Après la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, les anciens pays communistes d’Europe centrale et orientale ont connu de profonds bouleversements, les conduisant à chercher de nouveaux repères, au sein des structures européennes et euro-atlantiques. Si l’ancien régime bulgare mené par le président Todor Jivkov était moins répressif et extrémiste que dans la plupart des autres pays d’Europe Centrale et Orientale, la Bulgarie a cependant subi une rude transition après la chute du communisme, son économie passée reposant à plus de 80 % sur le C.A.E.M(1) et sur ses liens avec la Russie.
En effet, le pays était alors complètement lié à l’Union Soviétique par le Pacte de Varsovie, que ce soit dans les domaines de l’économie, de la défense, de la politique intérieure et extérieure, ce qui l’a amené à être longtemps écarté des sympathies exprimées par les Etats européens occidentaux à ses voisins de l’Est. Les pays d’Europe centrale et orientale se sont toujours sentis avant tout “européens”, et c’est dans ce contexte que la Bulgarie a commencé ses démarches d’intégration à l’UE et à l’OTAN, afin d’adopter leurs valeurs de démocratie et d’économie de marché.
Le bilan que l’on peut dresser aujourd’hui, depuis la chute de l’ancien régime, ne répond malheureusement pas encore aux attentes de la population. Tout le fonctionnement artificiel mis en place s’étant écroulé brutalement, le peuple bulgare a recherché de nouveaux repères; mais il est difficile de garder courage et espoir lorsque les magasins alimentaires affichent des rayons vides, ou que l’on ne peut plus payer son électricité ou son chauffage. Ainsi, les personnes retraitées ne peuvent subvenir à leurs besoins qu’avec l’aide de leurs proches, mais ceux-ci préfèrent le plus souvent fuir vers une vie meilleure en Occident...
C’est dans ces conditions de vie extrêmement difficiles que le peuple a dû apprendre à s’adapter à l’Etat de droit, découvrant la liberté de choisir ses dirigeants politiques, d’être informé par une presse indépendante, ou encore de s’exprimer sans craindre la délation de son voisin.
Aujourd’hui, la Bulgarie dépend beaucoup des aides internationales que lui concèdent les institutions internationales et européennes (F.M.I, Banque Mondiale, B.E.I, programme PHARE, B.E.R.D), notamment afin de procéder aux réformes nécessaires pour l’adhésion à l’UE. En 1997 et 1998, plus de 1,4 milliards de dollars ont été accordés au pays.
L’émergence d’une nouvelle politique bulgare
En novembre 1989, après la chute du mur de Berlin, un coup d’Etat a permis au communiste Petar Mladenov d’accéder à la présidence ; des manifestations de masse ont débuté à Sofia, donnant naissance à l’UFD (Union des Forces Démocratiques, rassemblant à l’origine les groupes opposés au gouvernement). Le Parti Communiste bulgare s’est renommé Parti Socialiste Bulgare (BSP) et a commencé à engager des pourparlers avec l’opposition naissante.
Les sept années suivantes ont été marquées par une forte instabilité politique. En effet, huit gouvernements se sont succédés en huit ans : le gouvernement BSP de Loukanov début 1990, en coalition avec le nouveau Président Jeliou Jelev élu en juillet 1990 ; le gouvernement d’experts UFD-BSP-Union Agraire de Dimitor Popov, qui adopta une nouvelle Constitution en juillet 1991 avec l’instauration d’un système multipartiste et des élections libres; un gouvernement de “centre-droite” UFD-MDL (Mouvement des Droits et Libertés), auquel succéda en 1992 un gouvernement de coalition UFD-BSP-MDL en désaccord avec le Président Jelev, ce qui permit à la gauche de revenir au pouvoir avec le gouvernement BSP-BBB (Business Bloc Bulgare) de Jan Videnov en décembre 1994.
Ce dernier fut cependant contraint à démissionner suite à la très lourde crise économique de 1996-1997 et aux violentes manifestations de janvier 1997 qui étaient critiquaient le “retour en arrière” des socialistes ainsi que leur réticence à entreprendre les réformes économiques nécessaires. Le gouvernement de service UFD de Stefan Sofianski (actuel maire de Sofia) réinstalla la stabilité et s’efforça de restaurer l’économie, tout en luttant contre les fléaux du crime et de la corruption. Les élections d’avril 1997 confirmèrent la victoire de l’UFD avec la mise en place du gouvernement d’Ivan Kostov, actuellement au pouvoir. Ces changements ont engendré de graves hésitations dans la politique bulgare mais, depuis l’élection du démocrate Petar Stoïanov à la Présidence de la République, le 22 mai 1997, une stabilisation semble s’être produite en Bulgarie, l’espoir social a resurgi, un consensus pour l’intégration à l’UE a été trouvé.
