Chris Kutschera: «Le PKK demeure une organisation populaire en Europe»

Les Kurdes de Turquie constituent environ un tiers de l’immigration turque en Europe. Fortement politisé, leur réseau s’est structuré, dans les années 1980, autour du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Ses dirigeants, issus de l’extrême gauche turque, réclamaient l’indépendance du Kurdistan depuis 1978 ; ils ont du y renoncer en 1999 lorsque leur leader, Abdhullah Öcalan a été arrêté. Journaliste et écrivain, Chris Kutschera évoque l’aventure du militantisme kurde en Europe depuis plus de vingt ans.


PKK PKK PKKPKKPKKQuelles organisations politiques kurdes sont implantées en Europe ?

Tous les partis politiques kurdes de Turquie sont représentés en Europe. Leurs dirigeants avaient pour beaucoup été condamnés à l’exil après le coup d’Etat du 12 septembre 1980, comme celui du Parti socialiste du Kurdistan, Kemal Burkay. Comme ces partis, bien qu’il ne se soit pas implanté en Europe sous la pression de l’exil, le PKK, qui réclamait l’indépendance et la souveraineté du Kurdistan, a su s’appuyer sur la forte communauté turque en Europe dès les années 1980. En Allemagne notamment, un quart des 2,5 millions d’immigrés turcs sont en réalités kurdes, et leur région d’origine constitue la zone la plus sous-développée de la Turquie.

Comment s’est organisée la branche armée du PKK en Europe ?

Dans les années 1980 et 1990, le PKK, avait pour but de recruter d’autres militants pour rejoindre les rangs de la guérilla. Ces rencontres pouvaient avoir lieu par hasard ou par le biais des fêtes organisées par le PKK. Des centres de formation sportive et politique étaient improvisés dans des villages de vacances, en Charente, en Belgique, pour les jeunes Kurdes qui avaient une conscience politique peu élevée. Le PKK était un parti hégémonique, sectaire et très « stalinien ». La prose était très marxiste et le niveau intellectuel des fondateurs du parti assez médiocres, mais pour ces jeunes, c’était une véritable prise de conscience. Le dernier kamikaze qui s’est fait sauter dans un centre commercial d’Ulus, à Ankara, le 22 juin 2007, avait été entraîné en France. Caractéristique remarquable, un quart de la guérilla était composé de femmes, qui occupaient notamment des postes à responsabilité ; un exploit pour la société traditionnelle de Turquie. En revanche, la seule femme à siéger au conseil présidentiel était l’ex-femme d’Abdullah Öcalan, qui a aujourd’hui déserté et vit dans la clandestinité en Europe. A son apogée, la branche militaire comportait plusieurs milliers de combattants permanents qui ont réussi à mettre en péril le régime turc. En Europe, le PKK organisait des manifestations pour se faire entendre. A Paris ses membres ont occupé le siège de Libération, en Allemagne, ils ont bloqué des autoroutes. Le recours à la violence était fréquent dans les années 1980 et 1990. Quand Abdullah Öcalan a été capturé en février 1999, les Turcs ont remporté une victoire colossale parce que le PKK a renoncé à tous ses objectifs pour sauver la tête d’Öcalan. Le PKK a renoncé à la lutte armée.

Sur quelles bases économiques le PKK s’est-il établi en Europe ?

Le PKK s’est servi de la diaspora kurde, de son potentiel économique et militant pour mettre sur pied une organisation très systématique, pyramidale, pourvue d’un comité central, de responsables des relations extérieures, de responsables financiers et d’un système de collecte de fonds. L’Europe a été la principale zone de financement. Cet argent provenait principalement de la « campagne annuelle » au cours de laquelle l’impôt révolutionnaire aurait rapporté 30 millions d'euros en Europe dans les meilleures années, en 1991-1992 ; à cela, il faut ajouter des « mensualités », environ 15 euros par mois et par personne, les contributions spéciales en temps de guerre, le produit des ventes de journaux et des fêtes. Les contributions financières de la communauté kurde étaient parfois obtenues par le racket, quelques commerçants ont été passés à tabac.

Le PKK bénéficie-t-il de relais médiatiques efficaces ?

Le PKK possède toujours plusieurs organes de propagande : des journaux publics, une agence de presse en Allemagne, et, en Belgique même une télévision extrêmement populaire, MedTV, qui lui permet de contourner la censure en Turquie sur les activités politiques kurdes. Cette télévision s’adresse aux téléspectateurs en turc, en kurde, et en langue syriaque aux chrétiens de Turquie. C’était un grand coup du PKK. Elle existe toujours, en dépit de multiples déboires et interdictions. En dépit de la rivalité avec les Kurdes d’Irak et d’Iran, les Kurdes de Turquie détiennent toujours le monopole de la presse et de la télévision kurdes.

Le PKK est-il demeuré une organisation populaire dans les milieux kurdes d’Europe ?

Oui. C’est étonnant, mais malgré le renoncement du PKK à l’indépendance du Kurdistan et à la lutte armée, sa popularité demeure très grande au Kurdistan et en Europe. Des jeunes, nés en Occident, n’ont jamais cessé de partir le rejoindre ; on les rencontrait notamment à la frontière irano-irakienne. Il y a quelques années, je me souviens avoir rencontré une jeune Australienne, en larmes, parce qu’elle n’avait pas été acceptée dans les rangs du PKK en raison de sa constitution fragile.

