Bulgarie : les mobilités contemporaines des volleyeurs en Europe

Au cours des cinq dernières décennies, les Bulgares ont souvent compté parmi les internationaux de volley-ball les plus mobiles, s’installant durablement à l’étranger dans des clubs en particulier italiens et français, où ils ont fait reconnaître leurs qualités de jeu.


Balle volleyLe recrutement des volleyeurs bulgares par des clubs étrangers est un phénomène ancien. À notre connaissance, Boris Zahariev fut le premier à être ainsi recruté par le Minelli Modena, dès 1948. Les années 1970 ont marqué une deuxième étape : le recrutement de quelques joueurs bulgares par des clubs italiens est alors devenu acceptable par le régime, qui y voyait une vitrine pour valoriser « l’homme socialiste ». Plusieurs de ces sportifs y passeront quelques saisons, donnant entière satisfaction à leurs recruteurs. Puis, avec le retour aux mobilités Est-Ouest à partir de 1989, d’autres équipes des championnats européens profiteront des compétences, de la pugnacité et de l’endurance de ces joueurs bulgares. Aujourd’hui, ils continuent à démontrer leurs qualités techniques, satisfaisant à la fois les clubs recruteurs, leurs équipiers et leur public.

Premières mobilités en Italie sous le socialisme (1948-1989)

Au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, le volley-ball fut l’une des disciplines sportives fortement valorisées par les régimes politiques socialistes d’Europe de l’Est du fait des valeurs portées par l’idéologie communiste (sens du collectif, discipline...) De plus, ce sport était facilement praticable par les deux sexes (l’entraînement étant en grande partie axé sur la tonicité, la coordination et l’équilibre) et peu dangereux (entraînant ainsi moins de blessures). Cette vision a largement participé à son développement dans les établissements scolaires bulgares, ce qui a permis de sélectionner très tôt les meilleurs éléments et de les former. C’est ainsi que l’équipe nationale a pu accueillir en son sein d’excellents joueurs qui lui ont permis de briller sur la scène sportive internationale (finaliste au championnat du monde en 1970, 4ème puis finaliste au JO respectivement de 1972 puis de 1980).

Ces performances ont participé à l’excellente réputation des joueurs bulgares. Cette réussite sportive fut concomitante d’une forme de détente dans les relations entre Sofia et Rome, une évolution liée au rapport privilégié entretenu entre le puissant Parti communiste italien (PCI) et l’État bulgare. Ce contexte permit à deux joueurs bulgares, Petar Kratchmarov et Vasil Simov, de s’expatrier dans les clubs italiens de Catane (Pallavolo Catania) et de Rome (Buscaglione Roma) dès 1970. Ces départs ont rapidement été suivis par d’autres, et cette présence hors des frontières s’est accrue jusqu’à atteindre un pic de 14 volleyeurs bulgares expatriés en 1985(1).

La professionnalisation des agents de joueurs en Italie au début des années 1980 a ensuite favorisé le développement du marché de recrutement de sportifs. Quelques observateurs soupçonnent la mafia italienne d’avoir également joué un rôle dans l’organisation de certains de ces transferts, car ce type d’opérations était parfois utilisé pour blanchir l’argent d’une partie de ses activités criminelles(2). Il n’y a pas de preuves formelles incriminant les joueurs ou les clubs bulgares dans ce type de pratiques et il est utile de rappeler que le PCI était à l’époque en guerre ouverte contre la mafia. 31 des 32 volleyeurs bulgares ayant joué à l’étranger entre 1948 et 1989 ont exclusivement évolué dans le championnat italien, ce qui montre l’importance des liens établis entre les deux fédérations sportives nationales. Cette relation allait se poursuivre au cours des décennies suivantes.

Un changement de génération et de nouvelles destinations

Cinq volleyeurs bulgares (Assen Galabinov, Petjo Draghiev, Evgenio Guentchev, Borislav Kyosev et Petko Petkov) ont vécu la chute du régime à l’étranger, en Italie, et un sixième (Ivan Severinov), qui avait connu une première expérience d’expatriation professionnelle en Italie en 1984, y est retourné entre 1990 et 1992.

