Robert Fico : une nouvelle direction pour la Slovaquie ?

Selon Robert Fico, la politique slovaque a besoin d'un nouveau visage et d'une nouvelle direction. Fico a créé son propre parti politique, Smer ("Direction"), promettant aux Slovaques d'apporter au pays un nouveau visage et une nouvelle direction. L'opinion slovaque a accueilli chaleureusement l'homme et le parti. D'après les études menées par l'institut MVK en mars de cette année, Fico est le politicien qui dispose de la plus grande confiance en Slovaquie et, avec 16,6 % d'intentions de vote, le Smer se retrouve en seconde position dans les préférences derrière le HZDS de V. Meciar[1].


Robert FicoLes politiciens de tous bords s'accordent à dire que Robert Fico est un politicien talentueux. Arrivé sur la scène politique slovaque en 1992, lorsqu'il fut élu député au Parlement slovaque pour le Parti de la gauche démocratique (SDL), il semblait destiné à une carrière brillante au sein du SDL. En 1996, candidat à la présidence du parti, il se retira la veille du vote et soutint Lubomir Fogas, battu par Jozef Migas, alors inconnu, actuel leader du SDL. À ce jour, les raisons du retrait de Fico en 1996 restent obscures.

Après les législatives de 1998, le SDL est entré dans la coalition gouvernementale mais, contrairement à la plupart des personnalités majeures le composant, Fico ne s'est pas vu offrir de portefeuille. Il a nié cependant avoir quitté le SDL à l'automne 1999 pour cette raison: "J'ai quitté le parti et la coalition", affirmait-il récemment, "parce que j'étais insatisfait du style politique" de l'ensemble de la coalition gouvernementale[2]. Le Smer a été officiellement créé le 11 décembre 1999.

Trois questions peuvent être posées: Pourquoi Fico et le Smer sont-ils si populaires? Leur popularité va-t-elle durer? Que fera Fico si le Smer obtient suffisamment de suffrages pour pouvoir entrer au Parlement après les prochaines législatives?

Trois facteurs expliquent la popularité de Fico. Le premier est Fico lui-même: c'est un politicien brillant, énergique et talentueux, qui sait répondre aux questions. Sa popularité s'est affirmé au cours de la période précédant les élections de 1998. En 1995 et 1996, il n'était pas encore assez populaire pour figurer parmi les dix principaux politiciens du pays. En mai 1998, il n'est encore que le numéro trois du SDL, derrière Peter Weiss et B.Schmögnerova. Lors des élections législatives de l'automne, il obtient la troisième place dans les votes préférentiels (derrière le Premier ministre d'alors V.Meciar et l'actuel, M.Dzurinda)[3]. Fico a compris l'importance du travail de terrain. Il s'est régulièrement rendu en province où il a rencontré beaucoup d'électeurs.

Fico bénéficie également de l'impopularité du gouvernement actuel. Les partenaires de la coalition (démocrates-chrétiens, libéraux, Magyars et anciens communistes), donnent l'impression de s'affronter sur chaque proposition gouvernementale. En outre, le gouvernement a fait adopter des mesures économiques impopulaires. Beaucoup d'électeurs mécontents de la coalition actuelle sont séduits par le discours de Fico sur "le nouveau visage" de la politique slovaque[4].

Enfin, Fico a su jouer de l'existence d'un sentiment diffus d'hostilité envers les minorités. En mai 1999, encore membre du SDL, il a critiqué la SMK, le parti magyar de la coalition, pour sa politique "régionaliste"[5]. Dans une interview récente à Plus 7 dni, il affirmait ne pas avoir de problème avec la minorité magyare, mais seulement avec les politiciens qui la représentent et il soulignait que le chef de la section sociale de Smer était membre de la minorité ruthène. Il a également cherché à tirer parti des sentiments anti-roms. En réponse aux vagues de départs de Roms demandant l'asile politique au Royaume-Uni, en Finlande ou en Belgique, il a proposé en janvier que les citoyens qui voyagent "pour des raisons spéculatives" dans un pays étranger pour y demander l'asile politique soient, à leur retour, privés d'allocations sociales pendant douze mois[6]. Il a pourtant rejeté les accusations de populisme: "Je suis en politique depuis 1992", déclare-t-il dans Pravda, "et j'ai tenté de résoudre les problèmes politiques sur un plan technique" ("na odbornu uroven")[7]. Il se décrit lui-même comme appartenant à la gauche, mais souligne que "la Slovaquie n'a pas besoin de politiciens de gauche ou de droite, [mais] de politiciens forts, pragmatiques, capables de résoudre les problèmes"[8].

Une enquête non-publiée de l'IVO indique que le Smer emporte l'adhésion dans l'ensemble de la Slovaquie, en particulier dans l'Est et dans les villes petites et moyennes. Il attire semble-t-il les électeurs les plus jeunes: 22% des 18-24 ans et 25% des 25-34 ans ont affirmé qu'ils voteraient pour le Smer (IVO, mars 2000). Notons également que Fico atteint un niveau très significatif de soutien dans les couches les plus éduqées de la société[9].

