Serbie / Union européenne : nouvelle étape dans les négociations d’adhésion

Après deux années de statu quo, la Serbie a enfin ouvert un nouveau cluster dans le cadre de ses négociations d’adhésion à l’Union européenne. C’est un signal politique fort et encourageant pour les autorités et les citoyens. Mais cette avancée est-elle réellement justifiée ?


Serbie. Forteresse de Kalemegdan (© Jelena Jokic)La chute du régime de Slobodan Milošević en 2000 a permis à la République Fédérative de Yougoslavie (RFY, devenue Serbie en 2006) de mettre fin à un régime autoritaire et populiste, qui l’avait cloisonnée dans une décennie de sanctions internationales et de profonde récession économique. Le projet d’adhésion à l’Union européenne (UE) a alors été perçu par la population serbe comme un nouveau chapitre, qui permettrait au pays de retrouver la paix et la stabilité économique tant convoitées depuis 1991. Pour comprendre la complexité du processus d’adhésion de la Serbie, il faut avant tout tenter de comprendre les tergiversations européennes à l’égard de cette candidature ainsi que les conditions posées par l’UE.

Sur la corde raide

Tout pays candidat à l’adhésion européenne doit respecter les critères de Copenhague, formalisés dans l’acquis communautaire. La spécificité du cas serbe réside dans les séquelles de la guerre yougoslave, lors de laquelle, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis, conditionnant la relation UE/Serbie à une coopération soutenue de cette dernière avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). En effet, des critères spécifiques ont été mis en place, notamment « le respect des accords de paix, le retour et l’intégration des réfugiés ; la pleine coopération avec le TPIY, le développement des relations de bon voisinage et de la coopération régionale en Europe du Sud-Est et la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina pour la Serbie et le Kosovo » (S. Gajić, 2020, p. 26). Il est donc clair qu’outre les critères évoqués précédemment, une approche particulière a été adoptée vis-à-vis de la Serbie.

Les premiers jalons des relations UE-Serbie ont été posés lors du Sommet UE-Balkans occidentaux qui s’est tenu le 24 novembre 2000 à Zagreb. À l'issue de ce dernier, une déclaration commune entre les pays membres de l’UE et des Balkans occidentaux a été adoptée, martelant « la perspective européenne de cette région » (S. Gajić, 2020, p. 48). Cette affirmation a conforté le gouvernement serbe dans ses ambitions européennes : primo, la Serbie est un pays européen d’un point de vue géographique ; secundo, elle est entourée de pays membres de l’UE (Grèce, Croatie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie) ; tertio, elle présente un intérêt géopolitique stratégique pour l’UE, car située au carrefour entre Ouest et Est, Nord et Sud (fait confirmé par la crise des migrants de 2015 (S. Gajić, 2020, p. 55). La volonté de maintien de la paix et de stabilisation des Balkans a été concrétisée via la création du Processus de stabilisation et d’association (PSA) mis en place lors du sommet de Zagreb, en novembre 2000. Le principal instrument du PSA est l’Accord de stabilisation et d’association (ASA) entré en vigueur le 1er septembre 2013.

Une trajectoire erratique et complexe

Tout comme la transition économique de la Serbie fut sujette à des perturbations exogènes et endogènes, sa trajectoire européenne demeure erratique. Depuis 2013, de nouveaux défis sont en effet apparus sur la scène européenne et internationale, retardant son processus d’adhésion : d’abord, Belgrade a dû négocier avec 28 États membres, contrairement à la Slovénie ou à la Pologne ; ensuite, le Brexit est venu bousculer l’échiquier politique européen et les priorités des institutions européennes ; enfin, la crise de la Covid-19 a fait passer au second plan les processus d’adhésion, les États membres devant  faire face à des impératifs sanitaires et humanitaires urgents (S. Gajić, 2020, p. 72). De surcroît, l’ancienne méthodologie d’adhésion (2014-2020) a été abandonnée au profit d’une nouvelle approche, impulsée par la France et mise en place en juillet 2020 : au lieu des 31 chapitres précédemment identifiés, ce sont désormais 35 chapitres sur lesquels le candidat doit désormais s’aligner. L’UE a d’ailleurs un pouvoir discrétionnaire sur le chapitre 35, dont le contenu est adapté en fonction de chaque pays : dans le cas de la Serbie, il s’agit d’un chapitre consacré « à la normalisation des relations entre la Serbie et le Kosovo » (S. Gajić, 2020, p. 78).

Le principe de benchmark est utilisé afin d’ouvrir ou de clôturer un chapitre. Des outils de reporting et d’évaluation des progrès/régressions d’un pays candidat sont publiés chaque année sous la forme d’un Rapport individualisé par pays. Pour la Serbie, 18 chapitres ont été ouverts en 2014, dont deux clos depuis provisoirement (chap. 25 dédié à la science et à la recherche et 26 dédié à l’éducation et à la culture). Par ailleurs, un nouvel élément a été introduit en juillet 2020 pour la Serbie et le Monténégro, sous le nom de « disequilibrium clause », permettant de suspendre provisoirement les négociations si l’UE estime que le pays candidats stagne ou régresse dans la mise en place des réformes : cette clause s'applique notamment aux chapitre 25, 26 et 35, considérés comme domaines-clés dans le cas serbe (S. Gajić, 2020, pp. 81-82).

