Kosovo: une reconnaissance par le sport

La constitution d’équipes nationales et leur participation à des compétitions internationales ont été depuis la structuration du sport contemporain à la fin du 19ème siècle l’un des moyens utilisés par de nouvelles entités administratives pour trouver leur place dans le concert des nations. 


Le Premier ministre du Kosovo, Hashim Thaçi reçoit le footballer albanais Granit Xhaka le 31 décembre 2012Le cas du Kosovo, indépendant depuis peu mais pas universellement reconnu, pose la question de sa reconnaissance auprès des fédérations sportives internationales (FSI) et de sa relation à l’ONU. Pour certains universitaires spécialistes de l’étude du phénomène sportif, tels Pascal Boniface ou Christian Bromberger, un État ou un projet d'État, ce sont un territoire, une population, un gouvernement, une armée et une équipe de football. L’exemple du Kosovo, indépendant depuis 2008 mais toujours pas reconnu par l’ONU, souligne l’importance prise par le mouvement sportif, certainement le mouvement associatif le plus structuré, le mieux organisé du monde et l’un des seuls à véhiculer les symboles liés à la souveraineté de l'État (drapeaux et hymne) à travers ses équipes nationales. De fait, très souvent, un État nouvellement indépendant fait la demande, via ses fédérations sportives nationales, de son affiliation auprès des fédérations internationales sportives. Cet acte suit ou vient en même temps que l’admission à l’Organisation des Nations unies. En ce sens, le cas du Kosovo mérite attention.

La géopolitique du sport

Le processus de reconnaissance par les FSI évolue à un rythme différent de celui des chancelleries. Le nombre d’associations affiliées découle d’une volonté des FSI de prouver leur universalité. Leur implantation structurée dans la moindre parcelle du globe permet à la fois d’attirer des partenaires privés qui cherchent une visibilité mondiale et d’influer sur les décisions des institutions dirigeantes et structures de ces mêmes fédérations. Il nous faut aussi souligner le fait que les FSI affilient des fédérations sportives nationales dont le statut juridique est le plus souvent celui d'associations sportives sans but lucratif qui représentent un pays. La géopolitique sportive est ainsi différente de celles des États, malgré les tendances récentes des FSI à s'en rapprocher, particulièrement depuis que le Comité olympique international (CIO –205 comités olympiques nationaux membres) est devenu un membre observateur de l’Assemblée générale de l’ONU en 2009. En effet, de nombreuses FSI ont un nombre de membres supérieur à celui de l’ONU, qui compte 193 états membres.

Le fait que le Kosovo a été reconnu par plus de cent États membres de l’Onu, mais pas par l’ONU, donne de l'importance à l’affiliation de ce dernier aux FSI. La reconnaissance par les FSI permet, au-delà de la fierté nationale, d’appartenir à un club mondial et de participer aux compétitions internationales les plus médiatisées. Aspect non négligeable pour le Kosovo, elle permet également d’obtenir un support financier ainsi que le transfert de connaissances et des bonnes pratiques, condition d’une amélioration du niveau des pratiquants et du personnel d’encadrement (entraîneurs, juges et arbitres...).

Or, si le mouvement sportif international reconnait au niveau mondial, continental ou régional des entités politiques diverses non-reconnues directement par l’ONU, de nombreuses exceptions existent, en fonction des traditions sportives ou pour rendre compte des réalités locales spécifiques. On constate ainsi dans certaines parties du monde la reconnaissance continentale mais pas mondiale de certaines entités, telles que les îles Féroé, province danoise autonome, qui participent aux compétitions des équipes nationales de football. En dehors du CIO, les reconnaissances les plus importantes pour un État proviennent des fédérations de sports dans lesquelles cet État excelle et possède une tradition importante, ainsi que des FSI dont le sport est inscrit au programme olympique.

