Acheter polonais, effet de mode ou tendance durable ?

Depuis quelques années les concours, certificats, slogans et autres logos promotionnels envahissent le marché polonais de la consommation courante. Parmi les stratégies utilisées, celle qui met en avant l’origine nationale du produit et la protection de l’économie locale a le vent en poupe. Tant et si bien qu’«acheter polonais» semble devenu un principe chez nombre de consommateurs…


En mars et avril 2004, juste avant l’entrée de la Pologne dans l’UE, Jacek Sadowski, directeur d’une agence de publicité, initia une campagne de promotion à destination des consommateurs polonais, mettant en avant les produits Made in Poland. Objectif: faire prendre conscience que le choix effectué lors d’un achat a une influence directe sur l’économie et la situation de l’emploi en Pologne. J.Sadowski craignait alors un afflux massif de produits étrangers dans le pays.

Au vu du succès de la campagne -le nombre de consommateurs sensibles à son argument passant de 5% en février 2004 à 13,2% trois mois plus tard-, J.Sadowski décida de créer une fondation originale, appelant au patriotisme et à la solidarité des consommateurs nationaux, mais également à la responsabilité sociale des entreprises. Ainsi naquit la fondation Dajesz Prace PL, littéralement «Tu donneras du travail à la Pologne». L’idée promue est simple: en achetant des produits nationaux, on garantit à des milliers de compatriotes un emploi et des conditions de vie décentes, et on incite les entreprises, en particulier étrangères, à investir dans les ateliers de production ou les usines du territoire. On les pousse aussi à employer et à rémunérer davantage. Par conséquent, si deux produits ont une qualité et un prix équivalents, ce qui est de plus en plus fréquent, autant agir en conscience et acheter polonais: «En achetant des produits polonais, tu donneras un (bon) travail».

Les entreprises partenaires de la Fondation peuvent apposer son slogan sur leurs produits. Doté des couleurs du drapeau national (rouge et blanc), il rappelle l’origine polonaise du produit, immédiatement repérée par les consommateurs. Il permet également aux firmes de démontrer leur engagement pour l’amélioration des conditions de vie et d’emploi des salariés. Enfin, il agit comme un moyen de pression sur les producteurs, afin de créer et défendre l’emploi en Pologne. Tout produit dont au moins 51% du coût a été supporté en Pologne est qualifié de «polonais» et peut recevoir le label. Moyennant quoi toute entreprise, quel que soit son pays d’origine, peut prétendre en bénéficier[1].

Les jours heureux du produit polonais

Depuis sa création, la Fondation organise chaque année plusieurs types d’actions éducatives et promotionnelles, en partenariat avec des producteurs divers et les principaux réseaux de distribution. Les «Journées du Produit Polonais», qui ont lieu deux fois par an, en sont un exemple: la Fondation mène alors une campagne de promotion intensive, relayée par les médias nationaux et locaux, pour inciter les consommateurs à un achat plus fréquent de produits «polonais». Ces événements remportent apparemment un vif succès.

Lors de la première édition, au printemps 2004, la vente moyenne des produits portant le sigle Dajesz Prace avait grimpé de 45%. L’eau de la firme Kryniczanka avait même enregistré une hausse record de 210%! En novembre 2005, la hausse moyenne des ventes atteignit cette fois les 100%, pour des produits très variés. Ce seuil fut même franchi pour la marque de cosmétiques Oceanic, les chocolats Michalki de chez Wawel, ou même les saucisses de Francfort Morliny. Environ 400 produits avaient alors participé à la campagne.

La dernière en date s’est déroulée en février 2008 et, pendant une quinzaine de jours, les ventes des produits participants se sont accrues d’environ 18%. Les campagnes organisées cette année mettent à l’honneur le thème du football, sous le nom «L’équipe du Produit Polonais». Dans l’équipe en question se trouvent notamment les 262 magasins du groupe Tesco présents dans le pays. La chaîne de distribution britannique est le partenaire n°1 de la Fondation. Elle se félicite de toutes ces initiatives, grâce auxquelles elle peut afficher son soutien aux producteurs et aux fournisseurs locaux, et y gagner en échange: «Nous recevons des produits d’excellente qualité; quant à nos fournisseurs, ils obtiennent des contrats importants et de longue durée, une aide pour une amélioration continue des produits, et également la possibilité d’exporter vers d’autres réseaux Tesco en Europe», a déclaré Agnieszka Suszko, directrice de la responsabilité sociale de Tesco Pologne. Les distributeurs comme Tesco relaient le message de la Fondation par des affiches et matériels de PLV (Publicité sur le lieu de vente), mises en avant spéciales de produits, coupures dans les catalogues, ou spots radio diffusés dans les magasins.