Cette nouvelle méthodologie n’a pas fondamentalement révolutionné l’approche ni le processus d’adhésion, les valeurs et principes de base de convergence politique, économique et sociale demeurant la pièce-maîtresse du processus. Cependant, elle permet de mettre en exergue le principe de la carotte et du bâton – récompensant les États les plus avancés et sanctionnant ceux qui sont à la traîne en termes de réformes. De plus, la possibilité de rouvrir un chapitre fermé permet de s’assurer d’un réel engagement de l’État candidat et de garantir que les réformes seront bien mises en œuvre. Où en sommes-nous en 2022 ?

L’ouverture du cluster 4 : carotte ou bâton ?

Lors de la dernière conférence d’adhésion avec la Serbie au niveau ministériel qui s’est tenue le 15 décembre 2021 à Bruxelles, l’UE a donné son feu vert pour l’ouverture du cluster 4, intitulé « Agenda vert et connectivité ». À la traîne depuis 2019, les négociations UE/Serbie ont connu un fort rebondissement avec cette nouvelle étape franchie dans le cadre de la présidence slovène.

Le cluster 4 est composé de plusieurs chapitres, à savoir la politique des transports (chapitre 14), l'énergie (chap. 15), les réseaux transeuropéens (chap. 21) et l'environnement et le changement climatique (chap. 27). Or, cette annonce est survenue peu de temps après de vastes manifestations environnementales (plus de 50) qui ont secoué la Serbie fin 2021 en réaction à un projet de loi controversé sur l’expropriation des biens et les futurs projets miniers.

La population a bloqué des routes, autoroutes, ponts et intersections en signe de protestation contre l’arrivée du groupe Rio Tinto, porteur d’un projet d’extraction de lithium considéré comme fortement polluant. Plus globalement, des ONG locales environnementales comme « Coalition 27 » ont pointé du doigt les niveaux élevés de pollution en Serbie, tous terrains confondus (eau, air, sol). L’importante mobilisation citoyenne a mis l’exécutif au pied du mur : le 8 décembre, le projet de loi a été abandonné. Mais le processus était lancé : les questions environnementales ont fait la une des journaux serbes pendant plusieurs semaines en raison de révélations inquiétantes liées notamment à l’activité d’investisseurs étrangers. Des eurodéputés ont eux aussi récemment exprimé leurs inquiétudes face à d’importants investissements chinois et l’activité d’usines non conformes aux normes sanitaires et environnementales. Ils ont par ailleurs exigé une enquête détaillée de la part de l’exécutif à la suite d’allégations de traite d’êtres humains dans une usine chinoise de pneus située à Zrenjanin (au nord-est de la Serbie), où travaillent 500 ouvriers vietnamiens dans des conditions suspectes.

Hasard (ou pas) du calendrier, l’UE a donc donné son feu vert à l’ouverture de ce cluster qui met au cœur l’environnement et le climat dans un contexte mouvementé (et à peine quelques mois avant l’élection présidentielle serbe qui doit se dérouler le 3 avril 2022). Sous la pression de la société civile, le gouvernement serbe a annoncé officiellement le 20 janvier 2022 l’abandon définitif du projet controversé « Jadar », dont celui d’extraction de lithium par Rio Tinto en Serbie.

Une victoire éphémère ?

Certes, le dernier rapport de l’UE sur la Serbie publié en octobre 2021 a mis en exergue les progrès de la Serbie en termes d’adaptation législative à l’acquis communautaire dans les domaines du transport ferroviaire, maritime et aérien, de la gestion des déchets, de l’énergie et du changement climatique. Mais de nombreux aspect restent problématiques : on peut citer la pollution de l’air de 13 villes serbes – dont Belgrade – ou l’activité de la centrale thermique de Kostolac, considérée comme la plus polluante d’Europe du fait de ses émissions de dioxyde de souffre, mais également l’absence de tri sélectif, de campagnes de sensibilisation à la gestion des déchets la mauvaise gestion du traitement de l’eau et les constructions sauvages…

Il est donc légitime de se questionner sur la stratégie poursuivie par l’UE avec l’ouverture de ce cluster 4. Doit-on y voir un « bâton », invitant la Serbie à se conformer plus rapidement aux normes et législations environnementales européennes, à réduire la présence ou l’activité de certaines entreprises étrangères (notamment chinoises) et à entamer sa transition vers la neutralité carbone, notamment grâce aux fonds mis à disposition via le Plan économique et d’investissement pour les Balkans occidentaux ?

 

Sources principales :

- Sandra Gajić, « Le jeu des négociations entre l’Union européenne et la Serbie : les critères politiques (2000-2020) ». Thèse de doctorat, Université de Bordeaux, 2020, p. 26.

- « Serbia opens cluster 4 in EU accession negotiations », Balkan Green Energy News, 14 décembre 2021.

- « Commission staff working document Serbia 2021 Report », Commission européenne, 19 octobre 2021.

- « Serbia opens EU Negotiating Cluster 4 – Green Agenda and Sustainable Connectivity », EU in Serbia, 14 décembre 2021.

- Svetla Miteva, « Vucic backs down on Rio Tinto project under pressure from civil society », Euractiv, 20 décembre 2021.

 

Vignette : Forteresse de Kalemegdan (© Jelena Jokic).

 

* Jelena Jokic est doctorante en économie auprès du Centre de Recherche Europes-Eurasie (CREE) de l’INALCO.

Lien vers la version anglaise de l'article.

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