Le ‘NB8’ : au nord de l’Europe, une autre diplomatie

Réunis à Riga début septembre 2016, les ministres des Affaires étrangères des pays nordiques (5) et baltes (3), ou «NB8», ont évoqué le renforcement de la coopération entre pays membres, mais aussi l’agenda politique de l’ONU.


Malgré la volonté politique revendiquée de ses dirigeants, l’unité de la diplomatie européenne peine à se concrétiser. Ni les États, ni les institutions communautaires ne parviennent à imposer une vision diplomatique claire et commune aux 28 -bientôt 27- pays membres: les désaccords sur la gestion migratoire sont profonds, la guerre en Ukraine échoue à trouver une issue, les tensions dans l’espace baltique se font plus fortes et la défiance vis-à-vis des institutions semble prévenir tout leadership de la Commission européenne sur une diplomatie de l’Union. Face à ces blocages, la diplomatie de club s’impose comme la solution permettant de faire de la diplomatie au sein de l’UE. Le succès du groupe «NB8» l’atteste.

Les défis relevés par le NB8

Créé en 1991 dès la restauration de l’indépendance des États baltes, le groupe «NB8», pour «Nordic-Baltic 8», comprend sous son format actuel le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Le groupe réunit régulièrement les Premiers ministres, ministres des Affaires étrangères, Secrétaires d’État, Parlementaires, ainsi que des experts afin d‘évoquer des problématiques régionales aussi bien que les évolutions générales du contexte international.

Le resserrement de la coopération entre ces différents États dès 1991 reflète les liens forts entre les pays dits nordiques et les pays dits baltes ou baltiques. L’Islande fut le premier pays à reconnaître l’indépendance des États baltes, et la Suède fut l’une des premières à ouvrir une ambassade en Lituanie. Lors de l’attaque par les chars soviétiques de l’émetteur de télévision de Vilnius, le 13 janvier 1991, le gouvernement norvégien avait été le seul à protester auprès du Conseil de sécurité des Nations unies en demandant l’ouverture d’une enquête sur les événements.

Une fois les indépendances baltes réaffirmées, une première coordination diplomatique a été mise en place sous l’impulsion du Conseil nordique des ministres. En 2008, le trio balte est pleinement intégré au groupe et, en 2010, la Lettonie devient pour la première fois pays hôte des rencontres du NB8. Cette année est importante pour l’évolution du groupe, qui ne se restreint plus seulement aux réunions diplomatiques: sont également organisées des réunions avec les Secrétaires d’État et les directeurs politiques des pays membres. Au même moment est entérinée la décision de publier un rapport annuel qui a pour objectif d’évaluer l’efficacité de la coopération entre les pays, de proposer des recommandations permettant son amélioration et de fixer des objectifs futurs. Il est rédigé par des experts des pays membres choisis par les ministres des Affaires étrangères.

L’organisation du NB8 s’inspire largement du format mieux connu du Conseil de l’Union européenne, conférant une certaine souplesse d’action au groupe. Celui-ci dispose en effet, en plus de rapporteurs spéciaux, d’une présidence annuelle tournante par pays. Le groupe prend ainsi la forme d’un forum diplomatique et de dialogue souple, sans être formellement institutionnalisé ni encadré par des traités et coutumes diplomatiques. Il est donc à même de proposer son propre agenda, en fonction de l’actualité, notamment sub-régionale. Des sujets aussi divers que la sécurité, l’éducation, l’environnement ou encore les transports peuvent y être abordés. À ce titre, il joue pleinement le rôle d’intégrateur sub-régional.

Le dynamisme du NB8 montre un tout autre aspect de la coopération européenne, entre l’Europe du Nord et l’Europe baltique, à l’image de la multiplication des projets de liaisons de transport entre Helsinki et Tallinn ou de ceux de coopération énergétique entre la Lituanie et la Norvège, par exemple. Les États baltes sont en effet de plus en plus interconnectés avec les pays nordiques, qui sont pour eux une alternative aux autres pays de l’Europe centrale. Il n’est donc pas surprenant qu’aucun des pays du NB8 ne soit membre du groupe de Visegrád.

Le Brexit, une opportunité supplémentaire pour la coopération diplomatique sub-régionale

L’essor de ces groupes diplomatiques ne peut en effet s’expliquer par la seule nécessité de structures de coopération à l’échelle sub-régionale. Il se situe dans une tendance plus large très présente dans les relations internationales, celle de la diplomatie de club. Depuis la crise économique de 2008, celle-ci semble même devenue un outil essentiel de diplomatie. Censée être plus directe, plus efficace et moins protocolaire que les négociations au sein des organisations internationales traditionnelles, la diplomatie de club permet d’atteindre plus rapidement un compromis entre parties aux intérêts proches[1]. Elle se définit ainsi comme une «réunion connivente d'un nombre limité d'acteurs, et en particulier d'États» pouvant «se saisir de tout, mais en le soumettant à la loi du petit nombre»[2]. Il n’est donc pas illogique, au vu de la récurrence des crises internationales, de constater la prolifération de ce format.

La souplesse et la liberté de ton et d’action qu’il autorise permettent à ces groupes diplomatiques de se poser en contre-pouvoir des puissances diplomatiques traditionnelles, à l’image du couple franco-allemand. Le NB8 s’insère parfaitement dans ce jeu diplomatique en tant que force de proposition sur des sujets spécifiques, qualifiés parfois de «biens publics mondiaux», tels que le numérique, la santé, le réchauffement climatique et le développement durable. Le niveau technique de ces thématiques démontre toute la force d’action du groupe: elles requièrent un savoir spécifique reflétant une coopération régionale poussée entre les membres qui, mieux intégrés, se donnent les moyens de porter avec plus de précision leurs propositions.

