L’opposition au Turkménistan

Le Turkménistan, comme d’autres pays post-soviétiques, présente une tendance marquée au parti unique. Où est l’opposition et quel est son rôle dans l’avenir du Turkménistan ?


Suite à l’indépendance, le premier président Saparmourat Niazov a rebaptisé le Parti communiste turkmène en Parti démocratique du Turkménistan. Vingt ans plus tard, ce parti unique dirigé par le président en fonction demeure encore. Aujourd’hui, les partis d’opposition se trouvent à l’étranger et leurs voix portent difficilement à l’intérieur du pays en raison du contrôle exercé par les autorités. L’apparence plus progressiste de Gourbangouly Berdymoukhamedov, second président en fonction depuis 2007, annonce-t-elle une évolution du paysage politique ?

Un parti unique non unanime !

La mort de Saparmourat Niazov en décembre 2006 a suscité chez l’opposition en exil l’espoir d'un retour possible au Turkménistan. Cependant, alors que la fonction de président par intérim aurait dû, selon la Constitution de 1992, revenir au président du Parlement, le vice-Premier ministre G. Berdymoukhamedov a rendu publique une affaire entraînant son arrestation immédiate et permettant de l’écarter du pouvoir. Il est ainsi devenu président par intérim, avant d'être officiellement élu président en février 2007.

Pourtant, l’opposition aurait souhaité profiter de cette période d’intérim pour retourner dans le pays, et elle a recherché pour cela un soutien international. Elle souhaitait aller vite pour éviter que le successeur de S. Niazov ne prenne le pouvoir de manière autocratique. Mais G.Berdymoukhamedov a été le plus rapide, puisque seulement cinq jours après le décès du premier président du Turkménistan, il était présenté par les médias comme responsable de l’organisation des funérailles (rôle qui, du temps de l’Union soviétique, revenait justement au successeur du défunt). Ces espoirs de renouveau ont donc rapidement pris fin en raison de la violation immédiate de la Constitution.

Pourtant, la rédaction d’une nouvelle Constitution, publiée en 2008, met fin au parti unique en promettant l’ouverture politique. En février 2010, G. Berdymoukhamedov autorise alors officiellement la création et l’enregistrement de nouveaux partis politiques en déclarant que « si quelqu'un souhaite créer un nouveau parti politique, nous pouvons l'enregistrer dès cette année »[1].

Un retour en grâce de l’opposition ?

La législation autorise désormais le pluralisme politique, et les partis d’opposition peuvent donc être en principe représentés, même si les autorités déclarent que celui-ci était jusqu’à maintenant inexistant en raison de l’absence même d’opposition.

Pourtant, l'opposition existe bel et bien et se révèle d’ailleurs plus ancienne. En effet, la création du premier parti d’opposition remonte à 1989 avec la création du parti Agzybirlik (« solidarité ») qui organisait le 12 janvier 1990 une première manifestation à Gökdepe en commémoration du 110e anniversaire de la défaite de la garnison turkmène face à l'armée tsariste. Un autre groupe d’opposition (Paikhas) a été créé en 1991.

Entre 1991 et 1993, ces groupes ont tenté de lancer des mouvements de grève ou d’introduire des candidats alternatifs aux élections, mais ces tentatives ont avorté. Le faible soutien populaire dont ces groupes d’opposition jouissaient alors, ainsi que leurs capacités politiques limitées ont permis à S.Niazov de les marginaliser aisément. Les opposants ont été arrêtés et contraints de quitter le pays après repentance publique. À partir de 1990, le durcissement du régime et le contrôle accru de la société feront échouer tous les mouvements contestataires. En 1993, l’opposition interne a disparu, et un système de visa est mis en place en 1999 pour limiter les déplacements et les contacts de la population avec les opposants en exil.

L'exil des partis d’opposition

Après avoir démissionné de son poste de ministre des Affaires étrangères en 1992, afin de dénoncer le régime qui devenait de plus en plus autoritaire, Abdy Kouliev (décédé des suites d’une opération chirurgicale en 2007) s’est dans un premier temps exilé à Moscou. Il a créé la Fondation du Turkménistan en 1992 qu’il renommera parti Opposition démocratique unie du Turkménistan [aussi appelé « Erkin Turkmenistan » (Turkménistan libre)] en 2002 à Oslo en Norvège.

