Russie : le nationalisme a tué 35 étrangers en 2005

Les Africains, ainsi que les Asiatiques, sont les principales victimes des bandes de jeunes extrémistes néo-nazis qui prolifèrent dans les grandes villes de la Fédération.


Les années passent et se ressemblent pour les 90.000 étudiants étrangers qui poursuivent leurs études en Fédération de Russie. Selon les statistiques de l'UNESCO, ce pays est le huitième du monde pour l'accueil des étudiants étrangers dont la plupart sont des ressortissants des pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine (55 %), ainsi que des pays membres de la Communauté des Etats Indépendants (près de 33 %) ; viennent ensuite les Européens et les étudiants d'autres pays. Fragilisés par leur précarité économique, dans un pays où les études sont payantes depuis 1991, les étudiants étrangers sont également fréquemment victimes d’une violente haine raciale, reflet de la montée de la xénophobie et de l’activisme spectaculaire des mouvements extrémistes en Russie.

L’activité de ces groupes violents s'inscrit dans une vague générale de montée d’un «nationalisme épidermique», très virulent dans la société russe aujourd’hui. Le 24 décembre 2005 à Saint-Pétersbourg, deux étudiants étrangers, un Camerounais et un Zambien, en ont tragiquement fait les frais. Poignardé à deux reprises dans le cou, le premier a immédiatement succombé à ses blessures, tandis que le second était grièvement blessé d’un coup de couteau au ventre. Le 6 décembre 2005, une étudiante camerounaise était enlevée par des inconnus qui s’étaient introduits sans autorisation sur le campus universitaire, pourtant sous le regard des services de sécurité. Deux jours après sont enlèvement, la jeune femme été retrouvée morte à Rostov-sur-le-Don.

Les faits divers de ce genre sont aujourd'hui légion en Russie et les autorités refusent de reconnaître l'existence d'un tel phénomène, les assimilant à «des actes isolés qui relèvent de la criminalité, en hausse dans le pays». Il ne se passe pourtant pas une semaine sans que des cas d'agressions d'Africains ne soient signalés. Ceux-ci, ainsi que les Asiatiques, sont les principales victimes de ces comportements xénophobes. Beaucoup d’entre eux estiment qu’il n’est pas prudent de sortir non accompagnés, et qu’ils courent un risque sérieux d’être agressé par les groupes de jeunes «skinheads». Plusieurs des 35 meurtres racistes commis en 2005, pour délit de couleur de peau, ont eu lieu en plein jour et en pleine rue, jusque dans les cités universitaire. On en a compté 45 en 2004 et une vingtaine en 2003. En 2005, on a enregistré 350 passages à tabac.

Si les crimes à caractère raciste sont donc en augmentation, ce sont les villes de Saint-Pétersbourg, Moscou, Voronej, Rostov-sur-le-Don et Krasnodar qui sont considérées comme les plus dangereuses pour les étudiants étrangers. Des groupes de néo-nazis, tels que «Bezoumnaïa Tolpa» («la Foule endiablée»), qui regrouperaient environ cinquante mille membres dans toute la Fédération de Russie, lynchent méthodiquement leurs victimes aux cris de «La Russie aux Russes !» ou «Les Russes arrivent !»

On estime généralement que la chute de l’Empire soviétique a rendu possible cette résurgence d’un fort sentiment nationaliste en Russie : la banalisation de la violence fait le lit des agressions racistes, même si, pendant la période soviétique, le système a toujours prôné, officiellement, l’égalité des races. L’expression la plus virulente de ces nouvelles tendances passe par le parti politique LDPR de Vladimir Jirinovski ou encore par «Pamiat» («Mémoire») et «Rodina» («Patrie»), connus pour leur xénophobie et leur insistance sur la soi-disant supériorité de la Russie. Or, l’excitation des nationalistes représente non seulement un danger permanent pour les étudiants étrangers, mais elle ternit davantage l’image déjà peu reluisante à l’extérieur de la Russie actuelle. Ces meurtres se déroulent dans une relative indifférence et la passivité des forces de l'ordre expliquerait cette impressionnante vague d’agressions contre les étudiants étrangers, dans un pays qui a pourtant, en 1867, donné à l'Europe son premier général Noir, en la personne de Abraham Pétrovitch Hannibal, arrière-grand-père du créateur de la littérature russe, Alexandre Pouchkine.

Oubliés et parfois abandonnés à leur triste sort par les responsables de leur propre pays, ces jeunes étudiants étrangers meurent dans une indifférence qui brise au passage les vies et les espoirs de familles entières restées au pays. Seules quelques timides voix s’élèvent à travers l’Afrique pour réclamer la suspension de la coopération universitaire tant que les autorités russes n’auront pas pris des engagements fermes garantissant la sécurité des citoyens étrangers. Le ministre russe de l'Éducation et des Sciences, Andreï Foursenko, a annoncé son intention de revoir la liste des Instituts et des villes qui pourraient désormais accueillir des étudiants étrangers. Il a affirmé que l'Agence fédérale pour l'éducation prendrait des mesures supplémentaires pour garantir la sécurité des étudiants étrangers en Russie.

 

* Ferdinand DITENGOU MBOUMI est journaliste, diplômé de l’université d’Etat de Minsk (Biélorussie).