Le Kosovo sur la scène sportive internationale

L’exemple du Kosovo nous informe sur les différents types d’affiliation possibles: membre de plein droit pour toutes les équipes, ou seulement pour certaines catégories d’âge ou niveaux particuliers de compétition par exemple, membre associé ou provisoire. Les FSI admettent de nouveaux membres sur la base de critères objectifs, liés le plus fréquemment à la pratique et à la structuration du sport. Étant donné que la décision ultime revient le plus souvent au conseil d’administration, composé de membres élus, le poids de ces critères est considéré de manières très diverses d’une FSI à l’autre. Ainsi le statut de membre à l’ONU a été utilisé par certaines fédérations qui ont rejeté l’affiliation du Kosovo pour écarter momentanément cette question. Le poids donné à la reconnaissance ou non à l’ONU est une nouveauté parmi les FSI.

Au cours de l’année 2013, les représentants du Kosovo se sont particulièrement manifestés sur la scène sportive internationale. Au Championnat du monde de judo, qui s’est déroulé à Rio de Janeiro du 26 août au 1er septembre 2013, Majlinda Kelmendi a décroché la première médaille d’or jamais remportée dans une compétition mondiale par une représentante du Kosovo dans un sport olympique depuis la proclamation d’indépendance en 2008. En effet, la Fédération internationale de judo (FIJ) reconnait le Kosovo depuis 2012. On notera également la présence de Memli Krasniqi, ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports du Kosovo lors du Forum « Peace and Sport » à Monaco en novembre 2013 et à celui de « Doha Goals Forum » au Qatar en décembre 2013.

L’internationalisation sportive du Kosovo est une préoccupation permanente du ministère des Sports, comme le montrent les différentes entrevues du ministre. Citons entre autres celles qu’il a eues avec la ministre des Sports française Valérie Fourneyron, à Paris en décembre 2013, ou avec les représentants des fédérations française et allemande de football, à Paris ou à Prishtina, ou encore avec le sélectionneur de l’équipe de football du Sénégal et l’ancien international français Alain Giresse à Prishtina. Le vice-ministre Gjergj Dedaj s’est quant à lui rendu début décembre 2013 au Parlement européen.

Grâce aux démarches entreprises pour affiler ses clubs nationaux aux fédérations de sports inscrits au programme olympique, le Kosovo est devenu membre de plein droit de la Fédération internationale de tennis de table en 2003 (qui compte 218 membres), d’haltérophilie en 2008 (188 membres), de tir à l’arc en 2011 (150 membres), de judo en 2012 (199 membres), de voile en 2012 et de softball en 2008 (127 membres) –ce sport n’est plus une discipline olympique actuellement. Il est de même un membre associé pour la lutte dès 2008 (176 membres) et membre provisoire pour le ski dès 2011 (118 membres), le curling en 2012 (53 membres), la boxe en 2012 (196 membres). Toutefois, cette liste demeure incomplète: certaines Fédérations mondiales de poids n’ont pas reconnu le Kosovo comme celles de football, la FIFA (209 membres), de basketball, la FIBA (213 membres) et de volley-ball, la FIVB (220 membres).

En ce qui concerne la FIFA, nous devons noter qu’elle a accepté en janvier 2014, que ses membres rencontrent lors de matchs amicaux l’équipe nationale de football du Kosovo. La première rencontre est prévue le 5 mars à Mitrovica au Kosovo. Pour cette première rencontre du Kosovo reconnue par la FIFA, l’équipe nationale du Kosovo sera opposée à celle d’Haïti.

Le Kosovo: une tradition du sport

Pour nombre de FSI, parmi les conditions essentielles à l’affiliation sont évaluées le niveau de structuration du sport sur place et la tradition du sport dans le pays demandeur. Au Kosovo, les acteurs du sport se prévalent très souvent d’une longue tradition sportive, à l’exemple des deux sports rois que sont la boxe et le football.

