Sous le vent de la polémique

Son nom interpelle. La Maison de la Terreur, le nouveau musée de Budapest, a ouvert ses portes en février 2002. Et soulevé aussitôt un vent de polémique sur la capitale hongroise.


Maison de la Terreur à BudapestAvec une croix fléchée et une étoile rouge pour logo et « Le passé doit être avoué » pour devise, la Maison de la Terreur ne pouvait que susciter un vif débat. Provocation, projet controversé, dérangeant ou bien hasardeux ? Quoi qu’il en soit, en faisant cohabiter sous le même toit les affres du nazisme et du communisme, le musée se mettait de facto sous le feu des critiques.

L’accusant de juger plus que d’exposer, ses principaux détracteurs dénoncent un lieu culturel devenu instrument politique aux mains d’un gouvernement conservateur. Pour les initiateurs du projet, il s’agissait de « commémorer les victimes de deux dictatures terribles du XXème siècle », tout en évitant l’écueil d’une comparaison macabre entre le nazisme et le communisme. Et pourtant. La Maison de la Terreur expose et donne à voir, sans distinction aucune, les tortures, déportations, répression, travaux forcés ou autres formes de terreur exercées à l’encontre des victimes des régimes nazi, puis communiste en Hongrie. Les comparaisons directes ont peut-être été éludées. Mais l’amalgame, semble-t-il, non.

Inaugurée par Viktor Orban, le premier ministre conservateur de l’époque, la Maison a ouvert ses portes le 24 février 2002, à un mois et demi des élections législatives de 2002 et également, au lendemain de la journée commémorative des victimes du communisme. Un calendrier particulièrement étudié et idéal pour assurer une forte médiatisation autour du musée-souvenir. Mais aussi foncièrement vilipendé par ses détracteurs, accusant le gouvernement de manipuler le passé à des fins politiques.

60 avenue Andrassy

Lieu de mémoire, le bâtiment qui abrite aujourd’hui le musée fut un temps « la Maison de Loyauté », où étaient réunis les Juifs torturés par les nazis hongrois à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Avant de devenir la maison d’arrêt des ennemis du régime communiste arraisonnés par la police politique, jusqu’en 1956.

Aménagé en musée, le numéro 60 de l’avenue Andrassy est désormais une succession de galeries, devenues « salle des larmes », « salle du Goulag » ou encore « chambre des tortures », le visiteur pouvant également y voir des cellules, une potence et d’autres instruments de torture.

L’exposition commence par une rétrospective sur la double occupation, allemande puis soviétique, subie par la Hongrie à partir de mars 1944. Puis, au gré de la visite, les salles et thématiques se succèdent : fonds sonores macabres de corps de victimes juives jetés dans le Danube, collectivisation, extraits du procès d’Imre Nagy, objets personnels de l’archevêque Jozsef Mindszenty -symbole de la résistance face au pouvoir communiste, etc. La partie la plus contestée du musée étant la « galerie des coupables ».

Au mur, des photos d’anciens membres du parti nazi et de la police politique communiste. Certains sont morts, d’autres non. Parmi ces derniers, se trouveraient des acteurs inconnus et a priori innocents. Alors que quelques collaborateurs connus de la déportation de 1944 ou Matyas Rakosi, le Staline hongrois, n’y sont pas présentés.

Informations partielles et partiales, volonté de juger plus que d’exposer, vision erronée d’un passé « monolithique » : la liste des accusations à l’encontre d’une Maison de la Terreur devenue « Maison de la controverse » est longue. Mais, sa plus grande erreur semble bien d’avoir assimilé les années 1945-1957 du régime communiste aux décennies suivantes. En somme, une provocation ouverte pour les anciens membres du Parti Communiste des années 1980, ayant encore des fonctions importantes dans la vie politique actuelle…

Au-delà de la controverse autour de la véracité de certains informations présentées au public, le musée révèle au grand jour, et de façon particulièrement prégnante, les difficultés d’aborder un point sensible de l’histoire nationale hongroise, après des décennies de silence officiel. Surtout dans un pays où les élites au pouvoir, anciens communistes ou nouveaux conservateurs, cherchent encore à s’identifier à travers le passé, et où l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques constitue, plus que jamais, un terrain très glissant.

Un an après son inauguration, le débat autour du musée est toujours d’actualité. Il a été relancé en décembre 2002, à l’occasion des débats au Parlement sur le budget de l‘année 2003, lorsque Peter Medgyessy, le premier ministre actuel, a proposé d’augmenter les subventions gouvernementales allouées au musée. Au moment même où le ministère de la Culture et du Patrimoine national signifiait sa volonté de modifier les membres du comité scientifique en charge du musée.

Le 23 février dernier, à l’occasion de la célébration commémorative des victimes du communisme, Viktor Orban s’est prononcé contre une transformation éventuelle du musée, réitérant la nécessité de défendre la Maison de la Terreur contre ceux qui ne veulent plus se souvenir. Preuve que, douze ans après la chute du régime communiste, si la situation politique du pays a évolué, les mémoires, elles, sont encore en bataille.

Par Eva FISLI
Vignette : Maison de la terreur à Budapest (© Assen SLIM)
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