Revitalisation du ‘Faubourg de Moscou’ à Riga: Le patrimoine comme ressource

La zone de protection municipale «Faubourg de Moscou» à Riga est un exemple caractéristique d'environnement urbain dégradé possédant une valeur culturelle et historique, où le patrimoine peut stimuler la revitalisation du territoire.


Rue de Moscou à RigaC'est le terme de régénération qui est le plus souvent employé pour désigner le réaménagement de quartiers, d'îlots ou de zones historiques –le terme est utilisé à Riga par Edgars Pučiņš, architecte en chef de la ville de 1960 à 1970 puis coauteur du projet de régénération du Vieux Riga. Régénérer, c'est «créer de nouveau», alors que la philosophie du patrimoine exprimée dans une convention du Conseil de l'Europe[1] met en valeur le bâti d'origine et exige d'utiliser le tissu urbain ancien et de valeur comme une ressource. Pour conserver ce tissu urbain historique tout en maintenant une vie sociale, une perspective de revitalisation semble plus adaptée, le terme «revitalisation» étant alors à prendre dans le sens de « redonner la vie ».

Dès lors, la reconstruction du bâti historique recouvre des significations culturelles et symboliques. Toutefois, les théoriciens recherchent de plus en plus souvent des justifications économiques. Le patrimoine peut être considéré comme une ressource non renouvelable qu'il n'est pas possible de retrouver, une fois perdu après des transformations malencontreuses. Dans un rapport sur la valeur du patrimoine architectural, les chercheurs britanniques du National Economic Research Associates ont ainsi expliqué comment un environnement historique peut donner une valeur ajoutée à l'économie nationale[2].

Un faubourg historique de Riga : « Maskavas forštate »

D'après la municipalité de Riga, le faubourg de Moscou est « multiculturel, riche en monuments mais est également connu pour des exemples de territoires remarquablement entretenus et d'autres abandonnés, accablés d'une réputation de quartier de toxicomanes et de sans-abris »[3]. Les urbanistes le considèrent comme un des quartiers « malades » de Riga, un territoire à problèmes, où un bâti précieux mais vide alterne avec un environnement socialement dégradé. Ce quartier, au sein duquel a été formé un ghetto juif durant la Seconde guerre mondiale, est devenu avec le temps une « île » peu intégrée à l'environnement urbain malgré sa proximité du centre historique et des infrastructures d'apparence satisfaisante mais souvent peu fonctionnelles. Sur les 150 hectares de la zone de protection, 27,6 sont des zones de verdure (parcs et cimetières). Dans la zone de protection vivent aujourd'hui seulement 12 134 habitants[4], caractérisés par une diversité ethnique remarquable. Comparée avec celle d’autres quartiers de la ville, la densité de population du faubourg de Moscou est faible, ce qu’explique notamment la présence de vastes territoires verts (parcs et cimetières).

La zone de protection du bâti dans les plans de développement la ville

Le faubourg de Moscou, en tant que forme urbaine, n'est pas inscrit au registre du patrimoine urbain national de Lettonie. Le territoire étudié n'est pas compris dans les limites du centre historique inscrit au patrimoine mondial de l'humanité (UNESCO) et ne peut donc pas prétendre à des financements nationaux.

Le faubourg de Moscou est protégé, localement, par des règlements de la ville de Riga qui lui confèrent un statut de territoire de protection du bâti[5] (Riga en compte quinze). Ces règlements définissent les valeurs culturelles et historiques principales à conserver sur ce territoire mais fixent une perspective bien trop générale de développement. En outre, un tel statut de protection peut facilement être modifié lors d’un changement de la direction municipale.

Dans les documents d'urbanisme de la municipalité de Riga manque une vision intégrée pour le faubourg de Moscou, comprenant des orientations sociales et spatiales. Dans le cadre de la revitalisation de ce territoire, des partenariats public-privé pourraient être testés. Ils sont encore rares en Lettonie mais seraient particulièrement appropriés compte tenu de l'émiettement des droits de propriété foncière dans ce quartier.