L’espoir pour l’avenir : l’intégration à l’UE
Les démarches de la Bulgarie afin d’adhérer à l’Union Européenne ont débuté dès 1989. Leur aboutissement est devenu aujourd’hui l’objectif premier et passe par la volonté d’accroître les échanges avec les pays européens. Cet espoir guide la politique du gouvernement et permet à la population de supporter les difficultés économiques du pays. Les récents événements au Kosovo voisin, ont ravivé la flamme de l’espérance.
Les étapes
Un accord d’association a été conclu avec l’UE le 1er mars 1993, entré en vigueur en février 1995. La demande officielle d’adhésion de la Bulgarie a été déposée le 14 décembre 1995. En juin 1993, le Conseil Européen de Copenhague a approuvé le principe de l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale, en imposant toutefois aux pays candidats certaines conditions préalables (2). La Commission soumet ses opinions sur la préparation des candidats à l’adhésion sur la base de ces critères.
En décembre 1997, le Conseil Européen de Luxembourg a arrêté l’Agenda 2000 élaboré par la Commission pour les pays candidats, qui consiste en une stratégie de pré-adhésion renforcée ayant deux objectifs principaux: réunir toutes les différentes formes de soutien de l’UE dans un seul et unique document, le “Partenariat pour l’adhésion”, et travailler ensemble avec les candidats à travers ce partenariat, sur un programme clairement défini afin de préparer l’adhésion.
En 1997, le Conseil européen a séparé les pays candidats à l’adhésion en deux vagues, cinq d’entre eux ayant été classés “momentanément” dans une deuxième vague d’adhésion, dont la Bulgarie. Le pays a alors été profondément déçu d’être associé à cette seconde zone, se sentant ainsi mis à l’écart de l’Organisation européenne. En mars 1998, la Bulgarie a adopté une stratégie pour l’adhésion à l’UE ainsi qu’un programme national d’adoption de l’acquis communautaire (3).
Fin 1998, le premier rapport régulier sur les progrès accomplis par la Bulgarie dans la réalisation des critères de Copenhague a été publié. Selon ce rapport, la Bulgarie remplissait alors les critères politiques de Copenhague et serait en mesure d’assumer ses obligations découlant de l’adhésion si la transposition de l’acquis se poursuit au même rythme. Cependant, le pays devait encore accomplir certains efforts dans la lutte contre la corruption, la réforme de l’administration judiciaire, le renforcement des institutions (...). Le 1er juillet 1999, la Bulgarie a fait parvenir sa contribution au rapport régulier devant être adopté par la Commission en octobre, afin d’être soumis à l’appréciation du Conseil européen à sa prochaine réunion à Helsinki cet automne.
Elle indique, outre le fait que les événements récents dans la région (Kosovo) renforcent le désir du pays d’intégrer au plus vite les structures d’une Europe stable et prospère, que les priorités à court terme du Partenariat pour l’adhésion sont désormais remplies et qu’un grand pas a été franchi vers la réalisation des priorités à moyen terme; par ailleurs, près de 50 % de l’acquis communautaire est désormais incorporé dans la législation bulgare, et si les privatisations sont le seul problème majeur subsistant en théorie, le processus de leur réalisation est désormais sérieusement engagé.
La Commission européenne doit donc désormais préparer son rapport, dans lequel elle soumettra au Conseil des Ministres sa position sur les avancées de la Bulgarie vers l’adhésion.
Bouleversements et consolidation de la position bulgare en 1999
La “première guerre de l’OTAN”(4) devait forcément avoir des répercussions politiques et économiques sur les pays voisins de la Serbie qui, comme la Bulgarie, aspirent à adopter le «modèle occidental» . En effet, cette guerre a notamment fait perdre à la Bulgarie 200 à 400 millions de dollars d’investissements (5).
Cet épisode de l’histoire a involontairement servi de test à la politique étrangère de la Bulgarie, qui s’est alors retrouvée face à deux options: soit le pays soutenait son voisin des Balkans et refusait son aide à l’OTAN, comme le souhaitait une partie de l’opposition, soit il montrait son soutien actif à cette Organisation, option choisie par le gouvernement, même s’il s’avérait que 70 % de la population bulgare était contre la guerre, “mais pas pour autant contre l’OTAN”(6) .
