En Roumanie, les usines et les anciens combinats délabrés, témoins d’une période révolue, aujourd’hui réduits au néant, constituent des dangers pour la nature et pour les hommes. Les Roumains se souviennent encore de la catastrophe écologique provoquée par l'usine de traitement des minerais aurifères au Nord de la Roumanie de Baia Mare, quand, le 30 janvier 2000, plus de 100 tonnes de substances mortelles, cyanure et métaux lourds, étaient déversées accidentellement dans les rivières voisines jusqu’au Danube. La Roumanie, réserve naturelle de l’Europe, a-t-elle conscience de ses richesses? Question culturelle ou éducative, les faits parlent d’eux-mêmes: l’environnement, réduit à des considérations méthodiques ou purement politiques, n’est pas considéré comme une priorité dans ce pays et ne suscite pas de remise en cause chez le citoyen.
Bien que la situation écologique des pays issus du bloc soviétique soit particulièrement alarmante, la question environnementale a souvent été absente des priorités dressées par les dirigeants. Les régimes communistes est-européens ont encouragé un développement effréné de complexes industriels, dont les équipements sont aujourd’hui vétustes, et ont fait du patrimoine national une responsabilité de l’Etat, au même titre que tout autre bien public. Dès lors, l’individu n’a pu que difficilement se sentir concerné par le respect d’un bien, confié aux soins de la mère patrie. Quelles que soient les raisons, les conséquences de ce désintérêt furent nombreuses, en témoignent les conclusions de l’ONG écologiste américaine Blacksmith Institute. Leur classement annuel des sites les plus pollués du monde[1] mentionne en effet de nombreux lieux situés dans l’ex-URSS. Le site de Baia Mare a, à ce titre, longtemps figuré parmi les 10 sites les plus pollués.
Des efforts contraints et difficiles
Depuis la révolution, plusieurs efforts ont été consentis en faveur d’une plus grande responsabilisation citoyenne et d’un meilleur respect de l’environnement, ce dernier étant peu à peu considéré comme le patrimoine de chacun. La rencontre de Nantes, organisée en mai 1991, a marqué un tournant majeur dans la prise de conscience européenne du problème[2]. La plupart des pays est-européens étaient représentés à cette table-ronde qui permettait d’aborder l’avenir de l’écologie dans ces pays, tout en favorisant un échange avec les démocraties ouest-européennes, elles-mêmes prenant peu à peu conscience de l’urgence de la situation dans leurs pays respectifs.
Une vingtaine d’années plus tard, les nouveaux pays membres sont contraints de faire face aux exigences européennes. Sans pour autant l’accompagner de mesures nationales claires, la Roumanie se dote d’un appareil juridique performant, permettant l’existence de zones protégées et un très bon recensement de zones Natura 2000. La majorité des lois sont votées dans une période très rapprochée, mais sont rarement suivies d’actions de protection et de sensibilisation. Ainsi, le site du ministère de l’Environnement et du Développement Durable fait avant tout de la promotion pour les énergies renouvelables et propose des mesures incitatives pour installer chauffe-eau ou panneaux solaires. Mais la communication du ministère paraît confuse : si les associations sont recensées dans l’annuaire en ligne, aucune recherche ne peut y être lancée[3]. Quelques campagnes nationales sont néanmoins mises en place et des événements tels que la Journée sans voiture apparaissent. Des campagnes de nettoyage dans les zones protégées de montagne sont renouvelées à chaque fonte des neiges, le delta du Danube est sous étroite surveillance. Mais, contrairement à d’autres pays issus du bloc de l’Est, la population roumaine s’implique difficilement et les actions entreprises conservent une portée anecdotique. Au contraire, l’association estonienne Teeme Ara[4] a réussi à regrouper plus de 50.000 bénévoles (soit près de 3% de la population du pays) sur la journée du 3 mai 2008 pour nettoyer et débarrasser la nature de quelques 1.000 tonnes de déchets entreposés dans les forêts, parcs et autres espaces publics. Par ailleurs, la législation roumaine demeure insuffisante et nécessite l’appui des représentations locales, qui bénéficient toutefois des effets de la décentralisation: quelques 50 agences pour la protection de l’environnement fleurissent ainsi dans les Judet(équivalent des régions).
