République tchèque: le défi de la modernisation du réseau ferroviaire

Après avoir longtemps négligé le rail, la République tchèque envisage d’investir dans la construction de lignes à grande vitesse. Les enjeux sont importants, tant au niveau national qu’européen. Car le réseau actuel, vétuste, ne permet pas au pays de s’inscrire durablement dans l’espace des transports européens. 


Le train PendolinoCe n’est pas la première fois que la République tchèque veut se doter d’un réseau ferroviaire à grande vitesse. Les premiers projets ont vu le jour dans les années 1970 dans un contexte purement national : les nouvelles voies devaient permettre d’augmenter la capacité de transport ferroviaire. Cependant, ces projets n’ont jamais abouti, les gouvernements successifs ayant préféré investir dans la construction d’autoroutes[1].

La République tchèque a donc sacrifié le rail à la route et, faute d’investissements, son réseau ferroviaire frappe aujourd’hui par sa vétusté. Les trains sont peu confortables, lents et aucun ne circule à une vitesse supérieure à 160 km/h[2]. Pour attirer de nouveaux voyageurs, le gouvernement tchèque souhaite donc construire avant 2050 environ 800 kilomètres de lignes à grande vitesse (LGV) où les trains circuleraient à plus de 250 km/h.

Ce projet fait écho à la stratégie déjà adoptée par les pays voisins de la République tchèque. En effet, d’après Petr Šlegr, directeur du Centre pour des transports efficaces[3], la plupart des pays européens, même ceux qui sont moins développés que la République tchèque, se dotent d’aujourd’hui de LGV. « La Pologne prévoit de construire des voies où les trains pourront atteindre une vitesse de 350 km/h et, dans quelques années, on pourra aller de Paris à Bratislava en TGV. Pour l’instant, la République tchèque n’a pas de réseau ferroviaire capable d’égaler celui des pays voisins », déplore-t-il.

Des projets de LGV abandonnées au profit de la modernisation de lignes existantes

Cette idée de développer des LGV en République tchèque n’est pas nouvelle mais sa réalisation, elle, le serait. Au vu du succès des trains à grande vitesse en Europe occidentale, notamment en France, l’idée des LGV a été reprise dans les années 1990, cette fois-ci à l’échelle régionale. En effet, leur construction devait surtout permettre de relier les centres économiques de l’Europe centrale: Berlin, Dresde, Nuremberg, Vienne, Varsovie et Budapest. En République tchèque, le train devait s’arrêter uniquement dans les grandes villes : Prague, Brno, Ostrava, et éventuellement Pilsen.

Mais ce projet a été abandonné au profit d’une modernisation des voies existantes, moins coûteuse. Dans les années 1990 et 2000, cette modernisation a permis de créer quatre corridors de transit[4] qui font également partie des dix corridors paneuropéens en Europe centrale et orientale[5], définis par l’UE comme des routes majeures appelées à être modernisées. Même si, grâce à ces corridors, la vitesse maximale est passée de 120 km/h en 1990 à 160 km/h aujourd’hui, les trains ne peuvent circuler à leur vitesse maximale sur toute la longueur de la ligne. De plus, seuls deux des quatre corridors sont terminés.

Étant donné la vétusté et la lenteur des rames, le train est considéré en République tchèque comme un moyen de transport pour les pauvres et, aujourd’hui, les voyageurs qui prennent le bus sont deux fois plus nombreux que ceux qui choisissent le train.

Le transport ferroviaire, plébiscité par l’Union européenne, devient plus attractif

Cette situation est cependant en train de changer. Depuis quelques années, les voyageurs sont de plus en plus nombreux à prendre le train, essentiellement grâce au développement des lignes périurbaines. De plus, l’arrivée sur le marché de deux nouveaux concurrents, RegioJet et Leo Express, a permis d’introduire la concurrence sur un marché longtemps dominé par un seul acteur, les Chemins de fer tchèques. En conséquence, les prix ont baissé et la qualité des services offerts à bord s’est améliorée.

Il faut dire, aussi, que le développement des infrastructures ferroviaires est largement soutenu par l’Union européenne, qui en a fait l’une de ses priorités et souhaite achever la construction d’un réseau européen de lignes à grande vitesse d’ici 2050[6]. Sur le territoire tchèque, deux corridors relèvent des projets prioritaires du réseau transeuropéen de transport[7] à l’horizon de 2020. C’est d’abord l’axe ferroviaire qui relie Athènes à Dresde, en passant par Budapest, Vienne, Nuremberg et Prague, ce qui correspond à l’axe Est-Ouest. Le second est l’axe Nord-Sud qui permettra de relier Gdansk à Vienne, en passant par Varsovie, Brno et Bratislava.

Les Tchèques ont donc compris que c’est le moment d’investir dans le transport ferroviaire pour pouvoir bénéficier des financements de l’UE. « En ce moment, il est plus facile d’obtenir des subventions pour la construction de LGV que pour les autoroutes », explique Miroslav Vyka, président de l’Union des passagers des transports en commun. « Après 2030, on ne pourra plus compter sur l’UE, il faut donc commencer les travaux le plus tôt possible », poursuit-il[8].

