L’avenir énergétique de la Pologne: nucléaire versus énergies renouvelables?

La Pologne a ratifié le protocole de Kyoto le 13 décembre 2002. Dans le cadre du Paquet climat-énergie de l’UE, elle s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 14% d’ici 2020 par rapport à leur niveau de 2005 et à développer la part des EnR (énergies renouvelables) de 15% dans la consommation finale d’électricité.


Champ d’éoliennes sur la Baltique, Darłówko (Poméranie occidentale). Mais le retard pris actuellement par le gouvernement polonais dans le processus de consultation de la société civile, le rejet de la vision environnementale et énergétique européenne et de la feuille de route ‘carbone 2050’ de l’UE, le 9 mars 2012 à Bruxelles[1], remettent en cause ces objectifs, handicapent fortement la modernisation de l’économie polonaise et isolent encore plus ce pays sur la scène de la politique énergétique européenne.

Un pays naturellement riche en charbon

Les réformes structurelles mises en œuvre dans les années 1990 avaient pour objectif principal une remise à niveau des principaux secteurs industriels. Ainsi, sur la période 1988-2008, on a pu enregistrer une réduction de 30% des émissions de CO2 provenant principalement des centrales électriques et thermiques qui, soit ont été fermées, soit ont fait l’objet de modernisations techniques significatives.

Néanmoins, avec 668 g/kWh de CO2 en 2007, la Pologne reste le pays de l’UE qui génère le plus de CO2, en grammes, pour produire 1 kWh. En 2009, environ 93% de l’électricité produite en Pologne provenait de centrales au charbon alimentées majoritairement à la houille (43 sites de production) et au lignite (6 sites), le reste étant issu essentiellement de la biomasse. Cet état de fait s’explique très simplement par la richesse en charbon du sous-sol polonais qui fait de ce pays le premier en Europe, avec l’Allemagne et la République tchèque, s’agissant des réserves enfouies, de la production et de la consommation (respectivement 64 Mtep produites en 2007 pour la Pologne, 54,5 Mtep pour l’Allemagne et 23,6 Mtep pour la République tchèque contre 0,2 Mtep pour la France).

L’institut fédéral allemand de Géosciences et des Ressources naturelles de Hanovre, ainsi que l’institut national polonais de Géologie ont estimé, en 2009, à environ 4.166 Mt les réserves polonaises de houille (soit, au niveau de consommation actuelle, environ 32 ans de réserves) et à 1.345 Mt celles de lignite (soit 25 ans). Celles-ci se situent avant tout dans les bassins de Silésie (région de Katowice au Sud) et de Lubelskie (région de Lublin à l’Est).

Le nucléaire est pour l’instant totalement absent du mix énergétique polonais (il est prévu d’ouvrir deux centrales nucléaires dans les années à venir, dont la première d’ici 2020) et la place des énergies renouvelables est quasi inexistante.

L’impulsion de l’Union européenne

Le document officiel définissant la politique énergétique de la Pologne d’ici 2030 (PEP 2030, Polityka energetyczna Polski do 2030r.), publié en juin 2009, est clairement dicté par la directive 2009/28/CE[2] et par la décision 406/2009/CE[3] et fixe les priorités polonaises en matière énergétique comme suit: améliorer l’efficacité énergétique; assurer la sécurité en matière d’approvisionnement énergétique; diversifier la structure des sources d’électricité en introduisant l’énergie nucléaire; développer le recours aux énergies renouvelables, y compris les biocarburants; développer la compétitivité des marchés de l’énergie et des carburants; réduire l’impact environnemental de l’industrie énergétique.

Non seulement la politique énergétique constitue l’une des priorités de la Stratégie nationale de développement pour la période 2007-2015 (Strategia Rozwoju Kraju 2007-2015), mais elle est convergente avec les objectifs de la Stratégie révisée de Lisbonne (Europe 2020) et de la Stratégie révisée de développement durable de l’UE.

La place du nucléaire

Les événements dramatiques de Fukushima le 11 mars 2011 ont relancé le débat en Pologne, souvent de manière très émotionnelle, sur les risques du nucléaire, et ont divisé l’opinion publique. Lors du sondage du 24 mars 2011 publié par PBS GA, 32% des personnes interrogées se prononçaient contre l’introduction du nucléaire, pour 30% d’avis favorables. En août 2011, le sondage TNS OBOP montre un changement significatif dans la conscience publique, puisque 51% des Polonais se déclarent défavorables à l’énergie nucléaire civile (26% plutôt défavorables, et 25% totalement défavorables).

Néanmoins, le gouvernement n’a pas renoncé à son projet d’installer d’ici 2030 l’équivalent de 4.500 MWe issus de l’industrie nucléaire civile. L’objectif du gouvernement est d’atteindre 7% de la production d’électricité issue du nouveau parc nucléaire civil d’ici 2022, et 16% en 2030.

