Ancrages territoriaux bulgares en Loire-Atlantique: du soudeur naval de Saint-Nazaire au chauffeur routier d’Ancenis-Saint-Géréon

Le département de Loire-Atlantique héberge une population de plusieurs centaines de migrants économique bulgares, qui se sont installés dans ou à proximité de plusieurs localités - Saint-Nazaire, Nantes et Ancenis-Saint-Géréon - avec leurs familles.


Chantiers navals de Saint-NazaireLa libéralisation des visas entre l’Union européenne et la Bulgarie, entrée en vigueur le 10 avril 2001, a favorisé la mobilité géographique en direction de l’Europe de l’Ouest de nombreux ressortissants bulgares, désireux d’y trouver un emploi. En France, une grande partie de ces migrants a élu domicile en régions parisienne, lyonnaise, mais aussi à Strasbourg, dans le Bordelais, dans le Sud-Est ou en Occitanie.

Ils sont également présents en Loire-Atlantique depuis les années 2000, une implantation qui s’est progressivement accrue sans pour autant créer de tensions avec la population autochtone. Les nouveaux venus sont principalement des techniciens, des cadres ou des expatriés qui se sont adaptés aux besoins du marché du travail français, occupant des niches économiques spécifiques, techniques et spécialisées. Ils se sont installés dans trois régions distinctes du département, au gré des opportunités fournies par le marché local de l’emploi (secteurs d’activité des chantiers navals, de la construction, du transport de marchandises…), ainsi que des compétences qu’ils possédaient ou encore de parrainages communautaires (des personnes se portant garantes auprès de l’employeur) favorisant directement leur accès à l’emploi.

Construction et chantiers navals, les deux niches à l'origine de l'implantation nazairienne

Les premières arrivées de Bulgares à Saint-Nazaire datent de la première moitié des années 2000. Il s’agissait de Turcs bulgares originaires du district de Bourgas, travaillant clandestinement sur certains chantiers du secteur du bâtiment de l’agglomération. À partir de 2007, ces employés ont pu être régularisés, à la suite de l’adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne. Cette communauté turque bulgare a continué depuis à s'étoffer, de nombreuses familles faisant encore venir des proches et des connaissances et les employant ensuite en les déclarant(1). Mais il ne s’agit pas de la seule niche économique offrant localement des emplois aux ressortissants bulgares.

Le Chantier de construction STX, successeur des Chantiers de l’Atlantique, a été fondé à Saint-Nazaire en 2008. Dès sa création, l'entreprise a fait appel à des sous-traitants employant de la main-d'œuvre étrangère afin de maintenir des coûts de production compétitifs. Plusieurs travailleurs détachés bulgares ont ainsi été recrutés dès le mois d'août 2008. Mécontents de leurs conditions de travail, onze d'entre eux ont entamé une grève contre l'une de ces entreprises intermédiaires, Litana France SAS, dénonçant l’absence de congés payés et des salaires jugés trop faibles au regard de leurs qualifications. En 2009, un accord a fini par être trouvé dans cette affaire et les ouvriers ont pu regagner la Bulgarie avec une compensation financière.

Par la suite, la présence d'ouvriers sous-traitants n'a cessé de s'accroître, remplaçant une partie de la main-d'œuvre française. Un effectif de 2 à 3 000 ouvriers étrangers (des Européens de l’Est ou du Sud), employés par ces entreprises sous-traitantes, a travaillé sur les chantiers au cours des dernières années ; parmi eux, on trouve plusieurs centaines de Bulgares (employés pour partie par le sous-traitant ULA Ltd). Aux abords du chantier naval, on observe la présence de plusieurs dizaines de fourgonnettes de transport de personnes (type Transit, Vivaro…) immatriculées en Bulgarie et qui assurent la desserte entre les hôtels dortoirs et le chantier. Principalement originaires des villes portuaires de Varna et de Bourgas, la plupart d'entre eux travaillent sur le site en tant que soudeurs navals, HVAC (heating, ventilation and air-conditioning / chauffage, ventilation et climatisation), tuyauteurs, électriciens et monteurs. Si certains de ces ouvriers se sont installés en Loire-Atlantique avec leurs familles, d'autres ont choisi de faire des allers-retours entre Saint-Nazaire et la Bulgarie pour y retrouver leurs proches. Les épouses s’installant ont parfois réussi à se faire recruter en tant que femmes de ménage. Avec l'accroissement du nombre d'enfants, deux associations locales d'expatriés (Nadezhda et Rodna Retch) ont décidé de fonder des écoles bulgares à Saint-Nazaire – des projets toutefois perturbés par les confinements successifs liés au Covid.

Désormais, près de 400 personnes, familles ou hommes isolés, résident sur la commune ou dans les villes voisines, notamment à Guérande ou Saint-André-des-Eaux. Ils ne sont pas totalement dépaysés : grâce à l'épicerie bulgare de Saint-Nazaire, ils peuvent se procurer aisément des produits alimentaires traditionnels ; lors des élections bulgares, ils ouvrent ponctuellement une section de vote locale(2).

Une présence diffuse et discrète dans l'agglomération nantaise

Parmi les Bulgares de Nantes, on trouve des actifs appartenant à différents corps de métiers (cadres, informaticiens, commerçants...) et notamment d'anciens étudiants diplômés de l’université de Nantes au cours des vingt dernières années(3). Certains ont formé des couples mixtes, et une petite communauté s'est constituée autour d'eux, organisant ponctuellement des événements pour permettre aux expatriés de se retrouver. Ainsi, quelques dizaines d’expatriés s'étant réunis lors des festivités de Noël 2018 organisées par l’association bulgare locale dans les locaux de la Maison de l’Europe de Nantes, les organisatrices de l’événement, d'anciennes étudiantes désormais actives et mères de famille, ont eu l'idée de fonder une amicale. Ce projet s’est concrétisé en 2019, avec la création de l'Association franco-bulgare à Nantes, qui organise une vie associative centrée autour de la langue et de la culture bulgares (traditions, musique…) La crise sanitaire a perturbé son agenda et retardé son essor mais, dès octobre 2021, des ateliers mensuels d'initiation à la langue bulgare ont été mis en place. L'association, qui compte désormais une cinquantaine d'adhérents actifs, la plupart ayant fait leurs études en France, célèbre les principales fêtes (Baba Marta au printemps, Pâques ou Noël).

