souhaitent promouvoir[4].
[1] Ce chapitre est directement consultable en français sur le site Internet du gouvernement de la Roumanie: http://www.guv.ro/franceza/obiective/afis-docdiverse-pg-fr.php?iddoc=10
[2] Stoica Laura, «Directii de actiune pentru cresterea accesului la educatie al copiilor provenind din medii defavorizate», Calitatea Vietii, Anul 17, n°1-2, 2006, http://www.iccv.ro/romana/revista/rcalvit/pdf/cv2006.1-2.a06.pdf
[3] Bucur Corneliu, «Le village roumain entre l’autarcie et l’économie de marché», document présenté au XII Economic History Congress, Buenos Aires, 22-26 july 2002, http://eh.net/XIIICongress/cd/papers/63Bucur278.pdf
[4] Voir le communiqué de presse du 16 janvier 2007 du ministère des Communications et de la Technologie de l’Information de Roumanie: «Peste 17% din mediul rural si mic urban din Romania intra in economia globala», http://www.mcti.ro/index.php?id=28&lege=1221&L=2
* Dany BOURDET est sociologue, auteur d’une thèse de doctorat sur Les pratiques communicationnelles médiatisées des étudiants roumains à Iasi.
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