Quand l’UE veille au grain

Dajesz Prace PL n’est pas la seule institution qui cherche à promouvoir les produits nationaux en Pologne. Cependant, contrairement à d’autres, elle n’a pas eu à subir la réglementation européenne quant à la promotion des produits agricoles[2]. Celle-ci interdit toute communication liant explicitement la qualité à l’origine d’un produit. Après l’entrée de la Pologne dans l’UE, la plupart des institutions proposant des signes promotionnels dans ce domaine ont dû revoir leurs slogans et leur réglementation. La Fondation des produits alimentaires de Grande Pologne (Wielkopolska Fundacja Zywnosci), par exemple, délivrait depuis douze ans le certificat «Bon, car polonais» (Dobre, bo polskie). Celui-ci se nomme désormais «Le meilleur en Pologne» (Najlepsze w Polsce), et est ouvert à tout produit fabriqué sur le territoire de l’Union européenne. De même, le ministère de l’Agriculture avait lancé un concours de promotion sous le titre «Bonne nourriture polonaise» (Polska dobra zywnosc); ce concours est devenu «Découvre la bonne nourriture» (Poznaj dobra zywnosc), et est également accessible à tous les producteurs européens. Ces derniers peuvent aussi aspirer au label «La Pologne maintenant» (Teraz Polska), créé par la Fondation de l’emblème promotionnel polonais (Fundacja Polskiego Godla Promocyjnego).

Les actions de promotion comme celles que pratique la Fondation Dajesz Prace PL sont autorisées tant qu’elles n’engagent pas des ressources et des administrations publiques. Dajesz Prace PL peut donc poursuivre ses campagnes, celles-ci étant financées grâce aux licences octroyées aux partenaires (licences d’une durée d’un an renouvelables). En outre, le leitmotiv affiché par la Fondation est la lutte contre le chômage, thème ô combien sensible pour l’UE!

Ethnocentrisme de consommation

L’effet de cette profusion de signes, labels et autres slogans n’est sans doute pas négligeable. Une étude récente a montré que 65% des Polonais déclarent désormais vouloir acheter des produits nationaux et se soucient de la provenance des produits achetés.

En 2006 déjà, Marta Sajdakowska, de l’Ecole supérieure d’écologie et de gestion de Varsovie, avait étudié l’influence du pays d’origine sur le comportement des consommateurs, dans le cas de produits alimentaires. Elle concluait à un plus grand «ethnocentrisme» des Polonais pour ce type de produits. «Nous nous identifions aux produits alimentaires polonais. Nous les considérons comme plus sains, plus écologiques», expliquait-elle alors. Selon Adam Figiel, professeur à l’Académie d’économie de Cracovie et auteur d’un livre paru en 2003 sur ce phénomène[3], l’ethnocentrisme de consommation est une conséquence directe de la hausse du niveau de vie dans une société. Une société à faibles revenus, mais qui s’enrichit progressivement, est davantage favorable aux produits étrangers. Acheter de tels produits témoigne d’un certain statut social. Cependant, quand le marché sature, le système de valeurs des consommateurs s’inverse et l’ethnocentrisme revient en force. Ce mécanisme paraît être en marche en Pologne, et la Fondation Dajesz Prace PLl’a bien compris. A.Figiel considère d’ailleurs cet ethnocentrisme croissant comme étroitement lié à la question du chômage dans le pays. Comme ce phénomène touche presque toutes les familles, avec plus ou moins d’intensité, faire le choix d’un produit fabriqué par des compatriotes revient à manifester une forme de solidarité envers ses proches ou ses amis, sans oublier son intérêt propre. Cela dit, soulignait A.Figiel en 2006, les Polonais restent des consommateurs peu «patriotes», comparativement aux Européens de l’Ouest.

Il faut dire que pendant de nombreuses années a prévalu l’idée selon laquelle tout ce qui vient de l’étranger est de meilleure qualité. Une telle idée s’atténue progressivement, avant tout dans le cas des denrées alimentaires (produits laitiers, fruits et légumes, charcuterie, confiserie), mais aussi, de plus en plus, des médicaments et des produits de beauté.