Selon Mme Benicheva, vice-présidente du département d’intégration à l’UE au Ministère des Affaires Etrangères bulgare, “si cette guerre a coûté plus cher à l’UE que l’intégration, elle lui aura au moins permis de s’apercevoir que les problèmes des Balkans ne peuvent être résolus que par l’intégration”. Après cette crise, l’UE a pris conscience qu’elle devait accorder plus d’attention à cette région pluriethnique où des crises économiques conséquentes risquent à tout moment d’engendrer de nouveaux conflits. C’est la raison pour laquelle a été préparé un “Pacte de stabilisation pour l’Europe du sud-est” endossé par l’UE et réunissant les pays balkaniques ayant tous vocation à adhérer à l’UE. On se souviendra du Pacte comme d’une promesse faite à ces Etats de leur ouvrir “la perspective d’un rapprochement avec l’UE” (7).
Le journal bulgare “vingt quatre heures” annonça même: “la Bulgarie a fait son plus important pas euro-atlantique. Le pays attend une récompense à l’occasion du sommet d’Helsinki en décembre, par une invitation à commencer les négociations pour l’adhésion.”(8). Et le Premier Ministre bulgare, à l’occasion d’un discours devant l’Assemblée Nationale le 22 juin 1999 durant lequel il critiquait “la peur du BSP et de l’Eurogauche face à cet examen européen”, de conclure: “Nous sommes sortis de la crise avec une Bulgarie européenne.”Conjoncture actuelle
En août 1999, l’un des derniers symboles communistes de Sofia, le Mozolet, a été démoli par décision de l’UFD, et ce, malgré de nombreuses critiques : un nouveau pas vers l’oubli du passé a ainsi été franchi...
La Bulgarie ne veut plus être classée, comme la Roumanie actuellement très en retard dans sa préparation à l’adhésion, au rang des pays de la “deuxième vague”. Le pays dans son ensemble espère que le rapport de la Commission européenne sur les progrès accomplis vers la voie de l'adhésion sera positif, incitant le Conseil européen d'Helsinki, en décembre 1999, à décider de l'ouverture des négociations pour l'adhésion, étape ultime à laquelle ont déjà accédé les pays de la "première vague". Mais la Commission européenne semble estimer que le pays n'est toujours pas prêt au regard des critères de Copenhague (privatisations insuffisantes, absence d'institutions administratives stables...) (9)
Quoi qu'il en soit, la décision finale sera politique, seul le Conseil des ministres pourra inviter le pays à commencer les négociations, en se fondant ou non sur les recommandations à un niveau purement technique de la Commission. Selon divers députés interrogés au Parlement bulgare, sans un signe positif du Conseil européen, l'avenir entier de la région pourrait être remis en cause...
Par Caroline MORIN
Vignette : le Président Jeliou Jelev (Vassia Atanassova, CC BY-SA 3.0)
(1) Le Conseil d’Assistance Economique Mutuelle était l’organisation économique liant les différentes économies nationales communistes de l’Europe centrale et orientale fondées sur les principes du monopole de l’Etat sur la propriété et sur la gestion bureaucratique de la nomenklatura du Parti Communiste. La R.D.A. s’en est retirée dès la chute du mur de Berlin, suivie par la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie (en 1991) puis la Roumanie.
(2) Les conditions imposées par le Conseil de Copenhague: disposer d’institutions stables garantissant la démocratie (droits de l’homme, respect des minorités...), assurer la primauté du droit, avoir une économie de marché viable, la capacité d’assumer ses obligations face aux objectifs d’une Union politique, économique et monétaire et la reprise de l’acquis communautaire, ce qui comprend non seulement son incorporation mais aussi son application.
(3) L’acquis communautaire: ensemble des décisions, règlements (...) européens devant être incorporés, mais aussi appliqués par les pays candidats à l’adhésion.
(4) Formule d’Ignacio Ramonet, Le Monde diplomatique - juin 1999.
(5) Estimations du F.M.I. et de la Banque Mondiale.
(6) Propos de M. Chalev, expert dans la direction “OTAN, UEO et questions de sécurité” au Ministère des Affaires Etrangères bulgare.
(7) Formule de Mme Calic, Le Monde diplomatique - juillet 1999 “Européaniser l’autre Europe”.
(8) Journal 24 heures daté du 12 juin 1999.
(9) Position soutenue par Mme Benicheva, conseillère de la Délégation de la Commission Européenne à Sofia.