Et la figure d’Öcalan ?

Le culte du chef autour de sa personne était extraordinaire. La presse et les intellectuels l’ont même comparé au soleil… Après sa capture, il est parvenu à reprendre son parti en mains. Toutes les semaines, en principe, il reçoit la visite de ses avocats, qui lui permettent de transmettre des messages aux responsables du PKK. Le PKK a repris la lutte armée à cinq reprises depuis 1999. Aujourd’hui, il se bat essentiellement pour obtenir l’amélioration des conditions de détention d’Öcalan. Il est détenu à la prison d’Imrali, sur une île de la Mer Noire, il voit son avocat, sa famille, mais pas toujours. Le PKK réclame la fin de son isolement, et surtout sa libération et la légalisation du parti. Des rumeurs, jusqu’ici infondées, courent sur le fait qu’il aurait été empoisonné.

Le renoncement du PKK n’a-t-il pas porté atteinte au prestige des les Kurdes de Turquie, vis-à-vis des Kurdes d’Iran et d’Irak ?

Il y a aussi une rivalité avec Massoud Barzani, le leader kurde irakien, assez influent en Turquie dans les années 1980, qui avait pourtant réussi à obtenir l’autonomie de sa région - ce qui était perçu comme archaïque par le PKK. Mais aujourd’hui, les rôles sont inversés. Le PKK se bat pour la République démocratique turque, tandis que le Kurdistan irakien semble plus avancé politiquement : la région kurde autonome est reconnue par la Constitution irakienne avec le statut de région fédérale. Officiellement, elle commence à envisager son indépendance. Les Kurdes d’Iran bénéficient d’une situation semblable. Cela crée aujourd’hui un malaise chez les Kurdes de Turquie.

Le nombre de jeunes recrutés aujourd’hui est-il aussi élevé que dans les années 1980-1990 ?

Le nombre des jeunes qui rejoignent les maquis en Turquie est élevé aujourd’hui, et cela d’autant moins que la plus grosse partie des troupes s’est retirée de Turquie. La base de Kandil, près de la frontière irakienne, abrite aujourd’hui quatre à cinq mille combattants prêts à mener des opérations en Turquie. Actuellement, l’armée turque tente d’obtenir du gouvernement irakien la fermeture de ce camp, qui a connu un mouvement de désaffection ces dernières années. Beaucoup ont rejoint le PDK (Parti démocratique du Kurdistan), ou ont trouvé refuge en Europe ou au Kurdistan irakien. Mais il abrite aussi des chefs militaires importants.

A l’heure où l’armée semble perdre son prestige en Turquie, la Turquie serait-elle prête à intervenir elle-même en Irak ?

Kandil constitue un enjeu entre les militaires, qui préconisent l’intervention, et les civils qui demandent depuis un mois la liquidation de cette base militaire kurde. Erdogan vient finalement de se déclarer pour, en dépit de l’hésitation du gouvernement turc sur la question, en raison des conséquences que pourrait avoir une intervention turque en Irak. C’est peut-être un calcul électoral en vue du scrutin présidentiel du 22 juillet. Diplomatiquement, ce serait un désastre pour l’image de la Turquie en Europe.

Les Kurdes souhaitent-ils l’adhésion de la Turquie à l’Europe ?

Oui, largement. « Le jour où la Turquie sera membre de l’UE, les Kurdes auront intérêt à être sages ! ». Aujourd’hui, s’ils se battent contre l’armée turque, les Kurdes rencontrent un écho favorable dans les milieux libéraux et intellectuels. Ces milieux font pression en faveur de l’adhésion de la Turquie et du respect des critères de Copenhague obtenus par des organisations favorables aux Kurdes, comme par exemple, en France, le PCF, le PS, la LCR, les Verts et l’UMP. Une question est également importante pour l’ambassade française d’Ankara. En Europe, les représentants du PKK ont tout intérêt à s’appuyer sur l’organisation démocratique européenne, ce qui est un avantage dans le domaine de la propagande. De nombreux démocrates ont sympathisé avec la cause d’Öcalan en dépit du fait qu’il soit partisan de l’action violente et de la Révolution. A Paris, une coordination kurde se réunissait régulièrement, qui regroupait des organisations kurdes du Kurdistan irakien, iranien et turc, et des associations françaises. Une réunion au moins a eu lieu à France Liberté, la fondation de Danielle Mitterrand.

Dans quels autres réseaux informels européens trouve-t-on des Kurdes ?

Quelques arrestations ont eu lieu récemment, notamment en Angleterre, d’une famille mafieuse kurde impliquée dans le trafic de drogue. La Turquie se trouve sur la route de la drogue entre l’Aghanistan, l’Iran et l’Europe, et tout le monde y participe, notamment l’armée, qui maîtrise les voies de communication ; on a déjà vu des hélicoptères de l’armée turque transportant de l’héroïne…La ville de Yüksekova, dans le Sud-Est de la Turquie, est surnommée « Heroin city » ! L’économie kurde existe de façon plus légale, à travers les commerces et les cafés implantés dans les grandes villes, qui constituent des sources de revenu.

Par Fred HILGEMANN
www.chris-kutschera.fr