République tchèque. À gauche, oui, mais comment?

L'été fut mouvementé sur la scène politique tchèque. Après la chute du gouvernement, le Parlement a entamé un bras de fer avec le Président Miloš Zeman, conduisant à l’organisation d'élections législatives.


Affiche du ČSSD: «Nous promouvons un État fonctionnant bien».Les 25 et 26 octobre prochains, les Tchèques iront donc aux urnes. Minée par les scandales à répétition et au plus bas dans les sondages, la droite devra sans doute céder sa place à la gauche, après sept ans au pouvoir.

Le 17 juin dernier, le gouvernement de Petr Nečas –Parti démocratique civique (ODS)– est tombé après une intervention de la justice au cœur du pouvoir. La directrice du cabinet du Premier ministre, Jana Nagyová, trois ex-députés de son parti, le chef actuel des services de renseignements militaires ainsi que son prédécesseur ont été arrêtés à la suite d'une enquête de la section de lutte contre le crime organisé. Ces politiciens et hauts fonctionnaires étaient soupçonnés d’avoir trempé dans des affaires de corruption et fait un usage illégal des services secrets. Si une partie de l'accusation s'est par la suite révélée infondée et s’est écroulée, le mal était fait pour l’ODS.

L'ombre du Président

Après la démission du Premier ministre, la coalition de centre-droit détenait toujours la majorité au sein du Parlement. Le Président Miloš Zeman, anciennement membre du Parti social-démocrate (ČSSD), la devança néanmoins, en proposant son propre gouvernement technocrate. Au plus bas dans les sondages, la droite jugea qu’il valait mieux ne pas se risquer à provoquer alors des élections. Quant au parti social-démocrate, pourtant largement en avance dans les intentions de vote, il manqua une occasion en se perdant dans des divisions entre partisans et opposants à ce Président qui, de 1998 à 2002, avait occupé le poste de Premier ministre.

Si le gouvernement d'experts monté par M.Zeman a finalement été sabordé par le Parlement dès le mois d’août, cela ne signifie pas pour autant que le chef de l’État s'est résigné à jouer un rôle purement symbolique. En effet, à l’issue du scrutin d’octobre, il pourrait être directement représenté par l’intermédiaire de son Parti des droits civiques–Zemanovci (SPOZ) qui récolte pour le moment, en intentions de votes, les 5% nécessaires à l'entrée au Parlement[1]. Si le SPOZ obtient ainsi les clés de la majorité dans une éventuelle coalition de gauche, le pouvoir du Président s'en retrouvera dès lors décuplé.

L'offensive des «Zemanovci» est sérieuse, comme en témoigne leur désir de reconstruire leur image. Ainsi, ils se sont débarrassés de l'ancienne éminence grise du Président, Miroslav Šlouf, qui incarne les influences mafieuses des années du premier gouvernement social-démocrate (1998-2002). Le 20 septembre, des pressions émanant probablement de l'entourage du Président ont même provoqué le fait que M.Šlouf soit décommandé à la dernière minute de l'influent programme de la télévision publique Questions de Václav Moravec[2]. Dans l'hebdomadaire libéral Respekt, le journaliste Jan Macháček a même accusé les médias publics de complaisance envers le SPOZ: «Les reportages des tournées gracieuses des Zemanovci dans les régions rappellent les années 1950 et, en fait, toute la couverture médiatique donne l'impression qu'elle est dirigée par le SPOZ»[3]. L'organisation Transparency International a, de son côté, épinglé le parti pour son financement totalement opaque.

Le retour de la gauche

Au plus fort du scandale de corruption touchant le gouvernement ODS, son rival social-démocrate (ČSSD) était crédité de près de 34% des intentions de vote. La division du parti sur la question du gouvernement technocrate piloté par le Président a quelque peu réduit l'avance du ČSSD, qui reste néanmoins loin en tête et bénéficierait de l'appui de près de 30% des électeurs. Il est fort probable que la prochaine coalition gouvernementale sera dirigée par les sociaux-démocrates. Il n’en reste pas moins que les luttes intestines en cours au sein du parti ne permettent pas, à l’heure actuelle, d’avoir une vision claire de son orientation précise.

Le ČSSD est en effet divisé entre son actuel responsable, Bohuslav Sobotka, et le rival de celui-ci, Michal Hašek, qui avait été battu de peu lors de la course au leadership de 2011. B.Sobotka n'a toujours pas réussi à asseoir son autorité au sein du parti, comme l'ont montré les tiraillements lorsqu’il a fallu, durant l’été 2013, se positionner à propos de la proposition du Président. Si Bohuslav Sobotka est considéré comme un social-démocrate moderne qui ne cèdera pas aux pressions venant du Président, M.Hašek est plutôt vu comme un membre de la «vieille garde» et un partisan fidèle de Miloš Zeman.

Quelle place pour les communistes?

