En septembre 2016, l’opposition est entrée au Parlement biélorusse pour la première fois depuis vingt ans. Lors des élections parlementaires du dimanche 11 septembre 2016, les Biélorusses ont élu deux députées d’opposition : Anna Kanopatskaïa, membre du Parti Civil Uni, et Aliena Anisim, candidate indépendante en lien avec l’opposition.
Cette avancée frileuse sur le terrain du pluralisme doit être replacée dans un contexte diplomatique particulier, avec une décrispation relative des relations entre Minsk et Bruxelles depuis 2014-2015, et une ambivalence dans les rapports que Minsk entretient avec son voisin russe. Au regard du contexte régional, quels sont les enjeux de cette évolution ?
La levée des sanctions européennes : l’imbrication des intérêts de l’Union européenne et du Belarus
L’isolement du Belarus, mis au ban des nations européennes en raison du caractère répressif de son régime, a eu des répercussions sur sa vie politico-économique. Mais, en août 2015, le président Aliaksandr Loukachenka a libéré les derniers prisonniers politiques dont Ales Bialatski, vice-président de la Fédération Internationale des Droits de l’homme. Après ces événements, le Conseil de l'Union Européenne a levé une partie des sanctions financières et diplomatiques érigées à l’encontre du Président et de certains membres du gouvernement.
La levée des sanctions a aussi été motivée par le comportement du Belarus concernant le conflit ukrainien, jugé positif. Faisant reculer la logique d’isolement et s’érigeant en défendeur de la paix sur le continent, le Belarus a adopté une position de médiateur entre l’UE et l’État russe[1]. La prise en compte par l’Union européenne des efforts fournis depuis deux ans par le Belarus s’inscrit logiquement dans la politique européenne de voisinage (PEV), qui vise à établir une zone de prospérité et de paix à travers la coopération, le dialogue et le partage des valeurs de l’Union européenne[2]. Pour autant, la situation du pays reste complexe, au regard des forces en présence et de l’ambivalence de ses relations avec la Russie.
Le Belarus entre russification, nationalisme et intégration européenne
La Russie continue de maintenir une influence quasi monopolistique sur son petit voisin, ce qui risque de contrebalancer les efforts concernant la reprise de dialogue entre Minsk et Bruxelles sur le long terme.
Si Loukachenka a affirmé la souveraineté de l’Ukraine sur son territoire, le poids de la Russie ne lui permet pas d’adopter de position affirmée sur le conflit. Par exemple, il n’a jamais manifesté de critique ouverte à l’égard de la présence des séparatistes russes dans le sud-est de l’Ukraine. Il utilise le droit international et la dimension juridique de la souveraineté pour émettre une critique, sans toutefois désapprouver explicitement la politique du Kremlin. Cette politique de neutralité est motivée par l’étroitesse des liens entre la Russie et le Belarus. La proximité géographique, identitaire, mémorielle et économique du Belarus vis-à-vis de la Russie rend illusoire l’idée d’une intégration européenne, à court et moyen terme.
Sur tout le territoire du Belarus, l’usage de la langue russe domine celui du biélorussien. Ce caractère linguistique constitue un ciment identitaire qui intègre le pays dans l’ère civilisationnelle slave non européenne. Le sentiment d’appartenance au monde russe, voire à une communauté de destin avec le peuple russe, semble à beaucoup d’égards supplanter le référant identitaire que représente la langue biélorussienne.
La régulation de la société par l’État biélorusse affiche un certain hermétisme vis-à-vis du modèle de construction européenne, non pas parce que ce dernier n’a pas fait ses preuves, mais parce que le gouvernement du Belarus a été à même d’assurer une stabilité économique et sociale via une redistribution égalitaire des ressources. S’il est évident que le pays a des efforts à fournir sur la libéralisation du régime pour renforcer la coopération avec Bruxelles, la population biélorusse, elle, semble dans sa majorité peu tournée vers le projet européen. Elle ne manifeste pas de réel tiraillement, comme l’Ukraine par exemple. Le pays ne s’est jamais porté candidat à l’adhésion et n’a donc pas entamé de réforme politique pour pouvoir y prétendre. Il faut rappeler que la peine de mort n’a pas été abolie, et que les atteintes aux libertés publiques et individuelles persistent. Si l’UE fait preuve d’une certaine tolérance actuellement, elle reste méfiante à l’égard du régime et de ses motivations.
Le conflit ukrainien est aussi devenu un indicateur du risque probable encouru en cas de rapprochement trop important avec Bruxelles. Encore ici, le voisin russe maintient le pays dans une sorte d’étau, par la menace de l’utilisation des méthodes du hard power (économiques et militaires).
Ces imbrications ont pesé dans la réélection de Loukachenka en 2015, qui s’est posé en garant de la sécurité de l’État biélorusse et de la région. Il existe une certaine confiance de la population envers ce présidentialisme autoritaire.