Puis une nouvelle génération de sportifs a diversifié ces options de départ : en effet, si le championnat italien demeurait attractif, il n’était plus le seul à l’être, car des clubs français (permettant d’accéder à la sécurité de l’emploi avec des contrats de travail dont la rupture est sévèrement encadrée) mais aussi, dans une moindre mesure, grecs ou turcs, souhaitaient eux aussi recruter des internationaux bulgares, contrats mieux rémunérés à l’appui.

Dès 1990, ces mobilités ont par ailleurs cessé d’être exclusivement masculines : quelques volleyeuses bulgares ont en effet aussi tenté leur chance en France, notamment à Lyon, Francheville et Huningue(3). Elles s’y sont rapidement distinguées, démontrant leur technicité et leur pugnacité sur le terrain. Les recrutements de volleyeuses se sont dès lors multipliés et, à la fin des années 1990, une douzaine de ces internationales évoluaient régulièrement dans le championnat français.

Deux décennies d’expatriation sur cinq continents (2000/2020) 

Au cours des deux décennies suivantes, les volleyeurs et volleyeuses bulgares ont fait davantage carrière à l’étranger(3), moyen pour eux non seulement d’obtenir des contrats mieux rémunérés mais aussi de briller dans des championnats européens qui leur offraient une visibilité mondiale. Le nombre d’expatriation s’est donc accru régulièrement (4).

Par ailleurs, à partir de la fin des années 1990, on a constaté l’enchaînement quasi-systématique de ces mobilités (sans retour dans les clubs bulgares) et l’allongement significatif de leur durée. Les sportifs ont souvent résidé durant plus d’une décennie à l’étranger. Cette expatriation longue est observée tant parmi les volleyeurs (Svetoslav Angelov – 1999/2022, Nedyalko Delchev – 2000/2020, Ivaylo Barutov – 2001/2014, Mateï Kaziiski – 2005/2022...) que parmi les volleyeuses (Elena Koleva – 2000/2020, Mariya Filipova – 2003/2017, Strashimira Filipova – 2005/2020 …)(1). L’évolution de ces carrières conduit une part croissante des sportifs à s’installer de manière permanente dans leur pays d’accueil. En France, c’est le cas de Krimina (Beltcheva) et Igor Yotov, implantés à Tulle, ou de Rusena Slancheva et de Radoslav Arsov, qui vivent à Nancy. En Italie, nous retrouvons Nedyalko Delchev installé à Prata du Pordenone et Yordan Galabinov près de la commune de Pontedera. Ceux qui se sédentarisent finissent généralement par envisager la naturalisation.

À partir de 2011, le nombre de joueuses s’expatriant a dépassé celui de leurs collègues masculins (64 femmes pour 60 hommes). Cette tendance, qui s’explique par une prise de conscience de la part des intéressées (opportunité de remporter des titres, visibilité internationale, valorisation du CV), s’est maintenue sur l’ensemble de la dernière décennie. En France, quelques-unes ont évolué dans des équipes qui dominent le championnat national (RC Cannes, AS Béziers Volley, ASPTT Mulhouse, Saint-Raphaël, Le Cannet). D’autres ont opté pour des équipes italiennes, dont certaines brillent dans les grandes rencontres internationales (Imoco Volley Conegliano a été championne du monde en 2019, Pomì Casalmaggiore - vice-championne du monde en 2016, Norda Foppapedretti Bergamo 3ème de ce championnat en 2010). Ces joueuses sont souvent sélectionnées au sein de l’équipe nationale bulgare (Gergana Dimitrova, Youlya Stoyanova, Dobriana Rabadjieva, Eva Yaneva...) et peuvent ainsi être sur le devant de la scène nationale comme de leur pays d’accueil, une double satisfaction pour elles. À partir du début des années 2010, leur réputation est établie grâce au talent et au jeu développé sur le terrain par la génération précédente ; les coachs leur font rapidement confiance et se reposent davantage sur elles.