L’installation de chauffeurs routiers bulgares et de leurs familles en pays d’Ancenis

En 2008, la société anonyme BOMEX, implantée dans la commune de Saint-Géréon, près d’Ancenis, et spécialisée dans le transport routier de marchandises, a cherché à diversifier son activité en ouvrant une agence à Sofia en Bulgarie. La nouvelle structure a rapidement rempli son carnet de commandes en trouvant sur place une clientèle qui cherchait à exporter ses produits en Europe centrale et de l’Ouest. L’agence a recruté jusqu’à une quarantaine de chauffeurs bulgares qui traversaient régulièrement l'Europe, d'Est en Ouest (France, Allemagne, Italie et Espagne), avant de repartir en Europe de l’Est avec d’autres marchandises(4).

Pour l’employeur, embaucher ces chauffeurs bulgares s’est révélé très avantageux, pas seulement pour une raison financière (les salaires restent très bas en Bulgarie et la main-d’œuvre y est compétente), mais aussi en termes de disponibilité : les chauffeurs étaient prêts à partir sur la route un mois entier, ce qui était habituellement plus compliqué pour les chauffeurs occidentaux. La loyauté professionnelle de ces employés particulièrement souples a encouragé leur employeur à les aider dans leurs démarches administratives : entre 2014 et 2016, près d’une quarantaine de ces chauffeurs bulgares, désirant bénéficier des avantages accordés par un contrat de travail de droit français (notamment de la protection de la Sécurité sociale) sont ainsi venus travailler à Saint-Géréon dans l’entreprise BOMEX(5).

En 2016, BOMEX, en liquidation, a été rachetée par les Transports Garnier, entité qui a continué à employer des chauffeurs bulgares. Mais une partie des routiers arrivés avant 2016 a choisi de suivre un des anciens cadres de BOMEX, qui a fondé une entreprise concurrente, la société Rouxel, laquelle s’est implantée à Ancenis, près de Saint-Géréon. Désormais, près d’une vingtaine de chauffeurs bulgares y travaillent. Ils ont suivi les cours de français payés par leur employeur et bénéficié de l’accompagnement de l’entreprise pour leurs démarches administratives, ce qui a contribué à renforcer leur intégration sociale. Comme leurs collègues de l’entreprise Garnier, ils se sont progressivement installés avec leurs familles dans la région (Ancenis, Saint-Mars-la-Jaille, Pannecé, Couffé, Belligné…), où ils ont acheté des maisons. Il s’agit principalement de ressortissants bulgares originaires des districts de Pazardzhik, Plovdiv et, dans une moindre mesure, de Veliko Tarnovo et Roussé. Cette présence a été mise en évidence lors des élections législatives et présidentielle bulgares de 2021, car les expatriés ont demandé et obtenu l’ouverture d’une section de vote lors de ces scrutins : ainsi, 67 électeurs bulgares s’y sont présentés, moins qu’à Saint-Nazaire mais plus qu’à Nantes (où 33 électeurs ont voté)(6).

La migration économique bulgare se poursuit en Loire-Atlantique, comme ailleurs en France, et les besoins sur les chantiers navals, dans le secteur de la construction et du transport routier offrent et devraient offrir encore de nombreuses opportunités de travail pour les candidats à l’expatriation au cours des prochaines années.

 

Notes :

(1) Entretiens avec une syndicaliste des Chantiers STX, une ancienne employée bulgare du chantier, une interprète évoluant auprès de la communauté bulgare et un membre de l'association d’expatriés Rodna Retch. Visite des chantiers près desquels sont stationnés des microbus immatriculés en Bulgarie et réalisant quotidiennement des navettes pour conduire les ouvriers de leur lieu de vie au travail.

(2) Glasuvam.org (liste électorale) et procès-verbal n° 326200755 dressés par la section électorale de Saint-Nazaire et validés par la Commission centrale électorale (portail cik.bg).

(3) Entretien avec trois membres du bureau de l'association, franco-bulgare de Nantes ainsi qu'avec une interprète de la communauté.

(4) Entretiens avec un ancien cadre de BOMEX, un élu local et un employé bulgare d'une entreprise de transport routier ; déplacements sur le site de l’entreprise Garnier entre le 25 août 2021 et le 13 janvier 2022 ; observation à Ancenis-Saint-Géréon, veille sur les réseaux sociaux.

(5) L’agence sise à Sofia a été fondée par BOMEX mais est distincte de cette société. Aussi, les employés ont été tour à tour employés par l’entreprise bulgare (remplissant des commandes passées par BOMEX, le donneur d'ordre) puis par BOMEX directement une fois salariés en France avec des contrats de droit français. On ne peut donc pas parler stricto sensu de travail détaché. Il s’agirait plutôt d’un transfert d’employé et de compétences entre une maison mère et une de ses filiales.

(6) Procès-verbaux n° 326200743 dressé par la section électorale d’Ancenis-Saint-Gédéon et n° 326200751 établi par la section électorale de Nantes ; validés par la Commission centrale électorale (portail cik.bg).

 

Vignette : Chantiers de Saint-Nazaire (© Stéphan Altasserre).

 

* Stéphan Altasserre est docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.

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