D’autres partis en exil existent, tels le Parti républicain du Turkménistan créé par Nourmoukhammed Khanamov (ancien ambassadeur en poste en Turquie et en Israël de 1994 à 2002 et vivant probablement en Autriche), ou encore le parti Vatan (Patrie) créé par Kourban Ozarov, ancien vice-Premier ministre du gouvernement Niazov et vivant en Suède.

Mais l’homme politique de l’opposition le plus médiatisé est sans doute Boris Chikhmouradov, pour être soupçonné d’être le chef de la tentative d’attentat contre S.Niazov du 25 novembre 2002. Passé dans l’opposition en 2001 après avoir été ministre des Affaires étrangères de 1995 à 2000 et ambassadeur en Chine en 2001, il choisit de créer son propre parti d’opposition en 2001 : le Mouvement Démocratique des Peuples du Turkménistan (aussi appelé Gundogar). Critiqué par certains fidèles du clan Kouliev pour sa longue participation au régime de S.Niazov, considérée comme suspecte, il incarnera une nouvelle vague d’opposition. Dans les mois suivant sa création, plus d’une vingtaine d’autres fonctionnaires turkmènes de haut rang, dont certains toujours en fonction auraient rejoint ce parti, dont l’ancien directeur de la Banque centrale[2].

Actions et revendications de l’opposition

L’attentat de 2002 n’ayant été revendiqué par aucun parti d’opposition, Saparmourat Yklimov –ancien ministre député de l’Agriculture et opposant turkmène depuis 1994, qui vivait en Suède et qui a été accusé d’avoir participé à l’attentat–, incrimine le gouvernement d’avoir lui-même orchestré l’attentat afin de pouvoir légitimer une répression contre l’opposition. En effet, suite à cet attentat, S.Niazov a procédé à des remaniements des ministres et des fonctionnaires, et ceux-ci seront fréquents jusqu’à sa mort en 2006 (tous les 6 mois en moyenne).

En 2006, de actions de protestations sont apparues: une statue de S. Niazov a eu les bras coupés et a été recouverte d’excréments dans l’ouest du pays[3].

Suite à la mort du premier président fin 2006, le parti républicain du Turkménistan et le parti Vatan avaient annoncé symboliquement la présentation d’un candidat unique (K. Orazov) et menacé de renverser le prochain président si les autorités turkmènes ne lançaient pas des réformes démocratiques. A. Kouliev avait de son côté proposé Nourberdy Nourmagomedov, leader du parti Agzybirlik, comme candidat.

À l’automne 2008, des violences armées ont eu lieu à Achkhabad où des coups de feu ont été échangés entre les police et des terroristes islamistes (ou des criminels, le mystère demeure quant à cette affaire à propos de ces hommes armés et de leurs revendications).

Les revendications des opposants en exil sont globalement identiques : dans un premier temps, celles-ci tournaient essentiellement autour de la renaissance culturelle turkmène avec la restauration de la langue nationale après des années de russification et au retour de la tradition folklorique. Aujourd’hui, cet argument n’est plus valable puisque S. Niazov a favorisé la turkménisation de la société en instaurant le turkmène comme langue nationale et en mettant en avant l’histoire et la culture (une chaîne de télévision est consacrée au Turkménistan à travers la musique, la nature et les traditions). Désormais, ils condamnent avant tout la répression du régime, souhaitent l’introduction de réformes plus ou moins démocratiques et d’une économie de marché, voire le retrait du statut de neutralité du Turkménistan qui est un des points essentiels de l’idéologie du régime en place.

Une population peu sensible aux opposants en exil ? L’opposition turkmène en exil connaît plusieurs difficultés. D’une part, elle est isolée de la vie civile. Le système d’intoxication médiatique mené par le pouvoir en place est permanent: l’accès aux sites Internet indépendants et d’opposition est bloqué. La distribution de la presse étrangère est interdite depuis 2002 lorsque B. Chikhmouradov et A.Kouliev y avaient recours pour exposer leurs idées et les importer au Turkménistan.

D’autre part, l’opposition turkmène est divisée : « Une scission couve dans nos rangs », a déclaré le plus ancien leader de l'opposition, A. Kouliev[4]. Les « élections » de 2007 l’ont bien montré, les partis d’opposition ont été incapables de ne présenter ne serait-ce qu’un seul candidat. La conférence de Prague en 2003[5] avait bien tenté de réunir les partis d’opposition, mais seuls quatre partis (Vatan, Parti Républicain du Turkménistan, Galkynysh et l’Opposition Démocratique Unie du Turkménistan) se sont unis dans l’Union des Forces Démocratiques du Turkménistan. Une opposition règne au sein même de l’opposition, notamment entre la « vieille » opposition et la « nouvelle » opposition représentée par B. Chikhmouradov, qui souhaitait devenir l’unique représentant de l’opposition. Certains opposants sont soupçonnés d’être des agents des services secrets turkmènes, comme Murad Essenov[6].