Dernière évolution remarquable, l’ensemble des volleyeurs des deux sexes ne sont plus seulement recrutés par les clubs européens et turcs. Désormais, les hommes intègrent régulièrement des équipes russes ou iraniennes et les femmes rejoignent fréquemment des clubs azéris (Azerrail Baku, VK Lokomotiv Baku, Rabita Baku, Igtisadchi Baku) ou états-uniens, surtout au cours de la dernière décennie. C’est une des conséquences de la crise financière de 2008 qui a eu pour conséquence de diminuer les trésoreries des clubs italiens qui accueillaient jusque-là beaucoup de joueurs bulgares. L’Europe reste toutefois le principal marché sportif sur lequel on se dispute nombre de ces joueurs talentueux. Après la France et l’Italie, des pays comme la Suisse, l’Allemagne ou l’Espagne recrutent certains d’entre eux. Très récemment, c’est souvent en Roumanie (CSM et Dinamo Bucarest, Medicina Târgu Mureş, CS Știința Bacău) et, dans une moindre mesure, en Grèce, à Chypre, en Hongrie et en Pologne que les volleyeuses ont pu bénéficier de contrats. Il est probable que les liens avec les pays voisins et l’ancien bloc de l’Est restent prégnants et jouent un rôle dans la géographie des recrutements. Enfin, même si elle peut apparaître plus anecdotique, on trouve aussi la présence de ces joueurs en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique.

Ainsi, le retour des mobilités Est-Ouest a considérablement favorisé le recrutement international des volleyeurs et volleyeuses bulgares. Leur nombre est passé de 7 internationaux de volley-ball expatriés (tous des hommes) en 1989 à 137 (70 femmes et 67 hommes) en 2015. En 2020, année marquée par la crise de la Covid-19, ils étaient encore au moins 137 (81 femmes et 56 hommes) à évoluer dans les championnats étrangers. Au cours des trois dernières décennies, ces sportifs ont privilégié ces championnats européens qui leur ont offert une grande visibilité et stabilité professionnelles. Ces départs leur ont aussi permis d’allonger leurs carrières professionnelles, en coachant lors d’une « seconde vie » quelques-unes des équipes qui les avaient accueillis(5) ou qui avaient accueilli leurs compatriotes(6).

 

Notes :

(1) Enquête réalisée par l’auteur et portant sur le profil de 361 volleyeurs professionnels (212 joueurs, 149 joueuses) de nationalité bulgare ayant évolué au sein des championnats professionnels étrangers entre 1948 et 2020 (consultation de différents sites sportifs dédiés au volley-ball - Volleybox, Lega Volley -, des portails du CIO et de clubs sportifs ains que d’agences de joueurs).

(2) Entretien avec un agent sportif FFVB, ayant placé des volleyeurs bulgares en France au cours des années 2000 et 2010, 1er décembre 2014.

(3) Entretien avec une ancienne volleyeuse professionnelle ayant joué pour des équipes françaises de N3, N2 et de pro B et pro A, ainsi que pour une équipe suisse de pro A, 5 octobre 2014.

(4) 13 entretiens réalisés par l’auteur avec des volleyeurs et volleyeuses bulgares et deux agents de sportifs entre le 5 octobre et le 15 novembre 2014 ; « Les deux vies de Rayna Minkova », Le Parisien, 10 novembre 2012.

(5) Pascal Goumy, « Igor et Krimina Yotov ont fait le choix de s’installer en Corrèze il y a dix ans », La Montagne, 4 janvier 2014. Jérôme Gallo,, « L'ASUL Volley et son recrutement », XXL, 19 juin 2013.

(6) « Volley (Elite) : Radoslav Arsov, l’homme providentiel pour le VC Marcq ? », La voix du Nord, 26 septembre 2014.

 

Vignette : Pixabay.

* Stéphan ALTASSERRE est docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.

Lien vers la version anglaise de l'article.

244x78