La Serbie, une des six ex-républiques yougoslaves situées au cœur de la péninsule balkanique, a traversé depuis plus de deux décennies de multiples crises, à la fois politiques et économiques, qui lui ont valu la réputation de « poudrière des Balkans »(1), « pays le plus inégalitaire d’Europe » et bien d’autres qualificatifs. Sa transition économique, entamée en 1989 dans un contexte politique et économique désastreux, a été perturbée, voire bloquée, à maintes reprises tout au long des années 1990, plongeant le pays dans une profonde récession. Les séquelles persistent encore 30 ans après. La transition serbe a certes été relancée en 2000 avec la chute du régime de Slobodan Milošević, toutefois elle a été retardée et interrompue par de nombreux facteurs endogènes (assassinat de Zoran Đinđić en 2003 ; indépendance du Kosovo en 2008) et exogènes (crise des subprimes en 2008 ; Covid-19 en 2020). En effet, malgré ses aspirations européennes, l’entrée en vigueur de l’Accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’Union européenne en 2013 et la progressive sortie de la récession, l’économie serbe a connu un coup d’arrêt brutal en mars 2020, avec la pandémie de Covid-19. La gravité de la récession ainsi que l’état d’urgence national ont pu toutefois être atténués grâce aux multiples aides matérielles et financières internationales, permettant au pays de garder la tête hors de l’eau.
Sauvetage en haute mer
Frappée de plein fouet par la vague de Covid-19 et les mesures de confinement, la Serbie a connu dès mars 2020 des turbulences macro et micro-économiques significatives.
Primo, sur le plan macroéconomique, elle a subi une chute brutale de son Produit intérieur brut (PIB), passé de 4,2 % en 2019 à -1 % en 2020. Face au marasme économique, aux licenciements et aux mesures de confinement, le gouvernement serbe a mis en place une série de mesures économiques et sociales visant à amortir le choc récessionniste, au prix d’une hausse conséquente de la dette publique : celle-ci est en effet passée de 52 à 55 % du PIB en l’espace de quelques mois de 2020, justifiée par l’état d’urgence sanitaire et la hausse des dépenses de soins. Toutefois, grâce à une politique monétaire prudente, le taux d’inflation est resté stable (en moyenne 3 %) et des mesures fiscales de soutien ont permis aux ménages de conserver leur pouvoir d’achat et aux entreprises d’éviter les licenciements. Par conséquent, le taux de chômage en 2020 est globalement resté stable (9,7 %) avant de grimper à 12,8 % au deuxième trimestre 2021.
Secundo, sur le plan social, les principales mesures économiques ont eu pour objectif de soutenir les secteurs en difficulté et d’en amortir les coûts sociaux. Parmi les mesures les plus pertinentes, on peut retenir une hausse de 10 % des salaires du personnel médical dans le secteur public (13 Mds de dinars serbes, soit 110 millions d’euros), une aide financière de 4 000 RSD (soit 34 €) attribuée aux retraités serbes (7 Mds RSD, soit 59 M €), une aide financière de l’équivalent de 100 € destinée à tout citoyen serbe majeur (71 Mds RSD), un moratoire sur le remboursement des prêts, les cotisations patronales et les impôts sur le revenu et sur les sociétés pendant trois mois. Cette panoplie de mesures a été renforcée par une multitude de subventions salariales, dont le versement du revenu minimal aux employés des PME et aux entrepreneurs, et ce pendant trois mois. Cette mesure exceptionnelle a concerné plus de 900 000 personnes et a coûté 93 Mds de RSD (790 M €). Ces mesures de soutien ont été réitérées à plusieurs reprises, notamment en juillet, août et novembre 2020, afin de faire face aux nouvelles vagues de pandémie et aux difficultés économiques. En conséquence, la demande de crédit a connu une hausse exponentielle et est restée soutenue sur toute la période.