L'ascension de M.Hašek à la tête du parti marquerait donc le couronnement des projets du Président, qui bénéficierait dès lors d'un fort appui au Parlement. En plus de changer le rapport du parti au chef de l’État, le triomphe de la «vieille garde» pourrait également contribuer à modifier l'attitude de la direction nationale du ČSSD à l’égard du Parti communiste (KSČM), l'une des anciennes formations communistes les moins réformées de l'ex-bloc socialiste. D’ailleurs, après les élections régionales d’octobre 2012, les sociaux-démocrates ont déjà créé plusieurs coalitions avec les communistes dans les régions.

Même s'ils excluent toute coalition officielle au niveau national, les sociaux-démocrates devront sans doute gouverner avec l'appui du KSČM. En effet, le Parti communiste semble pouvoir compter sur 11% des intentions de vote, selon les derniers sondages. Il sera donc nécessaire aux sociaux-démocrates s'ils veulent réaliser leur tournant à gauche. L'entente avec ces alliés gênants pourrait être difficile, puisque le KSČM s'est jusqu'ici contenté du rôle confortable de formation nostalgique rejetant l'ordre post-communiste. Les communistes tchèques seront-ils capables de compromis, et quel en sera le prix pour le ČSSD?

Vague populiste

L'effondrement de la droite et l’écœurement des citoyens face aux scandales politiques à répétition alimentent tant le cynisme que le populisme. Pour le moment, la gronde populaire profite d’ailleurs surtout aux populistes. En effet, la chute du principal parti de droite (l’ODS vivote, crédité de moins de 10% d’intentions de vote selon les sondages) ouvre la porte à d'autres formations, la plupart dotées de la même orientation. Cela s’explique sans doute par le fait que l'autre parti de la coalition de droite, TOP 09, semble incapable de récupérer les électeurs perdus de l’ODS. Il n'a pas su profiter de l'affaiblissement de son rival et de la popularité de son propre leader, Karel Schwarzenberg, ancien ministre des Affaires étrangères et finaliste de la présidentielle de janvier 2013.


Affiche du parti TOP 09: «Régime autoritaire ou pouvoir des autorités. Nous savons où nous allons».
Copyright: I.D.White

Si le taux de participation pourrait être plus bas que lors des législatives de 2010, il se peut aussi que le vote de droite se rabatte sur les nouveaux partis populistes. Cette année, ils sont plusieurs à compter sur le ras-le-bol général. Le milliardaire Andrej Babiš mène l'Action des citoyens insatisfaits (ANO-2011) tandis que le populaire sénateur Tomio Okamura promeut son mouvement Aube de la démocratie directe (Usvít). Ce dernier attire les électeurs avec un slogan qui a le mérite d’être clair: «Démocratie directe: la fin du bordel et de la corruption». La multiplication des partis pourrait aussi mener à une saignée de la droite, puisque seule ANO-2011, créditée de plus de 13% des intentions de vote, devrait sans doute être en mesure de passer la fameuse barrière des 5%. Le reste des voix pourrait être perdu et leur distribution profiterait plutôt aux sociaux-démocrates et aux communistes.


Affiche du mouvement Aube de la démocratie directe: «Fin du bordel et de la corruption. Nous voulons la responsabilité pénale et la possibilité de révocation des politiciens».
Copyright: I.D.White

Bouleversement certain

La plus grande incertitude entoure l’issue du scrutin pour les petits partis. Certains s’attendent à un scénario «à l’allemande» (à l'issue des dernières élections dans ce pays, près de 15% des électeurs se sont retrouvés non-représentés au Parlement). Mais la grande division du vote pourrait aussi amplement entraver la formation d’une coalition. On ne peut non plus exclure le danger de voir un petit parti populiste tenir les clés de la majorité.

Si rien n’est sûr évidemment, la plupart des analystes s'entendent pour dire que la scène politique tchèque changera de visage après ces élections. La victoire de la gauche, la quasi-disparition de l’acteur majeur qu’a été jusque-là l’ODS, l'apparition de nouvelles formations, le style du président Zeman… tout cela annonce des lendemains agités.

Notes :
[1] «Průzkum pro ČT: ČSSD drží prvenství, ANO odsunulo komunisty», Česká Televize, 6 octobre 2013, http://www.ceskatelevize.cz/ct24/domaci/244831-pruzkum-pro-ct-cssd-drzi-prvenstvi-ano-odsunulo-komunisty/.
[2] «Šloufa odmítli u Moravce. Jsou za tím zemanovci, myslí si», lidovky.cz, 20 septembre 2013, http://www.lidovky.cz/sloufa-odmitli-u-moravce-jsou-za-tim-zemanovci-mysli-si-pix-/zpravy-domov.aspx?c=A130920_170910_ln_domov_ogo/.
[3] «Na cestě k prezidentuře», Respekt, 30 septembre 2013.

Vignette : Affiche du ČSSD: «Nous promouvons un État fonctionnant bien». Copyright: Imogen D.White.

* Étudiant en études européennes interdisciplinaires au Collège d'Europe à Varsovie.