L’étude de cas extérieurs peut donner matière à réflexion. Du point de vue de l'essence des zones de protection du bâti, il est possible de faire un parallèle avec les Aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (autrefois ZPPAUP). La ZPPAUP a été formée afin de créer un mécanisme plus élastique que la zone de protection du bâti ou la zone de protection des monuments culturels des villes de Lettonie[6]. À l’exception de Riga, les ZPPAUP/AMVAP sont acceptées au niveau national et éligibles à des programmes spécifiques de soutien de l’État.

Par nature, le quartier Porta Palazzo à Turin, « revitalisé » par un projet multiculturel, réalisé dans le cadre du programme URBAN en 1997[7], peut être rapproché du faubourg de Moscou. Proche du centre historique, ce quartier était considéré comme peu sûr et dégradé. Ce facteur était renforcé par la présence de l'élément central du quartier : le plus vaste marché ouvert d'Europe sur la Piazza delle Repubblica. Comme à Riga, le patrimoine architectural y avait subi un long processus de dégradation car les propriétaires n'avaient ni les moyens ni le souhait de l'entretenir. Toutefois, ce quartier est caractérisé par une forte identité territoriale ancrée dans l'histoire et par une mémoire collective qui avait créé un fossé dans les relations entre les anciens et les nouveaux habitants. La stratégie du projet « Porta Palazzo » a ainsi prévu de mobiliser la communauté des habitants avec leurs propres ressources. L'idée s'appuyait sur trois principes: la coordination, la coopération et le développement durable. L'agence de régénération de l'espace urbain The Gate, formée par la municipalité, a joué un rôle moteur, permettant de réaliser un modèle de coopération public/privé inédit dans l'Italie des années 1990. Jusqu'en 2007 ont été réalisées dans le quartier des mesures d'activation économique, de rétablissement du lien social et d'amélioration des conditions de vie.

Le grand risque des interventions dans un environnement historique est celui de la perte des habitants. C'est pourquoi il faut veiller à choisir des solutions socialement responsables et coopératives. La réussite du projet est aussi déterminée par la force de la communauté des habitants et leur représentation. La création de l’image du quartier est un marketing dans lequel le patrimoine joue un rôle essentiel. Pour la stimulation de l'économie, il est important de s'appuyer sur des valeurs locales et les petites entreprises. Les investissements publics, quant à eux, appellent de plus grands investissements privés.

Les possibilités de revitalisation du faubourg de Moscou

En 2011, j'ai rédigé un mémoire de master dans le cadre du programme de planification territoriale de l'Université de Lettonie sous la direction de l'architecte Jānis Lejnieks, qui comprenait un concept de revitalisation du faubourg de Moscou. Celui-ci est abstrait mais s'appuie sur le potentiel du quartier, observé par une analyse multiple du site.

L'échelle de mise en œuvre du concept de revitalisation pourrait être l'îlot du faubourg, puisque chaque îlot possède sa valeur, son degré d'altération et ses remèdes. Des activités permettraient d'encourager la formation d'une représentation de la communauté des habitants, de forger chez eux un sentiment identitaire local, d'identifier les partenaires nécessaires à la revitalisation, de comprendre les besoins des groupes sociaux sensibles et de transmettre des valeurs culturelles et historiques.

Par exemple, la transformation des greniers du marché, construits en 1888, en médiathèque de quartier ou en centre de formation pour les habitants pourrait être une activité retenue dans ce cadre. Cet espace pourrait servir de médiateur dans le dialogue entre les habitants et l'administration, remplirait une fonction de lieu central de rencontre à l'échelle du quartier, en mobilisant les habitants, en leur fournissant une aide sociale, voire en devenant un centre d'aide à la recherche d'emploi et d'informations sur l’aide sociale.

En vue de la reconstruction du tissu urbain historique de valeur et de la création d'un bon cadre de vie, il semble nécessaire de rechercher des partenariats avec le privé pour sauver les constructions historiques en bois, caractéristiques de l'apparence du quartier. L'objectif serait alors de créer un espace de vie plus attractif en rénovant les bâtiments historiques, en améliorant la sécurité des espaces publics, en créant des espaces extérieurs attractifs, en popularisant des solutions durables et écologiques et en se préoccupant également de la formation d'ouvriers compagnons. La municipalité pourrait établir un programme dans le cadre duquel seraient prévues des aides financières à la rénovation de maisons en bois pour encourager l'implication des propriétaires et leur désir d'investir dans l'entretien de leur bien. Un financement public pourrait être accordé aux travaux prioritaires de sauvegarde des maisons, de reconstruction des façades, de raccordement aux réseaux urbains, etc. Pour lancer le programme, ainsi que pour «éduquer» les habitants, la municipalité pourrait mener la restauration modèle d'un bâtiment en sa possession, en y impliquant par exemple de jeunes ouvriers compagnons.

