TTIP/CETA : le grand marché transatlantique enthousiasme-t-il l’Europe centrale?

Après deux semaines d’opposition de la part de la Wallonie, l’Union européenne (UE) et le Canada ont fini par trouver un accord leur permettant de signer le traité Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), créant une zone de libre-échange entre les deux parties. Un accord perçu différemment de part et d’autre de l’Europe.


Dimanche 30 octobre 2016 a donc pu avoir lieu la signature du CETA pour la création d’une zone de libre-échange entre l’UE et le Canada. La Wallonie était la dernière région d’Europe à bloquer cette signature. Après des négociations très médiatisées et de légères modifications n’impactant pas directement le cœur de l’accord, la région belge a fini par rejoindre le reste de l’Europe.

La Bulgarie et la Roumanie ont profité de la situation pour faire pression sur Ottawa qui avait prévu un régime spécial de visa pour les ressortissants de ces deux pays. Les autorités de Sofia et Bucarest n’étaient pas opposées au traité en lui-même, mais ont exigé de leurs homologues canadiens des garanties écrites sur cette question avant de donner leur feu vert pour la signature.

Certains pays d’Europe centrale ont réagi positivement à la signature. C’est le cas de Robert Fico, le Premier ministre slovaque : « Soyons heureux qu’un accord commercial si progressiste et si bon, pouvant servir d’exemple à d’autre pays dans le monde, voie le jour. »[1] C’est le cas aussi du gouvernement tchèque, qui estime que le CETA va offrir de nouvelles opportunités aux entreprises, créer des emplois et induire la baisse des prix de certains produits.

Alors que le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP ou TAFTA) est sujet à de nombreuses polémiques, un premier pas a été réalisé vers un grand marché transatlantique. Ce projet est perçu de diverses manières par les acteurs de l’Union européenne. Quels sont donc les objectifs de ce projet ? Quels bénéfices les Européens peuvent-ils en tirer ? Et ce grand marché peut-il créer une fracture entre l’est et l’ouest du continent ?

Dominer le commerce mondial

Quels sont les objectifs de ces traités et en quoi sont-ils liés ? Leur ratification donnerait naissance à un marché ouvert États-Unis/Canada/Union européenne. Le CETA devrait donner aux Européens un avant-goût du TTIP puisqu’il ouvre déjà leur marché aux multinationales américaines, via leurs filiales canadiennes, sans ouvrir le marché américain aux multinationales européennes.

L’objectif principal n’est pas la libéralisation des échanges entre les deux continents. En effet, les droits de douane sont déjà extrêmement faibles (3 à 4 % en moyenne, exception faite de l’agriculture et du textile). Ils tomberont bien entendu à zéro si le traité entre en vigueur. Mais l’objectif principal du traité est l’uniformisation des barrières non-tarifaires. Au-delà de l’avantage commercial et économique que pourraient en tirer les parties aux traités, l’objectif est de donner le « la » des normes commerciales mondiales. En effet, si un tel marché voit le jour avec des normes harmonisées, les États-Unis et l’Europe comptent en tirer un avantage comparatif considérable, les autres régions du monde étant amenées à converger vers les normes occidentales.

Des tribunaux d’arbitrage privés

L’aspect le plus polémique des traités est le mécanisme de règlement des différends investisseurs/États, nommé ISDS (Investor State Dispute Settlement). Ces tribunaux d’arbitrage seraient ainsi chargés de vérifier que les clauses du traité sont correctement appliquées par les parties signataires. Ces tribunaux pourraient donc être saisis pour attaquer les États par les multinationales, si celles-ci s’estiment lésées par une législation les empêchant de mener à bien leurs activités commerciales. Ceci effraie particulièrement les opposants aux traités.

Dans le cas du traité transatlantique, la présence de ce mécanisme résulte principalement du manque de confiance qu’accordent les Américains aux systèmes judiciaires des États d’Europe centrale et orientale. Un raisonnement qui n’enchante pas l’eurodéputé hongrois Benedek Jávor : « Oui, nous avons peut-être une justice sous influence en Hongrie. Mais l’UE doit-elle s’en remettre à l’arbitrage, plutôt que de faire pression sur le gouvernement pour essayer de l’améliorer ? »[2]

De plus, les opposants aux traités craignent la mise en place d’une justice à deux vitesses. En effet, seules de puissantes multinationales peuvent se permettre les frais d’avocat des quelques coûteux cabinets qui se partagent le marché de l’arbitrage. Ceux-ci sont inaccessibles à de plus petites entreprises, voire aux plus petits États européens, ceux-là même dont la justice est jugée trop peu développée pour le grand marché transatlantique.

Plus populaires à l’Est qu’à l’Ouest

Ces pays sont pourtant, en moyenne, plus favorables au TTIP que le reste de l’Europe, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord le traité symbolise un rapprochement avec les États-Unis, ce qui est toujours perçu de manière favorable par les opinions publiques de la région. Et ce rapprochement est loin d’être uniquement symbolique: le TTIP facilitera les importations de gaz liquéfié en provenance des États-Unis, ce qui réduira la dépendance de ces pays vis-à-vis des hydrocarbures russes. Le traité pourrait en outre ouvrir un nouveau marché pour certains produits européens qui, jusque récemment, trouvaient une clientèle en Russie. C’est le cas, notamment, pour la Pologne qui cherche de nouveaux marchés pour ses fruits et légumes (en particulier les pommes) qu’elle écoulait en Russie jusqu’à l’été 2014 et la mise en place de contre-sanctions par Moscou.