Pour commencer, une LGV entre Prague et Brno

La construction du premier tronçon du réseau devrait commencer en 2020 et permettrait de relier Prague à Brno, deuxième ville du pays qui se trouve à 200 km à l’est de la capitale. Grâce à la grande vitesse, le trajet entre ces deux villes ne durerait qu’une heure, contre 2h40 aujourd’hui. Les villes et villages qui se trouvent sur le futur tracé de la ligne ont désormais l’interdiction de construire de nouveaux ouvrages.

Les habitants des villes concernées, eux, sont mitigés. Dans les petites villes, ils sont plutôt opposés à l’idée d’une construction de grande envergure qui n’aura pas d’utilité pour eux. À l’opposé, les habitants des grandes villes accueillent cette perspective avec enthousiasme, car ils pourront ensuite se rendre plus rapidement à Prague ou à Brno.

Le projet, à l’origine, prévoyait que la ligne devait suivre le trajet de l’autoroute D1 qui relie Prague et Brno[9], mais ce tracé est en passe d’être abandonné au profit d’un autre. Les opposants, bien conscients que la ligne permettra de réduire le trafic sur la D1 déjà surchargée, dénoncent néanmoins une nouvelle coupure du paysage induite par cette construction.

La République tchèque sait bien que, si elle « rate le train » de la grande vitesse, sa performance économique risque d’en pâtir. « Si on ne commence pas à construire les LGV à temps, les trains rapides contourneront notre pays », prévient le député du Parti social-démocrate tchèque Milan Urban[10]. En effet, dans quelques années il pourrait être plus rapide de contourner la République tchèque pour aller de Berlin à Vienne. Comme par le passé, beaucoup dépend maintenant de la volonté des hommes politiques à soutenir ce projet et à contribuer à faire de la République tchèque un carrefour ferroviaire en Europe.

Notes :
[1] Entre 1967 et 2007, la République tchèque s’est dotée de 1 009 km d’autoroutes.
[2] Le train le plus rapide qui circule en République tchèque depuis 2005 est le Pendolino, sur les trajets Prague-Ostrava et Prague-Vienne. Il peut atteindre une vitesse maximale de 250 km/h mais, compte tenu de la vétusté des chemins de fer tchèques, ne peut circuler qu’à une vitesse maximale de 160 km/h et seulement sur certains tronçons.
[3] Cette ONG a été fondée en 2009 dans le but d’« encourager le développement des chemins de fer ». Voir leur site Internet: http://www.cedop.info/fr/ (en français). La citation est tirée de l’article « La construction des lignes à grande vitesse en République tchèque prendra des dizaines d’années » de Veronika Sedlackova, publié sur le site de rozhlas.cz le 26 octobre 2011.
[4] Voir la carte de ces corridors : http://www.szdc.cz/soubory/mapy/koridory-zjednodusene.pdf.
[5] Les 4ème et le 6ème corridors paneuropéens passent par la République tchèque. http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/00/Pan-European_corridors.svg.
[6] C’est l’objectif de la feuille de route sur les transports publiée en mars 2011 par la Commission européenne. Elle précise également qu’en 2030, « la longueur des voies ferroviaires à grande vitesse devrait avoir triplé ». De même, « d’ici 2050, la majorité des transports passagers de moyenne distance se ferait par rail ». Source : Commission européenne, Livre Blanc sur les Transports, 25 mars 2011.
[7] Le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) est un programme de développement des transports dans l’UE dans le but de favoriser les échanges et de faciliter la mise en place d’un marché unique.
[8] Le début des travaux est prévu vers 2020 mais l’essentiel des nouvelles lignes ne devrait voir le jour qu’entre 2030 et 2050, trop tard pour pouvoir prétendre aux subventions de l’UE. La citation est tirée de l’article «Des projets pour de nouvelles lignes», de Hana Jakubcova, publié le 31 mai 2013 sur le site http://ekonomika.idnes.cz.
[9] L’autoroute D1 permet aujourd’hui de relier les deux principales villes tchèques, Prague et Brno À terme, elle doit permettre de rejoindre également Ostrava, troisième ville du pays ais le tronçon Brno-Ostrava n’est pas encore achevé. La D1 est l’autoroute tchèque la plus ancienne (les travaux ont commencé en 1967) et la plus fréquentée. En conséquence, de grands travaux de modernisation et d’élargissement ont commencé en 2013.
[10] Aleš Černý, «De Prague à Brno par train en une heure? Les experts évoquent l’année 2030, CSSD cinq ans plus tôt», 15 octobre 2013, http://byznys.ihned.cz.

Vignette : À l’intérieur du Pendolino, le train tchèque le plus rapide (Photo : ceskedrahy.cz)

* Zuzana LOUBET DEL BAYLE est professeur d’histoire-géographie au lycée Paul Langevin de Suresnes.

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