Roumanie : le rôle croissant de la diaspora

« À partir du janvier 2007, tous ceux qui parlent le roumain sont Européens » disait en octobre le Ministre des Affaires étrangères roumain lors de la première conférence des communautés roumaines en Europe, organisée à Bucarest. L'entrée de la Roumanie dans l'Union Européenne est reçue par une grande partie des Roumains à l'étranger comme un cadeau bien mérité par la Roumanie qui a rempli les conditions d'adhésion. A l’occasion de la dernière élection présidentielle, les politiciens de Bucarest ont senti l’influence de ces communautés sur la vie publique du pays.


Élu en 2004, le Président Traian Bassescu a remercié les Roumains de la diaspora pour leur vote dans son discours d’investiture. Deux ans plus tard, son Gouvernement propose une loi spécifique qui permet au gouvernement, par le Département des roumains à l'étranger (DRRP) de financer les projets des Roumains dans le monde entier dans le but de conserver l’identité et la culture roumaines et de promouvoir la Roumanie dans le monde. « Il y a un intérêt légitime et moral de la Roumanie de développer les relations avec les Roumains à l’international. Le projet de loi pour les Roumains à l’étranger respectera la législation des pays ou vivent les Roumains » a déclaré Mihai Gheorghiu, le Secrétaire d’Etat, Directeur du DRRP.

Cette loi permettrait aussi le vote par correspondance pour les Roumains à l’étranger, ce qui accroît le rôle des réseaux et communautés roumaines à l’international capables de rassembler les éventuels électeurs de la diaspora. Quelques associations communiquent déjà sur l’Internet sur l’importance de rassembler les diasporas pour un futur candidat politique en Roumanie. La stratégie de développement des réseaux de la diaspora roumaine se développe. Jusqu'à présent pourtant, la diaspora se caractérisait plutôt par son individualisme et sa recherche d’intérêt que par une attitude naturelle de cohésion.

Poids historique de la diaspora

Historiquement, le métissage culturel et les influences étrangères occupent une place très importante dans la Constitution de la nation roumaine. C'est à Paris que les pères fondateurs de la Roumanie moderne, notamment Mihai Kogalniceanu, Nicolae Balcescu et Alexandru Ion Cuza, ont pris conscience, dans les années 1840, de la spécificité de leur nation.

La diaspora trouve également en France une terre d’accueil et un terrain propice à l’expression de leur sensibilité artistique et de leurs exploits technologiques. « La France a toujours rayonné aussi grâce à l’immigration roumaine » rappelait en 2002 Philippe Etienne, ancien ambassadeur de France à Bucarest dans son discours dans l'Académie roumaine, tout en rendant hommage aux co-nationaux Brancusi, Cioran, Ionesco et Coanda.

L’image des Roumains de l’étranger change cependant au gré des époques. Si pendant l’entre-deux-guerres, ils forment les élites politique et culturelle, pendant l’époque communiste, leur image est celle des dissidents. Après la révolution de 1989, leur réputation est ternie par l’image très médiatisée des voleurs, prostituées et amalgamée à celle des Roms qui entrent en conflit avec les autorités des pays occidentaux à cause de leur mode de vie nomade.

Ce n’est qu’à partir de 2002 qu’une nouvelle image «de citoyen européen» commence à se créer grâce à la possibilité de voyager sans visa dans l’espace Schengen. L’image des Roumains qui vont aller travailler en Europe, surtout en Espagne, pour gagner de l’argent et l’envoyer à leur famille restée dans leur pays d’origine, passe par une image de dérision. La réputation de « capsunari » (« cueilleurs des fraises ») leur colle à la peau, surtout en Espagne. Cette image péjorative tend à réduire les cadres et les étudiants roumains expatriés à de simples travailleurs agricoles saisonniers.

Cependant, l’enrichissement des familles roumaines grâce aux parents qui travaillent à l'étranger impose peu à peu un certain respect et provoquent l’admiration de la population.

Poids de la diaspora dans l’économie roumaine 

En 2005, les investissements des Roumains de diaspora en Roumanie dépassent la part de l’investissement étranger. La même année, les Roumains qui travaillent à l’étranger envoient 4,14 milliards euros en Roumanie : D’après les estimations de la BNR, 40 % de ce montant sont envoyés hors des circuits officiels de transfert d’argent.