Même si la Pologne reste novice dans ce domaine, en comparaison avec la France ou le Japon, elle bénéficie d’une expérience avec le site de Żarnowiec. Celui-ci avait été choisi en 1984 pour la construction de la première centrale nucléaire polonaise, mais la catastrophe de Tchernobyl en avril 1986, puis l’effondrement du système communiste au début des années 1990 mirent un coup d’arrêt aux ambitions polonaises. Aujourd’hui, Żarnowiec semble tout désigné pour devenir le site de construction de la première centrale. Le programme polonais d’énergie nucléaire préparé par le ministère de l’Économie et publié en août 2010 prévoit en effet la construction d’une première centrale sur la période 2015-2020, puis d’une deuxième sur la période 2021-2030.

La place des énergies renouvelables

En 2009, 95,7% des EnR étaient issues de la biomasse et du retraitement des déchets, 2,9% de l’hydroélectricité, 1,3% de l’éolien, le photovoltaïque et l’énergie géothermale étant quasiment absents. Les EnR représentaient alors 5,9% (8,9 MWh) de la production totale d’électricité[4], avec un objectif de 15% de la consommation finale d’énergie pour 2020. La puissance totale installée des EnR s’élevait à 2.956 MW en 2008 contre 1.977 MW en 1990 et 2.199 MW en 2000.

La PEP 2030 a également pour objectif de stimuler le développement technologique et les investissements dans le secteur des EnR. Ainsi, la société TAURON SA, anciennement PKE SA (Consortium Énergétique du Sud) prévoit d’investir 11 milliards de złoty (environ 2,6 milliards d’euros) dans les énergies renouvelables. 30% de l’investissement sera autofinancé, les banques privées et un fond national pour la protection de l’environnement finançant le reste d’ici 2019. La même société a contracté, le 19 janvier 2012 avec le ministère polonais de l’Économie, un nouvel accord (40 millions de złoty, soit environ 9,5 millions d’euros) pour construire une centrale biomasse à Jaworzno (en Silésie, au sud du pays) dans le prolongement du premier investissement du même type confirmé en novembre 2011 à Stalowa Wola (à l’est du pays).

Sur les 67,3 milliards d’euros attribués à la Pologne pour la période 2007-2013 par les fonds structurels européens, plus de 41% (27,9 milliards) sont alloués à la modernisation des infrastructures et à l’environnement[5]. Certains spécialistes soulignent que les investissements dans le secteur énergétique devraient permettre la création d’environ 30 à 40.000 emplois. Cependant, il convient de prendre en considération les arguments souvent invoqués par le gouvernement relatifs à la sécurité énergétique et à la compétitivité, qui pourraient conduire à la privatisation et à la rationalisation des emplois. Les analystes soulignent que, si l’on voulait rapprocher les salaires proposés en Pologne de ceux pratiquées plus à l’ouest dans le secteur, il faudrait diviser par trois les effectifs actuels.

Du retard dans la consultation de la société civile

Dans le cadre de l’application des textes européens applicables aux énergies renouvelables[2 & 3], la Pologne a dû remettre son plan d’action relatif aux EnR à la Commission européenne en juin 2010. Mais la publication des projets de lois déclinant au niveau national les directives et décisions européennes n’a été faite que le 22 décembre 2011 par le ministère de l’Économie, dans le cadre des trois lois énergétiques (loi sur l’énergie, loi sur les EnR, loi sur le gaz). Soit plus d’un an de retard sur le calendrier initial.

Ce délai a eu, bien évidemment, un effet très négatif sur les acteurs du marché des EnR, ceux-ci retardant les investissements et leurs décisions, d’autant plus que le nouveau texte de loi remet notamment en cause les très faibles acquis et ne répond pas à toutes les exigences européennes, que sa ratification par le Parlement est prévue pour l’automne 2012 et que son entrée en vigueur ne se fera pas avant 2013[6]. De quoi largement ralentir les investissements nationaux et étrangers potentiels. Ceci est d’autant plus regrettable que l’étude effectuée en 2009 par l'Association polonaise pour l'énergie éolienne et reprise par le Conseil mondial de l’énergie éolienne montre assez clairement le potentiel éolien de la Pologne d’ici 2020 (estimé à 13 GW)[7].

Le mode de soutien aux EnR: du certificat vert au tarif d’achat

Pour remplir leurs engagements, les États de l’UE se sont dotés de différents systèmes d’aide et de soutien. La Pologne a fait le choix des quotas ou certificats verts, qui apparaissent comme un système de plus en plus désuet. Ce mécanisme impose aux États de prouver l’origine renouvelable de leur production d’électricité. Si le système est libre et ouvert en France, il a un caractère obligatoire en Pologne[8], basé sur des quotas. Le principal avantage de ce système est d’apporter une visibilité sur les quantités favorisant les investissements.

