Il y a près d'un siècle, Nikolaï Ivanovitch Vavilov, scientifique russe, a envisagé un risque de catastrophe qui priverait l'humanité de la biodiversité naturelle. Botaniste, agronome et généticien, il a consacré sa vie à l'étude de la diversité végétale et à la collection de graines de plantes cultivées et sauvages du monde entier. Une activité qu'il a insufflée à l'Institut russe d'horticulture dont il a été le directeur de 1921 à 1940.
Le fil rouge de la vie et de l'activité scientifique de Nikolaï Vavilov était sans aucun doute la constitution de la collection de végétaux à travers le monde entier. Principalement sous forme de graines mais également d’herbier, cette collection est devenue, déjà de son vivant, une véritable banque, représentant le patrimoine génétique de la flore mondiale.
Officieusement, N.Vavilov était un «visionnaire» et prévoyait déjà, au début du 20e siècle, un risque de catastrophe qui priverait l'humanité de la biodiversité naturelle. Il prédisait alors un rôle important à sa collection: aider la science à éviter cette catastrophe ou, le cas échéant, à reconstituer le patrimoine végétal.
Officiellement, N.Vavilov a mis ses recherches au service de l'agriculture russe et soviétique afin de la rendre plus performante en recherchant et en sélectionnant des espèces cultivables plus résistantes et plus productives. Mais, malheureusement, les objectifs exigés par les autorités soviétiques dans les années 1930 se révélèrent inatteignables. Le biologiste fut arrêté en 1940, après avoir été accusé de vouloir ralentir la science soviétique et d’aller à l’encontre des objectifs fixés par le gouvernement. Trois ans plus tard, il mourut de dystrophie provoquée par la malnutrition. Paradoxe pour celui dont l'activité de toute une vie consista à réaliser une réserve de denrées alimentaires susceptible un jour de sauver le monde?
L’Institut Vavilov et sa Banque de semences aujourd'hui
Si beaucoup de Russes pensent aujourd’hui que l'Institut russe d'horticulture n'existe plus et qu'il a cessé son activité après l'arrestation de son célèbre directeur, c’est peut-être un signe révélateur du lien profond qui unit la personnalité de N.Vavilov et l'activité de son institution.
L'Institut Vavilov existe bien. Situé dans deux magnifiques immeubles classés sur une des plus belles places de Saint-Pétersbourg, il continue toujours sa mission d'enrichissement, de conservation et d'étude du patrimoine végétal mondial.
Aujourd'hui, la Banque de semences de l'Institut est classée quatrième mondiale, après celles des Etats-Unis, de Chine et d'Inde. 330.000 variétés de plantes cultivées et sauvages y sont conservées. A titre de comparaison, indiquons que les catalogues officiels de semences autorisées à la commercialisation en Russie et en France contiennent environ 7.000 variétés chacun et le catalogue européen environ 35.000. Selon le fonctionnement établi par N.Vavilov il y a 80 ans, chaque acquisition est étudiée pendant trois ans avant d'être introduite dans la collection. Pour donner un exemple parlant, la collection de l'Institut Vavilov contient 7.459 variétés de tomates dont 197 sont des variétés sauvages. On y effectue également la sélection des tomates pour le catalogue officiel de semences, en fonction des critères aromatiques, gustatifs et de la quantité de sucre, et non en fonction de l'apparence et de la durée de conservation, comme c'est le cas en Europe.
L'Institut possède en outre un magnifique herbier de 260.000 spécimens, inscrit dans le patrimoine de l'Unesco. Certaines graines, surtout celles des légumes, nécessitent un renouvellement régulier. Elles doivent être plantées et ensuite récoltées pour de nouveau pouvoir être conservées pendant quelques années. A cette fin, l'Institut possède de grandes surfaces de terre à la périphérie de Saint-Pétersbourg et dans ses 12 stations expérimentales réparties sur le territoire de la Fédération russe.
Toute cette organisation demande en effet de grands moyens pour bien fonctionner. Et, pour obtenir ces subventions de la part des institutions publiques, il faut tout de même que l'Institut Vavilov puisse démontrer que la richesse contenue dans sa Banque de semences n'est pas un simple patrimoine passif, qu'elle a un rôle concret à jouer dans la Russie d’aujourd’hui.