Afin de préserver la stabilité financière et d’assurer des liquidités aux banques, la Banque Nationale de Serbie (BNS) a mis en place un moratoire sur les prêts et le crédit-bail financier pendant plusieurs mois, évitant ainsi des faillites en cascade. Les conditions d’accès aux financements sont restées attractives, la BNS ayant garanti 41 milliards de liquidité en RSD (348 M €) et 96 millions de liquidité en euros. De surcroît, le taux directeur a beaucoup évolué, passant de 2,25 % en mars 2020 à 1 % en décembre 2020. Il est pertinent de souligner que l’activité économique n’a pas été impactée de la même manière par la Covid-19, certains secteurs se révélant moins résilients que d’autres. À titre d’illustration, l’activité industrielle a baissé de 12 % sur les six premiers mois de 2020, avant de connaître un rebond significatif. En raison des différentes mesures de confinement(2), le secteur tertiaire a, quant à lui, connu une forte contraction sur les deux premiers trimestres 2020 : c’est le cas en particulier du secteur des loisirs, qui s’est contracté de 14,6 %, ainsi que du commerce de gros et de détail. Enfin, les exportations et les importations ont chuté significativement (20 %) du fait de la fermeture des frontières et de la mise à l’arrêt du commerce international. Certains secteurs, tels que la construction, ont toutefois été plus résilients.
La tête hors de l’eau
L’ensemble de ces mesures a permis à la Serbie de sortir rapidement de la récession et de se relever. L’économie serbe a ainsi connu une hausse de 1,8 % du PIB réel au premier trimestre 2021, suivie d’une hausse de 13,7 % au deuxième trimestre. Les experts internationaux y voient un signal positif pour la reprise économique serbe et tablent sur une croissance moyenne de 5 % du PIB d’ici la fin de 2021.
Toutefois, la pandémie a fragilisé le système économique serbe, notamment les institutions qui ont été la proie d’activités accrues de corruption, de blanchiment d’argent et ont orchestré le recul de l’État de droit et des libertés fondamentales par l’adoption des mesures d’état d’urgence sanitaire. Il y a eu un ralentissement considérable de la transition économique et politique de la Serbie et, de facto, un retard significatif de ses progrès sur le champ de l’acquis communautaire. À long terme, on peut se questionner sur un potentiel retour de la crise économique une fois que les dispositifs d’aides aux particuliers et entreprises auront pris fin.
Enfin, il est important de souligner que les différents programmes de soutien à l’économie ont pu voir le jour grâce aux aides et prêts des institutions internationales – acteurs stratégiques dans le sauvetage de l’économie serbe.
L’aide internationale comme amortisseur de chocs
Face à la gravité de la situation économique, la communauté internationale, et notamment l’Union européenne (UE), ont su apporter un soutien non négligeable à la Serbie sous formes de prêts, de dons (matériel médical) et de moyens humains (médecins, experts médicaux) afin de contribuer à l’effort national de lutte contre la Covid-19 et ainsi éviter un ébranlement de l’économie.
Cette aide a pris différentes formes, parmi lesquelles en premier lieu 200 M € de prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI). Cette première tranche d’aide a été versée dès le début de la pandémie, avec des conditions souples et préférentielles permettant à la Serbie de venir au secours des PME dès le premier confinement et les signes d’arrêt d’activité. Cette aide a été complétée par différents prêts destinés à la relance économique, avoisinant 380 M € entre mars 2020 et juillet 2021. Face à des dépenses publiques colossales et à la récession serbe, le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) a mis en place une série de mesures complémentaires destinées aux Balkans occidentaux dès 2020. Ces mesures ont pris la forme d’un Plan économique et d’investissement pour les Balkans occidentaux, auquel la Serbie est éligible, permettant de mobiliser 93 M € dès mars 2020 et d’envoyer sur place du matériel médical et du personnel soignant. Impliquant les agences onusiennes (UNDP, UNOPS) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce plan prévoit la mobilisation de 9 Mds € d’aides destinées à la relance des Balkans occidentaux post-Covid. Il vise notamment à soutenir le secteur des transports, de l’énergie, la transition écologique et numérique mais également la croissance durable et l’emploi. Ces efforts vont de pair avec l’Agenda Vert de l’UE, permettant aux pays candidats de se mettre en conformité avec les exigences européennes en termes d’écologie et de processus afférents.