Dans la Yougoslavie des années 1970 et 1980, plusieurs athlètes du Kosovo remportèrent des médailles dans les compétitions internationales sous étendard yougoslave, et ce particulièrement en boxe. Aziz Salihu fut médaillé de bronze aux JO de 1984 à Los Angeles et l’actuel Secrétaire général de la Fédération de boxe du Kosovo, Mehmet Bogujevci, se classa 5e aux JO de Moscou en 1980, il fut vice-champion du monde en 1978 et a été pendant quatre ans le capitaine de l’équipe yougoslave. Citons encore Sami Bozulli, médaillé de bronze au championnat du monde de 1982. Mais de nombreux sportifs ont quitté le Kosovo, tel Luan Krasniqi qui remporta pour l'Allemagne une médaille de bronze aux JO de 1996 à Atlanta. Après la guerre de 1999, malgré la gloire passée et l'image positive des succès des sportifs de la diaspora, la pratique de la boxe s'est maintenue difficilement au Kosovo. La sélection nationale de boxe a même dû intégrer en 2010 des sportifs d’Albanie.

En ce qui concerne le football, la situation est comparable. Le Kosovo peut se prévaloir d'une longue tradition avec deux figures mythiques, Naim Kryeziu et Riza Lushta, joueurs albanais du Kosovo qui ont évolué dans les années 1940 notamment dans le championnat italiens. Il a en outre hérité de membres de l'équipe nationale de football yougoslave, tel Fadil Vokrri, actuel président de la Fédération de football du Kosovo. Mais le pays rencontre la même difficulté de dispersion des sportifs dans des équipes nationales à l'étranger. Parmi les membres de la diaspora, on retrouve dans plusieurs équipes nationales des pays d’accueil «traditionnels» des footballers kosovars en Europe (Suisse, Allemagne, pays scandinaves). C’est ainsi que des joueurs originaires du Kosovo se retrouvent dans les sélections nationales des équipes féminines allemande et suédoise et des équipes masculines suisse, finlandaise, norvégienne et suédoise. Ceci sans compter le cas particulier de l’équipe nationale d’Albanie, l’obtention de la nationalité albanaise pour les sportifs de haut niveau du Kosovo se faisant grâce à une procédure accélérée.

À l’heure actuelle, le championnat est divisé en trois niveaux principaux pour les hommes et une division composé de neuf clubs pour les femmes. Le niveau le plus élevé pour les hommes est la «Raiffeisen superligua», du nom de la banque suisse qui est en le principale partenaire. Douze clubs sont en lice dans cette division. Le prochain objectif pour le football en particulier, et le sport en général, sera de doter le pays d’infrastructures homologuées par les instances internationales, comme l’a souligné le 18 janvier le Premier ministre Hashim Thaçi. C’est sans doute l’un des points faibles du Kosovo et ce malgré les efforts effectués, notamment depuis décembre 2012, quand le Kosovo a commencé la construction de six stades, financés par la Commission européenne à hauteur de 3,5 millions d’euros.

Les difficultés que rencontre le Kosovo à intégrer la communauté sportive internationale sont à l’image de la lutte que mène ce pays pour sa reconnaissance au sein de la communauté internationale et des difficultés et des débats suscités par le processus politique qui a conduit à la proclamation d’indépendance de 2008. Le cas du Kosovo illustre également l’évolution des politiques d’affiliation des FSI, qui se réfèrent de plus en plus à l’ONU. Il confirme, s’il en était encore besoin, l’importance que revêt le sport dans la visibilité et l’image d’un pays.

Vignette : Le Premier ministre du Kosovo, Hashim Thaçi reçoit le footballer albanais Granit Xhaka le 31 décembre 2012 (source : http://www.kryeministri-ks.net/)

* Kolë GJELOSHAJ HYSAJ est collaborateur scientifique à l’Institut de Sociologie, membre du Centre d’étude de la vie politique (CEVIPOL) de l’Université Libre de Bruxelles

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