L'adaptation à une activité commerciale ou à une autre activité économique réduite du rez-de-chaussée inoccupé d'une maison située sur la rue principale du quartier, dans le cadre d'un programme municipal avec des manifestations impliquant les habitants, pourrait également aider à dynamiser l'économie du quartier. La formation de jeunes entrepreneurs pourrait soulever l'intérêt de leurs pairs confirmés, avec l'aide de la municipalité, de l'agence nationale pour l'emploi et de centres de formation.

Une mission consacrée à la « Formation d'une diversité sociale » encouragerait une mixité saine, principalement en maintenant dans leur logement les habitants et en attirant de nouveaux foyers. Ceci permettrait, à long terme, d'améliorer la sécurité du quartier et augmenterait l'implication des personnes actives dans le développement du quartier. Par exemple, une des activités Perpetum mobile – studentu kvartāls pourrait accorder une nouvelle fonction à l'ancienne usine de liqueur, abandonnée de longue date mais dont la valeur historique et architecturale est indéniable. Le territoire de l'usine est une propriété privée et n'a pas trouvé de nouvelle fonction : le marché immobilier de bureaux est saturé à Riga, l'emplacement du bâtiment sur le côté d'une voie de circulation (un pont) le rend peu attractif en tant que lieu de résidence. Considérant la présence dans le quartier de plusieurs centres d'enseignement supérieur (Académie de la culture de Lettonie, faculté de sociologie de l'Université de Lettonie, etc.), la formation d'un cadre de vie étudiant pourrait être envisagée, les bâtiments pouvant être adaptés aux besoins de foyers étudiants. Les habitants d'une cité universitaire, mobiles et perpétuellement renouvelés, pourraient rajeunir durablement l'âge moyen de la population du quartier, ils ne seraient pas dérangés par la proximité du pont, apprécieraient les facilités de circulation vers le centre de la ville et la proximité des centres d'enseignement.

Compte tenu du fait que la création d'une agence spéciale de coordination du processus de revitalisation a été, dans d'autres cas, un des facteurs déterminants du succès, la municipalité de Riga devrait également procéder à l'organisation d'une telle structure où pourraient être représentés à la fois l'État, les institutions municipales, les habitants et des représentants des employeurs locaux. La structure financière pourrait s'appuyer sur un fonds contrôlé par la puissance publique, formé par des financements de la municipalité et des investissements provenant, notamment, d’entreprises privées ainsi que des fonds européens.

Notes :
[1] Convention pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l'Europe, Convention-cadre du Conseil de l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société.
[2] Résumé publié par English Heritage, « The economic value of the historic environment », 2003.
[3] Rīgas Austrumu izpilddirekcija [sans date, consulté le 15 décembre 2010].
Disponible sur le site: http://www.rigasaustrumi.lv.
[4] Données de «Pilsonības un migrācijas lietu pārvalde», 2010.
[5] Rīgas domes 20.12.2005. saistošie noteikumi Nr.34 “Rīgas teritorijas izmantošanas un apbūves noteikumi”, 4.3. punkts 405. apakšpunkts.
[6] Sebastian Loew, Modern architecture in Historic Cities. Policy planning and building in contemporary France, London, New York: Routledge, 1998, p. 69-73.
[7] Ilda Curt & Christiane Spill. « La centralité dans un quartier multiethnique du centre historique de Turin », Rives méditerranéennes, 26/2007, p. 53-69.

* Géographe, travaille à l'Inspection nationale de protection des monuments culturels de Lettonie, membre d'ICOMOS Lettonie.

Traduction : Eric Le Bourhis

Texte d'origine en letton.

Vignette : Rue de Moscou à Riga (© Ivars Kukainis, 2012)