Rolandas Paksas, le président volant

Après avoir multiplié les pirouettes politiques, le voltigeur Rolandas Paksas est devenu contre toute attente président de la Lituanie. Sa maîtrise de l’acrobatie lui sera bien utile s’il ne veut pas décevoir les espoirs placés en lui.


Le vainqueur surprise de l’élection présidentielle lituanienne de janvier 2003, Rolandas Paksas est assurément un as de l’aviation. Virevoltant et difficilement saisissable, il suscite chez les Lituaniens un mélange d’espoir et de peur. Espoir de le voir tenir ses promesses de changement, et peur d’avoir élu un pur carriériste au sommet de l’Etat. Il est vrai que son parcours, aussi rapide que chaotique peut laisser planer le doute sur ses intentions.

Né le 10 juin 1956, Rolandas Paksas devient ingénieur en bâtiment et travaux publics en 1979, une orientation professionnelle rapidement abandonnée pour se consacrer entièrement à sa passion : l’aviation acrobatique. Dans les mois qui suivent l’indépendance en 1992, il entame également une carrière de businessman. Ses affaires lui procurent aujourd’hui une relative aisance. Ce n’est qu’en 1997, lors des élections municipales à Vilnius, qu’il se lance en politique ; avec, là encore, une réussite certaine puisque sa liste du parti conservateur lituanien arrive en tête.

Nommé maire dans la foulée, il profite du rapide redressement de la capitale, favorisé par les interventions étatiques et internationales, pour se façonner une image de golden boy à qui tout réussit. Cette réputation flatteuse lui vaut d’être nommé Premier ministre en 1999 par le président Adamkus. Il ne restera toutefois que cinq mois en poste en raison des tensions engendrées par la privatisation de la raffinerie de Mazeikiai, véritable richesse nationale dont la vente à des conditions plus qu’avantageuse à une compagnie américaine a soulevé l’indignation d’une grande partie de la population.

Grosse cylindrée et tenue cuir

Une autre facette de Paksas apparaît peu à peu. Celle d’un ambitieux prêt à tout pour accéder aux plus hautes charges. Paksas n’hésite pas à changer de partis politiques comme d’autres changeraient de chemise, sa préoccupation première étant d’affirmer son autonomie face aux autres acteurs politiques. Son éviction du poste de Premier ministre est ainsi suivie de son passage du parti conservateur au parti libéral, parti qu’il fusionnera au parti social-libéral pour fonder le «parti de la Nouvelle politique», alors même que le président Valdas Adamkus comptait sur son action en tant que conseiller pour éviter le retour en force des hommes d’Algirdas Brazauskas (ancien premier secrétaire du parti communiste lituanien et premier président du pays après le retour de l’indépendance).

Etonnamment, cette forte propension à jouer les girouettes ne lui a guère causé de torts. Les élections parlementaires de l’automne 2000 lui permettent de retrouver son poste de Premier ministre. Toutefois, cette seconde expérience gouvernementale ne sera pas plus concluante que la première. Son limogeage va de nouveau coïncider avec un revirement politique, en l’occurrence la fin de la coalition et la création d’un nouveau parti, les libéraux démocrates soutenus par d’importants hommes d’affaires dont l’honnêteté et les motivations sont soumises à questions. Ce revirement n’est pas anodin.

En se désolidarisant de ses alliés, Paksas prépare le terrain pour la prochaine campagne présidentielle. L’ancien chef de gouvernement doit apparaître comme l’homme providentiel, dépassant les clivages habituels de la politique lituanienne. Grâce à sa fortune personnelle (et à celle de ses amis hommes d’affaire), Rolandas Paksas finance une intense campagne médiatique. Parcourant le pays aux commandes d’un hélicoptère, il est également présenté dans des spots télévisés chevauchant une grosse cylindrée en tenue cuir... Le candidat Paksas fait miroiter le maître mot de changement tout en rappelant à qui veut l’entendre la nécessité de “respecter la loi et l’ordre”. Accusé de démagogie et d’europhobie, on le dit perdant, voire perdu pour la politique. A deux semaines des élections, les sondages le créditent de 8,5% des voix. Et sa présence inattendue au second tour est perçue par les commentateurs comme un simple coup du sort, laissant entrevoir une réélection plus que confortable d’Adamkus.

Tardive profession de foi européenne

Contre toute attente, le président sortant n’obtiendra pourtant que 45% des suffrages... Etonnant pouvoir de l’image. Lorsqu’on demande aux Lituaniens pourquoi ils ont voté pour Paksas, ils se réfèrent rarement à son programme. La moitié d’entre eux ont été séduits par l’acrobate «parce qu’il est jeune et énergique». Les Lituaniens ont désormais un président qui plait aux classes sociales les plus basses, surtout en milieu rural. Les intellectuels sont plus circonspects. Ils doutent de sa – tardive - profession de foi européenne, et plus globalement de sa sincérité. « J’ai volé quand j’étais maire de Vilnius, j’ai volé quand j’étais Premier ministre et je volerai quand je serai président ». Si Rolandas Paksas dit vrai, les Lituaniens n’ont certainement pas fini d’assister aux acrobaties de leur «président volant».

 

Par Arnaud SERRY