Entretien avec M. Vytautas Landsbergis, ancien président de la Lituanie et président du Parlement lituanien

Retour sur les Baltes.


Depuis Paris, nous avons l'impression que les trois pays baltes forment un ensemble uniforme. Néanmoins, il semble que vous préfériez clamer votre différence d'avec vos deux voisines. En quoi cela est-il préférable pour vos négociations avec l'Union européenne et l'OTAN ? 

Il est vrai que nous sommes différents, mais d'autre part, nous avons des points communs. L'histoire ancienne des trois Pays baltes est très différente, et c'est le sort commun qui a rapproché la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie au XXe siècle: l'indépendance de 1918 à 1940, le complot de Staline et de Hitler en 1939, l'occupation par l'URSS, ensuite par l'Allemagne et de nouveau par l'URSS, la résistance et la libération paisible en 1990 et 1991. De plus, il y a des buts communs, à savoir l'adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN. Parmi les traits individuels, je pourrais citer les liens privilégiés de la Lituanie avec la Pologne, et ceux de l'Estonie avec la Finlande, ainsi que la recherche d'équilibre de la Lettonie entre l'influence européenne et russe. Pour atteindre les buts communs et vaincre les oppositions politiques, les percées individuelles que se font les Pays baltes sont d'une grande utilité. Par exemple, l'invitation de l'Estonie à commencer les négociations d'adhésion à l'UE avant ses deux pays voisins; il est possible que la Lituanie, qui est la mieux préparée à l'adhésion à l'OTAN, sera la première à percer le blocus de mécontentement de la Russie.

Quelles sont les attentes de la Lituanie concernant l'Union européenne? Quand pensez-vous y entrer ? 

Nous voulons coopérer en tant que partie intégrante de l'UE. Nous cherchons à nous rendre utiles et à en tirer profit. Nous voulons plus de sécurité. Nous pensons entrer dans l'UE vers 2004, ou même un peu plus tôt, si l'Union européenne le veut.

En quel sens a été bénéfique la Conférence de Palanga ? Quel a été le rôle de la Lituanie pendant un an de présidence du Conseil des États riverains de la mer Baltique ? 

C'est la première fois que la Lituanie a présidé un forum aussi important, qui regroupe douze pays membres et quatre observateurs. Nous estimons que le Conseil des États riverains de la mer Baltique peut jouer un rôle important dans le domaine de l'élargissement de l'UE et dans celui de la Dimension nordique. La Lituanie souhaite une participation plus active dans ce forum de la Commission européenne; nous souhaitons également que la Russie ne s'isole pas. L'enclave de Kaliningrad a été au cœur des initiatives lituaniennes. Une participation plus active de la Commission européenne dans les activités du Conseil des États riverains de la mer Baltique permettrait d'utiliser les fonds communautaires destinés à assurer l'échange d'expériences dans le domaine de l'administration publique. La Lituanie a souligné l'importance de la continuité des activités du Conseil et celle de l'utilisation pratique des possibilités qu'offre ce forum. Le Secrétariat permanent du Conseil des États riverains de la mer Baltique a été créé. La Lituanie a souhaité que la participation à ce forum par des pays tiers soit envisagée. La Conférence de Palanga a prouvé que la participation des pays tiers, notamment de l'Ukraine, de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis, peut donner une nouvelle impulsion aux travaux du Conseil des États riverains de la mer Baltique.

Les derniers événements en Tchétchénie ont montré que la Russie n'a pas peur d'utiliser son armée à des fins politiques. Les trois pays baltes ont été parmi les premiers, en avril 1995, à critiquer la Russie pour avoir mené la guerre en Tchétchénie. Quelle est la position actuelle de la Lituanie ? Est-ce vraiment un problème interne à la Russie, ou celui-ci devrait-il être traité par la communauté internationale ? 

Ceci représente plusieurs problèmes à la fois. C'est le problème de l'ancien impérialisme anachronique et de la décolonisation. C'est le problème des Droits de l'Homme et de leur mépris total. C'est le problème de l'arme de désinformation et de l'ignorance confortable. C'est le problème de doubles standards, autrement dit, celui de l'hypocrisie: l'Occident défendait un million d'Albanais du Kosovo, tandis qu'un million de Tchétchènes restent sans défense dans un petit pays du Caucase dont les villes et les villages sont rasés, et dont les habitants sont exterminés comme des terroristes. Et les autorités de Moscou ne dissimulent même pas leur haine et leur vengeance pour la défaite de la Russie en 1995-96. L'inhumanité n'est jamais un problème intérieur, elle est toujours un problème global, tout comme l'indifférence en face d'elle. C'est en premier lieu dans son cœur indifférent que la communauté internationale doit résoudre le problème du conformisme.

Quelles sont les relations de la Lituanie avec l'enclave de Kaliningrad ? Où en est la coopération ? 

Ces relations sont bien concrètes et humaines. La Lituanie apporte son soutien à cette région en proposant des formations à ses fonctionnaires, en lui apportant directement son aide humanitaire, ses investissements, et en organisant des conférences de promotion du commerce international. La suppression de l'obligation de visas entre la Lituanie et l'enclave de Kaliningrad témoigne à nos voisins notre bonne volonté et les avantages de la coopération européenne, si, bien évidemment, les habitants de cette région aspirent à un statut plus libéral et à une telle coopération. La Lituanie est pour la démilitarisation de Kaliningrad, afin d'éliminer les obstacles à la croissance du bien-être du pays, donc, pour le bien de sa population civile.

Par Sophie SCHMIDT
Vignette : Vytautas Landsbergis en février 2000 (Photo Regard sur l'Est).