La centrale nucléaire tchèque de Temelin s'est une nouvelle fois arrêtée le 26 novembre 2008, suite à une procédure d'urgence enclenchée par le système de surveillance automatique. Un incident du bloc numéro 2 de la centrale semble être à l'origine de cet arrêt, alors que le bloc numéro 1 est déjà en réparation depuis plusieurs mois après une défaillance similaire.
Les nombreux incidents, qualifiés de «mineurs>» par les autorités[1], tendent à donner raison à ceux, qui, en République tchèque mais aussi en Allemagne et en Autriche, critiquent cette centrale définitivement lancée en juin 2002.
Le projet de construction d'une deuxième centrale en République tchèque, après celle de Dukovany, a été élaboré dans les années 1980 sous le régime communiste. Conçue à Prague et en URSS, la centrale était basée sur la technologie soviétique et devait comporter quatre réacteurs. Finalement, après la Révolution de velours de 1989, il a été décidé de ne construire que deux réacteurs d'une puissance d'environ 1.000 mégawatts chacun[2]. Dès le début de son achèvement, à la fin des années 1990 – début des années 2000, de nombreuses voix se lèvent pour protester contre la construction d'une centrale de «type soviétique» au cœur de l'Europe, à 60 km de la frontière allemande et à 50 km de la frontière autrichienne. Malgré une remise à niveau effectuée par l'entreprise américaine Westinghouse, désormais tristement célèbre pour avoir contrôlé la centrale de Tricastin en France, les doutes et les protestations subsistent encore autour de cette centrale.
L'adhésion de la République tchèque à l'UE hypothéquée par Temelin?
A quelques mois du lancement de la centrale nucléaire, les manifestations et les tensions diplomatiques s'étaient accentuées entre la République tchèque et l'Autriche. Pendant plusieurs semaines, les activistes anti-nucléaires autrichiens et tchèques bloquent le passage frontière de Dolni Dvoriste – Wulowitz afin de retarder la construction. Ces blocages spontanés sont reconduits jusqu'en 2007 à chaque fois que la question de Temelin est soulevée.
Du côté du gouvernement autrichien, c'est le gouverneur de la Haute-Autriche, Josef Pühringer, qui est le plus mobilisé, accusant la République tchèque de «non respect des principes de bon voisinage»[3]. Mais c'est en août 2000, lors de la phase d'achèvement de la centrale, que le plus important avertissement vient du côté autrichien. Le gouvernement autrichien de l'époque, dirigé par Wolfgang Schüssel, déclare qu'il peut entraver l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne si celle-ci ne met pas aux normes la future centrale de Temelin[4]. L'Autriche, qui a renoncé au nucléaire par un référendum en 1978, a provoqué ainsi une crise diplomatique avec la République tchèque qui refuse une nouvelle évaluation, et donc un retard dans la construction de la centrale.
En 2000, les accords de Melk, qui obligent les Tchèques à rendre régulièrement des comptes aux Autrichiens, semblent mettre fin à la confrontation entre les deux pays et lever la menace d'un veto autrichien sur l'adhésion de la République tchèque à l'UE. Mais le bras-de-fer repart de plus belle en janvier 2002 lorsque l'extrême droite autrichienne de Jörg Haider décide d’utiliser Temelin à des fins politiques. Ajoutant, dans la balance des relations austro-tchèques, la question de Temelin aux célèbres décrets Benes concernant les expulsions et les expropriations de biens autrichiens après la Seconde Guerre mondiale, J.Haider veut jouer la carte de la peur pour que les Autrichiens bloquent, par référendum, l'entrée de la République tchèque dans l'UE. Sa consultation populaire est un succès puisque la pétition recueille près d'un million de signatures. Mais elle ne donne pas de suites car, d'un côté, il n'y a pas de normes nucléaires européennes communes, ni de compétence de l'UE dans le domaine et, de l'autre, le Chancelier autrichien décide de ne pas jouer la surenchère.
Toutefois, chaque fois qu'un incident se produit à la centrale, les autorités autrichiennes ne manquent pas de rappeler aux Tchèques leurs engagements. Par exemple, suite à un important incident survenu en octobre 2007, le Parlement autrichien a voté une loi «exigeant la fermeture pure et simple de Temelin», faute de quoi le gouvernement menaçait de saisir la Cour de justice européenne[5]. Menace qui est, jusqu'ici, restée lettre morte.
Temelin: berceau de l'écologie politique tchèque
Si la question de la centrale nucléaire de Temelin a marqué un retour des tensions entre l'Autriche et la République tchèque, elle a aussi été à l'origine de l’émergence d'un véritable mouvement d'écologie politique.
Plusieurs organisations écologistes, dont une partie a donné naissance, quelques temps après, au parti Vert tchèque, se sont renforcées avec la vague de protestations contre la centrale de Temelin. C'est le cas, entre-autres, de Jihocesky Matky (les mères de la Bohême du sud), de Duha (Arc-en-ciel, affilié aux Amis de la Terre) et de Deti Zeme (les enfants de la Terre)[6]. Toutes créées à partir de 1989, ces organisations se font remarquer dans les années 1990 par leur opposition radicale au projet de construction de la centrale de Temelin. Mais, au milieu des années 1990, les formes que prennent leurs protestations, pourtant pacifiques, sont jugées comme «violentes» par le gouvernement, ce qui leur vaut de figurer sur la liste des «organisations extrémistes» du ministère de l'Intérieur.
Cette marginalisation les conduit à devenir plus institutionnelles et à agir parfois comme un lobby. A la fin des années 1990 – début des années 2000, plusieurs d'entre elles, à l'image de Dana Kuchtova (ex-présidente des mères de Bohême du sud), décident de rejoindre le parti Vert tchèque (Strana Zelenych) en se rapprochant de l'écologie politique semblable aux partis Verts de l'Europe occidentale. En 1998, elles réussissent même à convaincre plusieurs ministres du gouvernement Zeman, pro-nucléaire convaincu, de ne pas soutenir Temelin. Mais la majorité reste pour...