Ensuite, ce traité pourrait représenter une opportunité de développement pour les États européens centraux et orientaux. Une étude du World Trade Institute (WTI) de l’université de Bern publiée en janvier 2016[3] montre que le grand gagnant du traité parmi les Européens serait la Lituanie, en augmentant son rendement économique de 1,6 %. La Slovaquie aurait beaucoup à y gagner également, puisque l’étude estime qu’elle augmenterait ses exportations vers les États-Unis de 116 %.

En revanche, pour le reste des pays de la région, le gain est plutôt faible. Pour la majorité des États, le TTIP apporterait effectivement une accélération de la croissance, une augmentation des salaires, une baisse des prix à la consommation et une hausse des exportations vers les États-Unis. Mais toutes ces augmentations sont relativement faibles, voire inexistantes dans certains cas. Les accélérations de la croissance sont de l’ordre de 0,1 à 0,5 %, à part pour la Lituanie précédemment évoquée. Les hausses d’exportations ne concernent que les ventes à destination des États-Unis et sont comprises entre 13 et 25 %, excepté pour la Suède (48 %) et la Slovaquie précédemment évoquée. Les hausses de salaires et la baisse des prix à la consommation sont aussi très souvent peu significatives.

De plus, si les craintes des opposants aux traités se confirment, à savoir que le marché transatlantique sera largement plus profitable aux multinationales qu’aux PME, les pays d’Europe centrale et orientale n’en seront pas du tout avantagés, car il existe très peu d’entreprises multinationales issues de ces États.

La République tchèque reste néanmoins très favorable aux traités, contrairement à la Hongrie, à la Pologne et à la Slovaquie. Ces pays, qui étaient eux aussi en faveur de la nouvelle zone de libre-échange, semblent avoir dernièrement revu leur position. L’opacité des négociations et les protestations à l’ouest du continent pourraient en être responsables, notamment en Slovaquie et en Pologne. Concernant la Hongrie, c’est un incident diplomatique avec les États-Unis qui a poussé le gouvernement à cesser de soutenir le projet. En 2014, six Hongrois ont été expulsés des États-Unis, dont le président de l’administration fiscale pour des accusations de corruption. Depuis, Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, a pris ses distances avec Washington.

Pourtant, le ministre hongrois des Affaires étrangères a réagi favorablement à la signature du CETA : « Il serait dans l’intérêt clair de la Hongrie, de son économie et des entreprises hongroises que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada soit signé le plus rapidement possible, compte tenu du fait que […] les entreprises européennes, y compris hongroises, connaissent un désavantage concurrentiel sur le marché canadien par rapport aux entreprises américaines et mexicaines »[4]. Les négociations sur le TTIP continuent donc officiellement mais n’ont que peu de chances d’obtenir des avancées significatives dans les mois, voire l’année, à venir. Barack Obama avait pour objectif de signer le TTIP avant de quitter la Maison Blanche. C’est maintenant trop tard et il faudra atteindre l’élection de son successeur. Au cours de sa campagne, la candidate démocrate Hillary Clinton ne s’est pas montrée plus favorable au TTIP que son homologue républicain, Donald Trump. En revanche, les e-mails de sa campagne rendus publics par Wikileaks rendent compte de discours privés, notamment devant des banques de Wall Street comme Goldman Sachs, au cours desquelles l’ex-Première dame semble largement favorable à l’accord. Côté européen, les élections de 2017 en France et en Allemagne vont paralyser les chefs d’État des deux pays, dont l’opinion publique est de plus en défavorable à l’accord. Les négociations ne devraient donc pas reprendre sérieusement avant la fin de l’année 2017.

Concernant le CETA, maintenant que le traité est signé, il doit être approuvé par le Parlement européen, puis par tous les parlements nationaux en vue d’une ratification. Le processus prendra du temps et pourrait se heurter à un nouveau blocage de la part d’un parlement national.

Notes :
[1] «Sovak reactions to the inking of CETA Trade Agreeemn», The Slovak Spectator, 31 octobre 2016.
[2] Maxime Vaudano, Docteur TTIP et Mister TAFTA, éd. Le Petits Matins, Paris, 2016.
[3] « TTIP and the EU member state », Étude du WTI de l’université de Berne, janvier 2016.
[4] « La Hongrie ‘illibérale’ soutient le traite de libre-échange CETA », Hulala, 27 octobre 2016.

Autres sources :
Michel Crinetz, « Nos démocraties ne vont plus être dans nos moyens », Blog Médiapart, 15 octobre 2016.
Ali Laïdi, « L’objectif du traité transatlantique est de définir les règles du commerce mondial », Interview de Frédéric Farah, France 24, 25 février 2016.
« Le ministre du commerce : la signature du CETA va offrir de nouvelles opportunités aux entreprises tchèques », Radio Prague, 30 octobre 2016.
Georgi Gotev, « La Bulgarie et la Roumanie restent hésitantes sur le CETA », EurActiv, 20 octobre 2016.

Vignette : Dan Mullaney, négociateur américain en chef pour le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), et Ignacio Garcia Bercero, négociateur en chef de l'UE pour le TTIP, lors du 10ème cycle des négociations sur le partenariat transatlantique, à Bruxelles du 13 au 17 juillet 2015 (EC Audiovisual Service).

* Jordi LAFON est étudiant en double master Relations internationales et Union européenne à l’IRIS-Sup et à Paris 8.

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