Ce poids financier attire désormais l’attention du secteur des affaires qui commence à saisir l’intérêt de cette niche caractérisée par des clientèles à hauts revenus et forts besoins spécifiques. Des infrastructures de transport, avec l’apparition des vols à bas prix, les transports de marchandises améliorés de nouveaux trajets et des nouveaux services destinés à mieux desservir les capitales, ainsi que des produits bancaires pour crédits et transferts d’argent sont progressivement apparus.

Les communautés roumaines sont cependant très différentes en fonction des pays d’Europe et surtout en fonction de la législation du travail dans les pays d’accueil. En France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Irlande, on retrouve toutefois une forte proportion de professeurs, d’étudiants et de cadres, dans les métiers de la médecine, de la banque, de la finance, et de l’informatique. En Italie et Espagne, Portugal, les plus grandes communautés roumaines d’Europe, on trouve également beaucoup de travailleurs dans le bâtiment, l’agriculture et le commerce.

Le «retour au pays» n'est plus un sujet tabou 

Si l’un des atouts de la Roumanie sont les ressources humaines, bien qualifiées et travailleuses, le deuxième pays le plus peuplé après la Pologne (22 millions d’habitants) risque de perdre cet avantage si la migration des Roumains continue à un rythme plus important suite à l’intégration dans l’Union européenne en 2007.

« Nous n’avons plus assez de constructeurs en Roumanie parce qu’il sont partis à l’étranger », constatait le premier Ministre Roumain Calin Popescu Tariceanu en octombre 2006. « En tant que Roumain et homme politique, je suis néanmoins fier d’entendre des éloges sur le sérieux des travailleurs roumains en Europe par les autorités locales qui en bénéficient pour développer leurs économies locales ». Mais depuis quelques mois déjà, le Gouvernement fait savoir que la Roumanie aussi a besoin des Roumains de la diaspora et qu’elle va mettre en œuvre des moyens et des projets pour les inciter à rentrer.

Après Fitch, Standard&Poor's et JCRA, l’agence de notation Moody's vient d’ailleurs de changer substantiellement sa perception de la Roumanie, la classant dans la catégorie des pays « investment grade », dont la solvabilité est reconnue par la majorité des investisseurs, créant les prémisses de la diversification de la base des investissements pour les instruments émis par l'État roumain et des investissements étrangers directs en Roumanie. Le constructeur automobile Renault a récemment annoncé la création d’un deuxième Technocentre en Roumanie, « Nous avons décidé d’investir en Roumanie grâce à la qualité des ingénieurs roumains et suite au succès du programme Dacian Logan » indique Carlos Ghosn, PDG du groupe Renault.

« Les cadres roumains qui ont fait des études à l’étranger ont un rôle déterminant dans la construction de la Roumanie de demain et dans son intégration dans l’Union européenne », indique Patrick Gelin, PDG de BRD Société Générale en Roumanie dans le cadre du Congrès des cadres roumains en France en 2006. « Nos offres de recrutement valorisent le potentiel des cadres roumains et essaient de leur offrir un avenir dans leur pays ».

Une étude récente pour le compte du ministère du Travail en Roumanie prévoit une transformation significative du marché du travail en Roumanie à l’horizon 2010.
Les tendances des dernières années n'indiquent pourtant pas les prémisses du développement d'une économie compétitive. Le groupe des « techniciens, maîtres et assimilés » enregistre des réductions de personnel et la branche des « spécialistes à occupations intellectuelles » marque des croissances peu significatives.

Si la diaspora roumaine commence à peine prendre conscience de son influence dans l'économie et la politique en Roumanie, aujourd’hui, le souhait des certains intellectuels roumains à l'étranger comme l’académicien Basarab Nicolescu reste actuel : « Le rôle de la diaspora roumaine est de promouvoir en Roumanie une démocratie imprégnée de spiritualité ».

 

* Ingrid VAILEANU PAUN est journaliste et directrice de la publication en ligne MULTICULTURAL INTERVIEW

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