Néanmoins, l’investisseur supporte le plus grand risque, la vente du certificat n’étant pas garantie (le nombre de certificats devrait diminuer progressivement dans le temps), ni même le prix (plus la production d’électricité verte est importante par rapport aux quotas, plus le prix du certificat vert diminue. Si l’offre est insuffisante, le prix du certificat vert augmente), ce qui représente un frein majeur notamment pour les filières éolienne et photovoltaïque. Beaucoup d’experts prônent en Pologne la mise en place du mécanisme de tarif d’achat comme en France ou en Allemagne. Même s’il fausse temporairement les règles du marché, il permettrait un soutien garanti aux EnR sur les dix prochaines années.

L’intégration du marché polonais de l’électricité au marché de l’UE

Le grand défi pour le marché polonais de l’électricité sera sa capacité à se mettre au niveau et à se connecter au marché européen. La vétusté de son infrastructure technique et les capacités d’investissement nationales limitées sont de réels freins qu’il sera difficile de surmonter sans capitaux étrangers. Dans un pays n’ayant pas fini sa transition économique, où les enjeux de la croissance sont les réelles priorités, où le débat de croissance verte n’a pas encore été réellement posé en l’absence de parti écologique, où l’exploitation du gaz de schiste est encouragée -considérée par le gouvernement comme une alternative énergétique dans un contexte géopolitique tendu-, où la société civile se manifeste sporadiquement (notamment dans les campagnes) contre le photovoltaïque ou l’éolien pour des raisons d’esthétique paysagère ou de protection de la santé et, enfin, où la question de la rareté des réserves naturelles ne se pose pas encore, on peut comprendre que la Pologne mettra sûrement plus de temps à s’orienter vers les EnR que n’importe quel autre pays européen.

La pierre angulaire de la transition énergétique polonaise vers les EnR pour faire face à la crise environnementale sera de toute évidence sa capacité à générer des emplois autour de ce projet et à créer des «cerveaux verts».

Notes :
[1] La feuille de route présentée par la Commission européenne en mars 2011 et étudiée lors du Conseil des ministres de l’Environnement à Bruxelles le 9 mars 2012 proposait une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25% dès 2020, 40% en 2030, 60% en 2040 et 80-95% en 2050.
[2] Directive 2009/28/CE: vise à promouvoir les énergies renouvelables dans la production d’énergie électrique.
[3] Décision 406/2009/CE: effort à fournir par les États membres de l’UE en vue de répondre au Paquet climat-énergie 3x20: d’ici 2020, porter à 20% la part de renouvelable dans les énergies consommées, améliorer de 20% l’efficacité énergétique et réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’année 1990 via le mécanisme dit EU ETS (European Emissions Trading System).
[4] Données estimées par le groupe PSE Operator SA, société de transport d’électricité.
[5] Il est important de souligner que les fonds affectés aux programmes opérationnels pour la période 2007-2013 sont les plus importants de l’histoire du pays mais, surtout, de l’histoire de l’UE. À ce jour, aucun pays européen n’a bénéficié d’un tel soutien financier.
[6] Lire les critiques complémentaires datant du 27 février 2012 des professeurs Krzysztof Żmijewski de l’Université polytechnique de Varsovie, membre du Conseil national pour la réduction des émissions et Jan Popczyk de l’Université polytechnique de Silésie à Gliwice. www.infor.pl/prawo/artykuly/597522,ustawa_o_odnawialnych_zrodlach_energi_w_2013_r.html
[7] www.gwec.net/index.php?id=132
[8] Le prix moyen des certificats verts s’élevait à 250 złoty (environ 59 euros) en 2009.

Sources principales :
Energy policies of IEA countries: Poland, 2011 review, OECD/IEA 2011
Energy Policy of Poland until 2030, Ministry of Economy, Warsaw, November 2009
Prognoza będąca realizacją zobowiązania wynikającego z art.4 ust.3 dyrektywy Parlamentu europejskiego i rady 2009/28/WE z dnia 23/04/2009r. W sprawie promowania stosowania energii ze źródeł odnawialnych zmieniającej i w następstwie uchylającej dyrektywy 2001/77/WE oraz 2003/30/WE
Gazeta prawna, 27 octobre 2011
Energy Balances of OECD Countries, IEA/OECD Paris, 2010

Acronymes :
GW: gigawatt; kWh: kilowatt-heure; Mt: million de tonnes; Mtep: mégatonne équivalent pétrole; MWh: Mégawatt-heure; MWe: mégawatt électrique.

Vignette : Champ d’éoliennes sur la Baltique, Darłówko (Poméranie occidentale). © Amélie Bonnet (juin 2011).