À l’heure où l’Union européenne tente d’élaborer une politique énergétique commune dans un contexte de dérégulation du marché intérieur du gaz et de l’électricité, l’Ukraine bénéficie d’une place privilégiée en tant que voisin immédiat du futur plus grand marché concurrentiel mondial dans le domaine de l’électricité. La Russie, très attachée à sauvegarder son influence sur le secteur énergétique de son voisin, pourrait souhaiter en tirer parti.
Dans les années à venir, l’Union européenne devra faire face à des besoins en électricité nécessitant une augmentation des capacités de production. De plus l’UE dépend actuellement de ses importations d’énergie, à hauteur de 50% de sa consommation, niveau pouvant atteindre 70% d’ici 2030. Important des intrants, le marché européen pourrait aussi devenir alléchant pour les producteurs d’électricité eux-mêmes. L’Ukraine semble déterminée à profiter du déficit européen annoncé en termes d’électricité, en y exportant une partie de sa production. L’Ukraine et l’UE ont signé en décembre 2005 un document formalisant la coopération en matière d’énergie, abordant notamment la question de l’intégration des marchés du gaz et de l’électricité, de l’amélioration de l’approvisionnement en énergie et de l’efficacité énergétique. Kiev a par la suite déclaré préparer d’ici à 2008 l’intégration du réseau ukrainien au réseau européen. Des efforts en matière normative et technique restent à fournir, et la modernisation de la partie occidentale du réseau est prioritaire. Ce voisinage constitue certainement pour l’Ukraine un moteur dans la modernisation de son réseau de transport d’électricité en partie obsolète.
L’Ukraine dispose d’un réseau électrique important qui, en 1990, exportait 28 Mds kWh d’électricité à la Pologne, à la République tchèque, à la Slovaquie et à la Hongrie, aujourd’hui membres de l’UE, ainsi qu’à la Roumanie et à la Bulgarie. En raison des efforts de restructuration dans les années 1990, les lignes de transmission entre le réseau CENTREL (réseau européen régional formé en 1992 et opérant en parallèle avec le réseau européen occidental UCTE depuis 1998) et l’Ukraine ont été déconnectées en 1993, avec une exception, constituée par l’îlot de Bourchtyn. Ce dernier est composé de la centrale thermique de Bourchtin, située à l’ouest du pays, dans la région de Ivano-Frankivsk, ainsi que de celle de Kalouch, et de la centrale hydroélectrique de Tereblia-Kikskaia. L’ensemble a une capacité d’exportation de 600 MW.
La demande européenne en électricité ukrainienne a recommencé à croître en 1999 et a atteint 5,2 Mds kWh en 2004, le niveau maximum pouvant être atteint par l’îlot. Celui-ci est maintenant déconnecté du réseau ukrainien et connecté au réseau UCTE. Les connexions sont encore de faible niveau, mais elles existent depuis 1995 de manière expérimentale, et fonctionnent depuis 2002 sur une base plus soutenue. Ayant fourni environ 5 Mds kWh d’électricité à l’Europe en 2005, l’Ukraine ambitionne de renforcer cette tendance. Ukrinterenerho, le principal exportateur ukrainien, fournit désormais de l’électricité à ses anciens clients: Hongrie, puis Slovaquie, Pologne, Roumanie, Moldavie, et Biélorussie. Elle assure aussi le transit de l'électricité russe vers la Moldavie.
L’ouest ukrainien est donc en première position pour assurer de futures exportations vers l’Europe. Si l’interconnexion de l’Ukraine avec ses voisins n’implique néanmoins pas la participation au futur marché concurrentiel, ces synchronisations limitées permettent néanmoins de sécuriser dans le long terme les approvisionnements, permettant les échanges, le commerce et surtout la gestion des pics ou des incidents dans la production ou la consommation des régions frontalières. Le niveau des connexions avec les réseaux européens sera certainement appelé à augmenter dans les dix années à venir. La Russie pourrait aussi y voir une opportunité d’exportation d’électricité vers l’Europe, via le territoire ukrainien, le réseau russe ayant été connecté de nouveau au réseau ukrainien en 2001.
Diversifier les approvisionnements
Les tensions observées début 2006 dans les relations gazières entre l’Ukraine et la Russie n’est qu’un épisode parmi d’autres dans l’histoire des relations bilatérales des deux pays, fortement marquées par le facteur énergétique. Pour le pouvoir soviétique des années 1920, le moteur de la construction d’une industrie moderne résidait déjà dans l’électrification, selon la formule bien connue. Les indépendances ont mis à mal l’organisation de ce secteur, qui a souffert de la rupture des liens inter-républiques. Il est donc compréhensible que l’Ukraine, pour la production électrique, connaisse des chocs affectant les intrants comme le gaz, qui se répercutent directement sur son économie. Mais la normalisation progressive des relations de l'Ukraine et de la Russie, ici dans le domaine commercial, conduira tôt ou tard à un renchérissement durable des importations des sources primaires d’énergie, pour rejoindre progressivement les niveaux internationaux. Cette situation, aussi brutale qu’elle puisse paraître, favorise finalement l’assainissement des relations entre l’Ukraine et la Russie, deux marchés et deux entités politiques distincts, et non deux éléments d’un même espace aux règles commerciales opaques.
La forte dépendance de l’Ukraine vis-à-vis des combustibles d’origine russe n’est pas irréversible. La diversification de l’origine des ressources en énergie (pétrole et gaz) renforcera certes la sécurité du pays, mais 45% du volume total d’électricité produite par l’Ukraine est d’origine nucléaire, et le charbon, disponible dans le pays, fournit une partie du combustible des centrales thermiques. Le combustible nucléaire provient lui de Russie (les déchets y sont ensuite réexpédiés), mais des efforts sont entrepris pour diversifier ces approvisionnements.
Photo tirée de www.toitdesoi.fr
Par Kristen PATIN