La popularité de Fico va-t-elle durer? La nouveauté est toujours un atout en politique. Les nouveaux partis et les nouvelles directions, notamment lorsqu'ils regroupent des politiciens suffisamment connus, sont immédiatement soutenus. Mais Fico et le Smer ont-ils les qualités nécessaires pour survivre et prospérer? Il est tentant de dresser un parallèle avec le Parti de l'entente civique (SOP), créé par l'actuel président de la République, Rudolf Schuster, début 1998. Ce parti obtint du jour au lendemain 15% d'intentions de vote avant de revenir à 8% lors des législatives de septembre. Schuster, alors maire de Kosice, deuxième ville du pays, disposait d'une forte assise régionale et avait convaincu des personnalités importantes comme P.Hamzik (ancien ministre des Affaires étrangères) de le rejoindre. Fico manque à la fois du soutien de personnages publics et d'une organisation. Il a toutefois entamé le processus de création d'une structure et a promu les membres du Smer dans les médias[10].

Il a tenté de contrer l'accusation selon laquelle les autres membres du Smer n'ont aucun rôle, mais sans grand succès jusqu'ici[11]. Il est nécessaire de rappeler que les sondages ne sont pas les élections. L'option Fico est aujourd'hui un moyen donné aux électeurs de manifester leur désapprobation à l'encontre de la scène politique slovaque actuelle. Comme le notait la politologue britannique Karen Henderson en janvier 1999, comparées à d'autres pays en transition, les intentions de vote au moment des élections ont été remarquablement stables en Slovaquie[12]. Il semble cependant qu'il y ait un espace pour Fico et le Smer sur une scène politique confuse.

Il peut être hasardeux pour les politologues de spéculer. Mais si l'on envisage que le Smer obtienne plus de 5% lors des prochaines législatives, que fera Fico? Le parti le plus populaire de Slovaquie, qui bénéficie du soutien constant d'environ 30% de la population, est le HZDS de V.Meciar. "Si quelqu'un pense que l'on peut ignorer un parti qui a 30% d'intentions de vote et un million d'électeurs", affirme Fico, "c'est une grande erreur". Fico est néanmoins assez malin pour se distinguer du HZDS de V.Meciar. Il affirme que le HZDS avec Meciar à sa tête a "un potentiel de coalition nul" et que "le Smer ne sera pas un marche-pied pour un retour de Meciar au pouvoir"[13]. Néanmoins, il n'a pas exclu une coopération avec ce parti.

Le programme politique de Fico est vague. Ses déclarations sur le site Internet du Smer, telles que "le désir de Smer est de créer un espace pour une nouvelle génération politique" l'illustrent[14]. Fico a du charisme. Comme l'écrit Kitschelt, les leaders charismatiques "rendent consciemment vagues leurs engagements politiques afin d'éviter les divisions à ce sujet"[15]. Nous devrions cependant nous garder de critiquer Fico pour son absence de programme détaillé. Des solutions imaginatives, intelligentes et bien pensées ne peuvent apparaître du jour au lendemain. Cerrtaines politiques concrètes, comme les sanctions pour les demandeurs d'asile[16]ont un goût de populisme. Mais les nouveaux partis ont besoin de se positionner dans l'esprit des électeurs. Des politiques spectaculaires et intéressantes pour les médias sont nécessaires. Comme Petr Kopecky l'a souligné à juste titre, une utilisation efficace des médias est cruciale pour le succès et la survie d'un parti dans les pays en transition[17]. Fico sera grandement aidé en ce sens par le plus important publicitaire slovaque, Fedor Flasik, qui lui a offert ses services. Le Smer, nouveau parti, a besoin de temps pour devenir un parti suffisamment visible et différent, pour intéresser les électeurs et affiner son profil afin d'obtenir le maximum d'accords ou de coalitions.

Le Smer essaie encore de déterminer les coordonnées précises de sa nouvelle direction. La volonté déclarée de Fico de collaborer avec tous les partis (sauf les démocrates-chrétiens de Carnogursky) est bienvenue. Il reste néanmoins à savoir si Fico est véritablement intéressé par la création d'une nouvelle politique en Slovaquie ou si sa rhétorique est davantage un tremplin vers le pouvoir.

 

Par Tim HAUGHTON

Vignette : Robert Fico.

 

[1] Parada, 21 mars 2000 et The Slovak Spectator, 27 mars-3 avril 2000.
[2] Plus 7 dni, 6 mars 2000 (n°10/2000).
[3] Selon les différentes études réalisées par l'Institut pre verejne otazky (IVO). L'auteur remercie Olga Gyarfasova pour les informations qu'elle lui a communiquées.
[4] Ibid.
[5] Praca, 26 mai 1999.
[6] The Slovak Spectator, 24-30 janvier 2000.
[7] Pravda, 17 mars 2000.
[8] Pravda, 2 février 2000.
[9] Voir note 3.
[10] Sme, 25 mars 2000.
[11] Fico, "Nikto moze byt niekto", Pravda, 17 décembre 1999.
[12] HENDERSON, Karen, "The Slovak Parliamentary Elections September 1999 ", intervention à la British Czech and Slovak Association, School of Slavonic and East European Studies, Londres, 26 janvier 1999.
[13] Plus 7 dni, 6 mars 2000, précité. Littéralement "Smer ne sera pas un ascenseur vers le pouvoir pour Meciar".
[14] Fico, "Nikto môze byt niekto", Pravda, 17 décembre 1999. L'adresse internet du Smer est : www.strana-smer.sk
[15] H.KITSCHELT, Z.MANSFELDOVA, R.MARKOVSKI et G.TOKA, Post Communist Party Systems : Competititon, Representation and Inter-Party Cooperation, Cambridge : Cambridge University Press (1999), p.47. ("consciously disarticulate policy commitments in order to avoid constituency divisions")
[16] Sme, 25 mars 2000.
[17] KOPECKY, Petr, "Developing Party Organizations in East-Central Europe: What Type of Party is Likely to Emerge? " Party Politics, vol.1(1995) pp.515-534.