Par ailleurs, l’opposition manque de moyens financiers et humains. Les grandes puissances leur accordent peu d'attention en raison des richesses hydrocarbures dont jouit le Turkménistan. À la moindre critique concernant la répression et les libertés internes, Achkhabad dresse la carte des hydrocarbures

Puisqu'un changement de régime ne saurait venir de l'extérieur, qu'en sera-t-il de l'intérieur ? Là encore, les espoirs sont minces. La police et les espions font bien leur travail: toutes les conversations sont écoutées et les courriers (postaux ou électroniques) épluchés, des caméras surveillent les rues de la capitale.

Aujourd’hui, un an après l’annonce par le président du processus d’ouverture politique et qui n'est toujours pas à l’œuvre, on peut se demander quelle est la part de chance pour que l’opposition se développe, lorsque toute opposition est présentée comme une trahison envers la patrie. Dans ce pays où le système clanique et le sentiment d’appartenance au clan demeurent très forts, l’opposition pourrait relever davantage de rivalités claniques (comme au Kirghizstan) qu’idéologiques.

De plus, le nouveau président a malgré tout permis de nombreuses avancées au Turkménistan et dans la vie sociale, ce qui pourrait atténuer la montée d’un mouvement contestataire. Même si celles-ci sont minimes dans l’absolu et vu d’Europe, elles sont significatives, vues de l’intérieur: il est désormais possible de se déplacer d’une région à l’autre sans autorisation, de se rendre à l’étranger avec un visa (et en Turquie jusqu’à un mois sans visa), les barrages policiers sont moins nombreux, le calendrier à la gloire de la famille Niazov a été supprimé, l’arche de la neutralité dominé par la célèbre statue tournante de S. Niazov démontée, et la folle inflation monétaire des années niazoviennes a pris fin avec la conversion à taux unique de la monnaie nationale, le Manat.

Même si l’opposition semble en apparence être acceptée par le nouveau président, cette déclaration paraît bien artificielle: celui-ci a d'ores et déjà considérablement assis son pouvoir en l’espace de quatre années, notamment en publiant une autobiographie intitulée Le petit-fils qui réalise les rêves de son grand-père qui le légitime et participe de la mise en scène du pouvoir au même titre que ses portraits disséminés dans les rues, et sur les bâtiments officiels (ministères, aéroports, gares, cinéma,…). Ce mimétisme niazovien se retrouve jusque dans la demande formulée par le président de la commission centrale des élections turkmènes, Myrat Garyev, qui a demandé à la fin du mois d’octobre 2010 (soit après l’autorisation de l’enregistrement de nouveaux partis politiques) au président G. Berdymoukhamedov d’accepter de devenir président à vie. Il acceptera sûrement « sous la pression de la volonté du peuple turkmène », ce qui mettra fin aux aspirations de l’émergence progressive d’un multipartisme.

Notes :
[1] http://fr.rian.ru/ex_urss/20100218/186088300.html
[2] Slavomir Horak, «Turkmen opposition – possible change for Turmenistan?», Contribution to the 13th International Conference on Central Asia and the Caucasus Institute for Political and International Studies, Teheran, 7 et 8 novembre 2005.
[3] Mayeul Caire, « Cauchemar turkmène », in Jeune Afrique, 28 août 2006.
[4] http://fr.rian.ru/world/20061226/57825123.html
[5] La conférence des forces d’opposition turkmènes qui s’est tenue à Prague en septembre 2003 et soutenue par des ONG et des organisations des droits de l’homme, a marqué une volonté de réunifier l’opposition. La principal résultat a été la création du parti Union des Forces Démocratiques du Turkménistan ; les participants ont également condamné la répression du régime turkmène, et ont appelé à des sanctions internationales contre le régime et à la révocation du statut de neutralité du Turkménistan (le statut représentant un point fondamental de l’idéologie du régime en place).
[6] http://www.neweurasia.net/politics-and-society/opposition-crushed/

* Romain SIDOS est Étudiant en master 2 de gestion des risques et des crises a Paris 1. Titulaire d'une licence de russe et d'un master 1 en relations internationales de l'inalco.

Photo: Boris Chikhmouradov (photo libre de droits, attribution non requise).

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