Une mobilisation balbutiante à l’échelle locale
L’effort repose plutôt sur la société civile comme en témoigne un certain nombre d’actions récentes. Ainsi, la campagne «o 9 atitudine» («une nouvelle attitude») lancée en septembre dernier, soutenue par l’association des consommateurs ANPCPPS[5] a évoqué les problèmes d’économie d’énergie en diffusant une large campagne de communication via affiches et marque-pages, rappelant les gestes du quotidien pour protéger l’environnement. D’autres initiatives sont lancées par des entreprises privées gérant des services d’intérêt public et rappellent le désengagement de l’Etat sur ces questions.
A une échelle plus locale, certaines collectivités se positionnent comme pionnières d’un développement durable. Ainsi la ville de Ploiesti, bastion historique de l’industrie pétrolifère roumaine, qui a vu la faillite de ses combinats désuets, ne s’est pas laissé entraîner dans la dépression. Membre de plusieurs réseaux internationaux comme l’Association Internationale des Maires Francophones, et partie prenante du projet européen CIVITAS-SUCCESS[6], la municipalité souhaite faire de Ploiesti une ville verte. Pour cela, elle met en œuvre des projets valorisant les transports en commun, les pistes cyclables, ou destinés à rendre le centre-ville piétonnier. L’enjeu est de taille car Ploiesti est encore considérée comme une ville noire et industrielle à l’échelle nationale, voire européenne.
Le volontarisme de ces quelques municipalités reste encore trop rare. Si l’urgence du phénomène commence peu à peu à alerter la conscience collective, l’année 2008, marquée par des élections locales et législatives, a fait bien peu de cas des questions écologiques. Quelques mouvements se sont formés aux quatre coins du pays et la société civile impulse ponctuellement des initiatives. La catastrophe écologique de Baia Mare et surtout le cas du village de Rosia Montana menacé d’être rayé de la carte par le groupe canadien Gabriel Resource pour exploiter les filons aurifères[7], ont incité de nombreuses associations à s’unir et à réagir, permettant une relative prise de conscience et une médiatisation certaine des dangers auxquels l’homme se confronte, lorsqu’il abuse de ses pouvoirs sur l’environnement. Pour autant, il s’agit surtout de réactions face à des évènements dramatiques.
Le rôle déterminant de la jeunesse
Dans l’ensemble, les opérations de sensibilisation sont rares et peu relayées par les médias, même si plusieurs acteurs de la société civile s’y impliquent. L’association française Interphaz[9] a ainsi organisé en coopération avec des acteurs roumains plusieurs événements d’éducation à l’environnement. Entre vulgarisation scientifique et sensibilisation aux problématiques environnementales, des expositions grand public proposées à Ploiesti et à Iasi abordaient les thèmes de l’eau, des déchets, de l’énergie et des transports. Soutenu par des enseignants, un concours de dessins a permis aux plus jeunes d’exprimer leurs idées sur l’avenir de leurs villes. Le corps enseignant s’implique par ailleurs dans des programmes européens tels que COMENIUS, LEONARDO ou encore «Jeunesse en action», pour traiter des questions d’environnement. A ce titre, les nouvelles générations ont un rôle à jouer. Les impliquer dès le plus jeune âge sous-entend ainsi une meilleure information, en leur offrant notamment des plates-formes de rencontres ou des émissions ludiques. Mais changer les mentalités et les habitudes prend du temps.
[1] http://www.blacksmithinstitute.org/top10/worst35d.html et http://www.worstpolluted.org/
[2] La Crise de l’environnement à l’Est, sous la direction de Krystyna Vinaver, Coll. Pays de l’Est, L’Harmattan, 1993
[3] www.mmediu.ro/
[4] www.teeme2008.ee
[5] www.protectia-consumatorilor.ro
[6] www.civitas-success.org
[7] www.rosiamontana.org et http://www.gabrielresources.com/home.htm
[9] www.interphaz.org
* Présidente et Vice-président d’Interphaz.
Consultez les articles du dossier :
- Dossier #50 : "Ecologie à l'Est"
La fièvre écologique n’a pas tout à fait touché l’Europe de l’Est. L’héritage industriel communiste, les nouvelles exigences internationales écologiques et économiques et les difficultés internes dictent les politiques environnementales…