Les producteurs, notamment les géants étrangers, se sont adaptés à la tendance. En 2005 par exemple, Coca-Cola créa la firme Kropla Beskidu, producteur d’eau de source «polonaise». Le groupe possédait déjà une marque d’eau minérale internationale, Bonaqua, mais les études qu’il conduisit au préalable en Pologne lui indiquèrent qu’il pourrait gagner davantage avec une marque fabriquée localement. La sortie de Kropla Beskidu fut accompagnée d’une avalanche de publicités vantant son caractère naturel, l’eau étant puisée au cœur de la source des Beskides de Sadecki, «l’une des plus propres de Pologne». En l’espace de quelques mois, les ventes du produit ont grimpé de 8%, le menant à la troisième place sur le marché de l’eau, derrière Zywiec Zdroj et Naleczowianka. Autre exemple d’adaptation réussie au marché local, celui de Danone, qui n’hésite pas à mettre en avant l’utilisation exclusive de lait polonais pour la fabrication de ses produits. Choix qui s’avère payant: une experte en psychologie de la consommation avait mené en 2005 une expérience auprès de ménages polonais déclarant ne consommer que des yaourts produits par des firmes nationales. Le groupe français était cité parmi ces entreprises.

Nuancer la tendance

Il faut tout de même relativiser cette plus grande propension à acheter polonais en Pologne, ainsi que l’effet produit par les divers logos et slogans. D’abord parce que les déclarations ne sont pas toujours suivies d’effet. 70% des Polonais déclarent ainsi agir sous le coup de l’impulsion pendant leurs achats.

En outre, l’origine nationale du produit est loin d’être le seul critère de choix. Le prix reste déterminant, mais la qualité aussi doit être au rendez-vous. L’entreprise Oceanic participe aux actions de la Fondation Dajesz Prace mais, selon ses responsables, la raison première de sa réussite, comme de celle des autres producteurs de cosmétiques nationaux, est la conviction réelle des Polonaises quant à la qualité et l’efficacité des produits[4].

Les labels tels que Dajesz Prace sont donc avant tout des outils marketing destinés à attirer les clients et à façonner une tendance, malgré leur objectif social ou éducatif, par ailleurs jugé positif par certains (Dajesz Prace ferait réfléchir le consommateur aux conséquences de ses choix). La simple présence d’un logo n’est pourtant pas suffisante en soi. Le consommateur se comportant de façon rationnelle, il n’achètera pas un produit qui ne le satisfait pas, quand bien même il ferait là une bonne action. En outre, le marché est de plus en plus saturé de telles initiatives promotionnelles, d’où un risque de grande confusion dans les esprits. Enfin, il reste difficile d’évaluer l’impact réel de ce type d’initiative dans l’ensemble de la stratégie de communication d’une firme.

Toutes les entreprises polonaises ne souhaitent pas mettre en avant l’origine nationale de leurs produits. Ainsi l’entreprise Maspex, premier producteur de jus de fruits du pays, ou encore Agros Nova, leader national sur le marché des confitures et des conserves de fruits. Cette dernière juge ses clients suffisamment fidèles pour qu’elle n’ait pas besoin de s’engager dans des campagnes de promotion intenses. Quant aux firmes LPP et Gino Rossi, respectivement fabricants de vêtements (sous les marques Reserved et Cropp) et de chaussures, leur stratégie a justement consisté à donner l’impression d’être d’origine étrangère, ce qui dans leur domaine, et même si les choses sont en train d’évoluer, demeure associé à une qualité supérieure.

Les critères de choix varient certes selon les domaines d’activité, mais il faut reconnaître que la «polonité» d’un produit constitue de plus en plus souvent un gage de qualité. Reste à savoir si cela perdurera. Les pratiques d’achat évoluent en Pologne et tendent à se rapprocher de celles de l’Ouest. Les Polonais deviennent plus exigeants: les jeunes, notamment, sont plus sensibles au respect de l’environnement. Une conscience écologique se dessine, qui pourrait finalement prendre le dessus sur les questions de solidarité nationale.

 

Par Amélie BONNET

 

[1] Ainsi des entreprises comme Bonduelle ou Dr.Oetker (originaire d’Allemagne) utilisent-elles le signe Dajesz Prace sur certains de leurs produits.
[2] Règlement (CE) n°2826/2000 du Conseil, 19 décembre 2000.
[3] Adam Figiel, Etnocentryzm konsumencki. Produkty krajowe czy zagraniczne, Wydawnictwo PWE, 2003.
[4] En Pologne le marché des cosmétiques est détenu, pour sa grande majorité, par des marques nationales.

Sources :
www.dajeszprace.pl, www.terazpolska.pl, www.polskatimes.pl, www.polityka.pl,
www.pomorska.pl, www.gazetawyborcza.pl, www.gospodarka.gazeta.pl,
www.spozywka.net