Après la construction de la centrale, les Verts tchèques essayent de remettre la question de sa fermeture sur le tapis lors des élections législatives de juin 2002. Malheureusement pour eux, le vent de l'opinion a déjà tourné. Si, en 1999, seulement près de 20% des Tchèques étaient pour le nucléaire, en 2002 ils sont déjà plus de 70% favorables à cette technologie[7]. Les déclarations de J.Haider ont sans doute joué un grand rôle dans le renversement de cette tendance, réussissant quasiment, en quelques mois, à faire de la défense de Temelin une cause nationale tchèque[8]. Finalement, critiqués pour leur «manque de patriotisme», les Verts tchèques n'obtiennent que 2,5% aux élections législatives et aucun siège au Parlement.
Discorde au sein des Verts et du gouvernement
La multiplication des incidents à Temelin et une prise de conscience plus générale de la société tchèque ont concordé avec les élections législatives de juin 2006. Même si la question de la centrale nucléaire n'est pas toujours mise en avant dans la campagne, elle bénéficie tout de même d'une place centrale dans le programme du parti[9]. Ainsi, les Verts tchèques ne défendent pas ouvertement sa fermeture, mais mettent l'accent sur les problèmes de sécurité et sur leur opposition à un éventuel agrandissement de Temelin.
Rejoints dans leur combat par l'ex-Président Vaclav Havel, favorable en son temps à un référendum sur le sujet, les Verts tchèques obtiennent 6,3% et 6 sièges à la chambre basse. Ce succès est très chaleureusement accueilli par les écologistes allemands et autrichiens qui ne cachent pas leur volonté de voir naître un parti Vert fort en République tchèque pour espérer fermer Temelin. Mais la question n'est pas si simple... en décidant de rejoindre le gouvernement dirigé par les conservateurs de Mirek Topolanek (ODS), le parti dirigé désormais par Martin Bursik a, certes, obtenu des avancées en termes de politique de défense de l'environnement, mais a dû, en échange, abandonner quelques positions importantes. Les questions de Temelin et de l'installation des radars anti-missiles américains, entre-autres, sont restées floues.
La centrale de Temelin est devenue rapidement un point de discorde important, non seulement au sein du gouvernement mais aussi au sein de Verts tchèques. Dès l'entrée en fonction du nouveau gouvernement, les conflits entre les ministres Verts et les autres membres de la coalition se sont multipliés. La première à en subir les conséquences fut Dana Kuchtova; accusée de «déstabiliser le gouvernement», elle quitte son poste de ministre de l'Education en 2007. Récemment, c'est Martin Bursik, devenu vice-Premier ministre en charge de l'environnement, qui semble être le plus virulent. Il n'hésite pas à mettre le doigt sur les problèmes de sécurité de la centrale[10] en mettant ouvertement en doute les compétences de l'Office national de la Sécurité nucléaire tchèque[11]. Il est même allé jusqu'à entrer directement en conflit avec Martin Riman, le ministre de l'Industrie et du Commerce, en s'opposant à la construction de deux nouveaux réacteurs à Temelin. Mais, malgré ces déclarations, les positions de M.Bursik sont souvent jugées «trop molles» par l'aile plus radicale du parti des Verts. Lors de leur dernier Congrès, en septembre 2008, ils ont même essayé de jouer cette carte pour empêcher la réélection de M.Bursik à la tête du parti, en vain[12].
A l'approche de nouvelles échéances électorales, la question de Temelin reste centrale pour une partie des Tchèques. Si le bras-de-fer au sein du gouvernement continue, les Verts pourraient envisager d'entrer en conflit plus direct, voire sortir de la coalition et ainsi provoquer de nouvelles élections. Pour l'instant, le manque de clarté quant à leurs positions provoque une baisse de leur popularité dans l'opinion car ils ne sont plus crédités que de 5,6% pour les élections européennes de juin 2009[13]. Sortir de la coalition pour recomposer un gouvernement avec les sociaux-démocrates? Ils y pensent déjà... Reste à savoir si leurs nouveaux alliés seront plus proches d'eux sur la question de Temelin.
[1] http://www.ecopolit.eu/ [1] http://www.rozhlas.cz/cb/zpravodajstvi/_zprava/519202
[2] http://www.cez.cz/en/power-plants-and-environment/nuclear-power-plants/temelin.html
[3] http://www.radio.cz/fr/article/12577
[4] http://www.radio.cz/fr/article/12676
[5] http://www.lefigaro.fr/international/2007/03/03/01003-20070303ARTFIG90875-nouvel_incident_serieux_dans_une_centrale_nucleaire_tcheque.php
[6] http://mcsinfo.u-strasbg.fr/article.php?cPath=17_33&article_id=2773
[7] http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/un-tchernobyl-diplomatique_492112.html
[8] http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/1758826.stm
[9] http://www.zeleni.cz/159/clanek/2-modernizace-ceske-spolecnosti/#2.4
[10] http://www.cbw.cz/en/bursik-on-temelin;-cez-fears-lustful-eyes/4264.html?search=a
[11] http://www.radio.cz/fr/article/89350
[12] http://www.hlasprobursika.cz/2008/09/martin-bursk-byl-znovu-zvolen-pedsedou.html
[13] http://www.novinky.cz/clanek/154542-stem-volby-by-s-37-7-procenty-hlasu-vyhrala-cssd-ods-21-procent.html
* Alexis Prokopiev est militant des Verts en France, rédacteur du webzine Ecopolit.
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