Sur le volet économique, la primauté faite aux relations russo-biélorusses s’est manifestée entre autres par le fait que le Belarus a finalement choisi l’Union économique eurasiatique (UEE), au détriment du Partenariat Oriental, crée entre l’UE et certains anciens pays d’ex-URSS. L’UEE est fondée sur le développement d’un marché intérieur entre le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizstan et Arménie, dont la Russie reste l’architecte. Si l’UEE n’a jamais manifesté d’ambition politique, il apparaît évident que celle-ci tend à protéger l’héritage socio-culturel de l’empire soviétique défunt.
Si le rapprochement avec Bruxelles semble toujours mis à mal par les relations entretenues avec Moscou, comme dans le choix de l’UEE, c’est aussi en raison de la dépendance économique du Belarus vis-à-vis de la Russie, fondement de son économie socialiste de marché. En 2015, la Russie reste le principal partenaire commercial du Belarus, à hauteur de 38,3 % concernant les exportations, et de 56,3 % pour les importations. Le Royaume Uni, l’Allemagne, et l’Ukraine restent loin derrière la Fédération russe[3]. Le Belarus permet aussi aux hydrocarbures russes de transiter vers les États consommateur européens, ce qui constitue donc une zone tampon pour le Kremlin. De même, il demeure dépendant des cours du roubles, des hydrocarbures, ainsi que des crédits russes. En 2015, la Fédération a sanctionné le Belarus en coupant les crédits mis à sa disposition en raison de la reconnaissance de la souveraineté ukrainienne par Loukachenka. L’économie est donc un instrument de pression pour la Russie, en raison de son économie de rente. Mais, cette tendance résulte dans le même temps des sanctions économiques infligées au Belarus par l’Union Européenne depuis 2004. Un cercle vicieux entretient donc un modèle de relations quasi exclusives vis-à-vis du Kremlin. Cette situation de blocage a fait plier Minsk sur le choix de l’UEE, dont les résultats semblent mitigés. Loukachenka doit donc prendre soins de ses relations avec son voisin russe, sans négliger l’Union Européenne, qui lui assurerait une plus grande marge de manœuvre concernant le développement économique du pays, via une diversification des partenariats et une modernisation sectorielle.
Le nationalisme biélorusse accuse deux tendances : d’un côté, une peur de la dilution des valeurs slaves (place centrale de l’orthodoxie notamment) dans l’idéal supranational européen, l’amputation d’une partie de ses compétences, une difficulté à réformer tout un système politico-économique qui emprunte beaucoup de ses fondements au passé soviétique, et de l’autre, le refus de subir une domination de la Russie sur le long terme qui serait une conséquence de l’ambition de cette dernière de renouer avec sa puissance et de contrer l’influence occidentale dans une zone d’intérêts vitaux, l’«étranger proche».
L’entrée de l’opposition au Parlement : les dessous d’une stratégie ?
Ainsi, la situation du Belarus est régie par un ensemble de mécanismes d’efforts, de récompenses et de leviers de pouvoir. Il est, à l’image d’autres états de la CEI, pris au piège des luttes d’influence occidentalo-russes dans cette partie orientale de l’Europe. Le géant russe nucléarisé, dont on observe le redéploiement de sa puissance militaire hors de ses frontières, ne permet pas à Minsk de développer sereinement une politique européenne, d’autant plus que Bruxelles ne dispose pas d’une politique de défense pour rééquilibrer le rapport de force.
Il est trop tôt pour évoquer un tournant dans l’histoire politique du pays, alors que Loukachenka signait le 11 octobre 2015 sont 5ème mandat présidentiel, et que le début d’opposition au Parlement ne devrait avoir que peu de répercussion sur l’avenir à court et moyen terme. S’agit-il d’une réelle démarche de démocratisation du régime ou d’une stratégie visant à peser dans l’environnement européen, afin de ne plus subir les sanctions financières, limiter les marges de manœuvres de la Russie dans son étranger proche et de sortir de la dépendance économique ?
Au lendemain des élections parlementaires, Loukachenka déclarait « avoir fait tout ce qu’il fallait pour qu’il n’y ait pas de plainte de l’Ouest »[4]. On peut interpréter cette déclaration comme le signe d'une stratégie de Loukachenka ayant pour objectif d’être perçu de manière plus positive en Europe, sans réellement mettre de œuvre de réforme politique. C’est toutefois bien une transition politique que l’UE espère observer afin d’instaurer une coopération durable et globale avec Minsk, pour que la nation biélorusse trouve un jour sa place dans l’environnement européen.
Notes :
[1] Samuel Diraison, « Bélarus : Le retrait des sanctions redéfinit les relations avec l'Union européenne », Regard sur l'Est, 18 avril 2016.
[2] Voir: www.rpufrance.eu
[3] Voir: http://data.un.org/
[4] ''Opposition enters Belarusian parliament for first time in 20 years'', themoscowtimes.com, 12 septembre 2016.
Vignette : portraits d'Aliena Anisim et d'Anna Kanopatskaïa (source : http://house.gov.by/ru/deputies-ru/)
* Clara ARNAUD est diplômée d’un Master 2 en Géopolitique et Sécurité internationale (Russie et Europe de l’Est)