Les récentes évolutions politiques de l’UE, et notamment le référendum sur le Brexit, sont autant d’opportunités pour le NB8 de s’imposer comme nouvelle puissance diplomatique auprès des institutions communautaires. C’est ainsi avec le soutien du groupe que la Lituanie a pu exprimer son inquiétude concernant le sort futur de la minorité lituanienne vivant au Royaume-Uni. La mutualisation des intérêts de chaque pays au sein du groupe leur permet de s’affirmer auprès des institutions internationales sur des sujets d’importance qu’ils auraient du mal à promouvoir seuls. Le groupe s’impose ainsi comme une force qui compte, à l’aube des négociations avec le Royaume-Uni sur le Brexit. Non content d’y participer, le NB8 pourrait peut-être, à terme, devenir un acteur diplomatique incontournable en Europe.

Le NB8, une voix européenne sur la scène internationale

Les institutions communautaires ainsi que les pays membres auraient tout intérêt à valoriser l’activité diplomatique du NB8, qui se fait déjà l’un des hérauts de la diplomatie européenne sur la scène internationale. Le groupe apparaît comme un interlocuteur privilégié pour certaines organisations internationales, comme l’Otan par exemple pour ce qui est de la coordination et du relais de son plan d’action militaire dans l’espace baltique. Composé d’États particulièrement demandeurs et principaux récipiendaires des mesures de réassurance de l’Alliance même si tous ne sont pas membres de l’Alliance, le groupe peut s’organiser en amont afin de coordonner son intervention et de recevoir au mieux les contingents affectés dans la zone. Le principal organe du NB8 étant la réunion des ministres des Affaires étrangères, il est compréhensible que l’action diplomatique du groupe soit largement affectée à la défense et la sécurité de ses intérêts stratégiques, quitte à se détacher de la tutelle implicite de l’UE au profit d’un dialogue plus direct avec l’Otan.

Mais son action est loin de se résumer à une coopération sécuritaire. La souplesse de son format lui permet également de promouvoir d’autres enjeux globaux, comme le développement durable ou le numérique. C’est en vue de cette expansion que le groupe a mis en place un format spécifique à la coopération, appelé «NB8+1»: il consiste à faire intervenir un pays tiers qui, sur invitation d’experts, peut venir discuter d’une coopération plus poussée sur un thème précis. Cette procédure a débouché en 2011 sur la création du Forum de l’Avenir du Nord («Northern Future Forum»), auquel participe le Royaume-Uni et qui se réunit désormais tous les ans. En février 2013, les chefs d’État des pays du groupe, le Premier ministre britannique David Cameron, ainsi qu’une cinquantaine d’experts se sont réunis à Riga afin de mettre en place une coopération favorisant la compétitivité dans le domaine des énergies vertes et une meilleure interconnexion digitale. C’est également en 2013 que s’est tenu le premier meeting NB8+ avec le Japon, qui a donné naissance à la Rencontre Asie-Europe («Asia-Europe Meeting») visant à donner au groupe une perspective asiatique de développement économique.

Cette ouverture au monde s’accompagne en outre d’une initiative intéressante auprès des Nations unies. Réunis à Riga les 5 et 6 septembre 2016, les Secrétaires d’État du groupe ont mis à l’ordre du jour de leurs discussions l’élection du nouveau Secrétaire général de l’organisation lors de la 71e session de l’Assemblée générale, et ont notamment insisté sur la nécessaire transparence du processus. Le groupe a appelé à une participation plus large de l’Assemblée générale via une audition publique des candidats déclarés et a même préparé une position commune en vue du Sommet sur la migration prévu à New York le 19 septembre. Il a par ailleurs poursuivi son travail déjà entamé sur un projet de réforme des Nations unies et sur la réalisation des objectifs de développement durable définis par l’organisation. Le 12 octobre, le NB8 a également annoncé la préparation d’un projet de résolution sur les produits chimiques et les résidus d’armes chimiques déversées en mer.

Par une structure ouverte et collaborative, active sur de nombreuses thématiques, le NB8 s’impose petit à petit dans le paysage diplomatique européen. Ses réussites en matière de coopération régionale en font même un exemple pour une diplomatie européenne en mal d’unité, notamment au sein des Nations unies où le groupe ne se contente pas d’être un suiveur attentif mais se veut une force de proposition ambitieuse. En constante évolution depuis ses balbutiements en 1991, le groupe doit en grande partie sa réussite à sa capacité à maintenir un dialogue qui n’est pas exempt de divergences, par exemple sur les sujets économiques. Mais ses acteurs savent que, pour ne pas se laisser enfermer dans une rhétorique diplomatique improductive, le NB8 se doit de profiter de cet esprit collaboratif exceptionnel et aborder aussi les sujets qui fâchent. C’est ce qui donne sens à son existence.

Notes :
[1] Nils Andersson, «Le G7, le G8, le G20 et après?», Savoir/Agir, no18, pp.99 105.
[2] Bertrand Badie, «Il n’y a rien à attendre du prochain sommet du G8», Le Monde, 20 mai 2011.

Vignette : Les ministres des Affaires étrangères du NB8 réunis à Riga fin août 2016 (source: Ministère letton des Affaires étrangères).

* Étudiant au sein du Master Politiques et pratiques des organisations internationales de l’Institut d’études politiques de Grenoble.