Un potentiel agronomique unique
Son potentiel le plus direct et le plus concret concerne l'agriculture. Des graines d’espèces végétales qui s'avèrent posséder des qualités recherchées en termes de rendement, de résistance, d'adaptabilité aux conditions climatiques, etc. peuvent être multipliées et mises en culture. L'agriculture industrielle privilégiant la monoculture est finalement consommatrice d'un très petit nombre d'espèces. Du coup, ce sont aujourd’hui les petits producteurs et fermiers individuels qui commencent à valoriser la diversité et des qualités de cultures autres que le rendement au sein de leurs exploitations. Les petits jardins potagers privés, qui assurent encore aujourd'hui l’autosuffisance alimentaire de certaines familles russes, sont les exploitations les plus respectueuses de l'environnement et les plus représentatives en termes de diversité horticole. Pommes de terre, choux, carottes, betteraves, tomates, concombres, pâtissons, courges, citrouilles, aubergines, pois, haricots, oignons, ail, aneth, basilic, menthe, pommes, poires, abricots, pêches, cerises, fraises, framboises, mûres, cassis, groseilles et différentes fleurs (avec 2-3 variétés dans chaque espèce), c’est la liste non exhaustive de ce qu'est capable de produire un «lopin» de 300 à 600 m² pendant les brefs mois d'été pour nourrir une famille durant toute une année.
Une seconde utilité de la collection de semences de l'Institut Vavilov est de servir de réserve génétique pour la science. Des recherches sont en effet menées au sein de l'Institut même et dans d'autres institutions scientifiques, universités, laboratoires. Mais les sciences du vivant ne font pas partie des sciences technologiques capables de fournir des résultats applicables à court terme. Or ce sont ces derniers qui sont actuellement privilégiés par le gouvernement russe. L'agronomie, et avec elle l'Institut Vavilov, se trouve donc délaissée par les subventions de l'Etat.
Des activités à l’international
A la recherche de moyens pour survivre et poursuivre sa mission, l'Institut russe d'horticulture se tourne de plus en plus vers la coopération internationale. En France, c'est l'Institut national de la Recherche agronomique (INRA) qui est le partenaire institutionnel de longue date de l'Institut Vavilov. Quatre à cinq projets sont menés en commun chaque année. Selon Bernard Esmein et Aline Jeannel de la direction internationale de l'INRA, deux grandes thématiques de coopération entre ces institutions sont actuellement en place: la première, dans le cadre d'un programme européen dirigé par l'INRA, concerne la génomique du blé. Le but est de «séquencer» le génome de toutes les variétés de blé existantes (11.000 environ), de répertorier toute la richesse génomique, afin de créer plus facilement de nouvelles espèces sans forcément utiliser la technique d'ingénierie génétique. La deuxième thématique porte sur la recherche de nouvelle variabilité génétique de petit-pois pour l'agriculture durable.
Des partenariats avec des ONG et des associations sont également mis en place. En 2007, le réseau international Urgenci, représenté en France par les AMAP (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne), a établi une collaboration avec l'Institut Vavilov. D'après Daniel Vuillon, vice-président de Urgenci, «le projet consiste à chercher dans la collection de l’Institut les variétés anciennes disparues chez nous, ou des variétés d’autre origine mais adaptables à nos conditions pour les rendre aux paysans qui les cultiveront et les amèneront dans l’assiette des consommateurs des AMAP».
De même, Alix de Saint-Venant, paysagiste passionnée de la région de Tours, a créé un magnifique jardin potager ouvert au public autour du Château de Valmer. Le but de son projet est de «reconstituer le maximum de diversité possible de plantes comestibles», et également de reconstituer le patrimoine potager régional. Dans la collection de l'Institut Vavilov, elle a trouvé des graines de plantes françaises (tomates, légumes, haricots) répertoriées dans les catalogues de Vilmorin qu'elle n'avait pas pu trouver en France. Même s’ils n’étaient pas très motivés au départ par une collaboration avec un particulier, les conservateurs de la collection de Vavilov ont finalement compris que les petites initiatives privées jouent souvent le rôle précurseur des grands changements. Depuis 2005-2006, les échanges sont établis et une délégation de chercheurs est même venue visiter le jardin du château de Valmer pour contempler in situ ce qu'ils ne voyaient avant que sous forme de graines.
La collection représente avant tout une réserve inépuisable de matériel et ce que l'humanité en fera ne dépend que de ses intentions. Si la richesse de la collection est employée pour ne produire que des végétaux à haut-rendement, peu respectueux de l'environnement, et des OGM à l’impact encore bien mal évalué aujourd’hui, afin de les mettre en culture à outrance, la finalité de son bilan environnemental sera certainement négative. Paradoxalement, on peut se demander si l'hypothèse de N.Vavilov sur une éventuelle contribution de sa collection à la sauvegarde de la diversité végétale va finalement se réaliser…
Site Internet de Urgenci: http://www.urgenci.net/page.php?niveau=2&id=Institut%20Vavilov
* Lidia CHAVINSKAIA et Allan WISNIEWSKI sont étudiants en Master Politiques environnementales et développement durable à l'Institut Catholique de Paris.
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