Par ailleurs, le statut de pays candidat a valu à la Serbie de bénéficier du soutien financier de la « Team Europe » (Support Package) mobilisant 1,7 Md € pour les Balkans occidentaux. En outre, une enveloppe de 100 M € de la Banque mondiale s’ajoute aux différents prêts et aides destinés à la Serbie. Ainsi, la Serbie a pu mettre en place, depuis le début de la pandémie, trois programmes de soutien économique avoisinant les 8 Mds €, représentant 17,4 % du PIB, afin d’amortir les impacts de la récession, de soutenir l’activité économique et de poser les jalons de la reprise.
En outre, du fait de son emplacement géographique (carrefour entre l’Est et l’Ouest) et de son passé de pays non-aligné, la Serbie a également pu bénéficier de soutiens (financements, dons de matériels) de la part de la Russie, de la Chine et des États-Unis. Il est difficile d’en chiffrer le montant avec exactitude. Enfin, la Serbie s’est distinguée d’autres pays en matière de « diplomatie vaccinale » : elle fait ainsi partie des rares pays qui ont pu bénéficier assez rapidement de tous les vaccins disponibles sur la scène internationale (contrairement à ses homologues européens), permettant un amortissement du choc récessionniste et des coûts sociaux.
Summa summarum, les efforts internationaux ont certes contribué de manière considérable à la relance économique de la Serbie. Toutefois, de nombreux obstacles restent à surmonter dans les années à venir, nécessitant des institutions fortes et des politiques publiques prudentes. À défaut, la Serbie risquerait de connaître une hausse de l’inflation, laquelle pourrait entraîner un cercle vicieux de baisse de l’investissement, hausse du chômage, baisse du pouvoir d’achat de la population et, par conséquent, entraîner une nouvelle une crise économique et sociale.
Notes :
(1) A.G. « La poudrière des Balkans sera-t-elle le terreau de la prochaine crise de l'Europe ? », Les Échos, 27 juillet 2017.
(2) Les principales mesures sur la période mars 2020 – mai 2020 ont été : arrêt des transports en commun; fermeture des écoles, lycées et universités ; interdiction de déplacement des personnes à risque et des personnes ayant plus de 65 ans pendant plusieurs semaines ; couvre-feu national de 20h au lendemain 05h du matin ; fermeture anticipée des établissements recevant du public ; fermeture des frontières ; quatorzaine obligatoire pour toute personne entrant sur le territoire (élargie par la suite à 28 jours) ; télétravail pour les métiers le permettant ; interdiction de déplacement entre le vendredi 17h et le lundi 05h du matin.
Références bibliographiques :
- « Serbia: EU supports doctors and medical staff to face second peak of health crisis », European Union External Action Service, 23 octobre 2020.
- Gordana Kovacevic, « Serbia: Team Europe - EIB provides €200 million to Development Fund of Serbia to support faster COVID-19 recovery of Serbian SMEs and mid-caps », European Investment Bank, 30 juin 2021.
- « Policy responses to COVID-19 », International Monetary Fund, 2 juillet 2021.
- « COVID-19 – odgovor Narodne banke Srbije » (Covid-19 – la réponse de la Banque Nationale de Serbie), Narodna Banka Srbije, 14 décembre 2020.
- « Impact of COVID-19 in Serbia », in Multi-dimensional Review of the Western Balkans: Assessing Opportunities and Constraints », Organisation for Economic Cooperation and Development, 10 juin 2021.
Vignette : Bâtiment de l’Assemblée nationale à Belgrade (photo : © Jelena Jokic).
* Jelena JOKIC est doctorante en économie auprès du Centre de Recherche Europes-Eurasie (CREE) de l’INALCO.