D #15 : Edito – Chasse à l’ours, chasse à l’aigle

Faiblesse, crise, corruption, débâcle, abus de pouvoir, affairisme, mafia, etc. sont autant de qualificatifs qui, appliqués à la Russie, se répètent à longueur de page dans bon nombre de périodiques, pour ne pas dire tous. Certes, on ne peut pas affirmer que la situation en Russie soit des plus reluisante...mais de là à traquer la misère, la crise ou tout autre vision toujours plus apocalyptique, il y a un pas que personne n'hésite à franchir allègrement.

La Russie, ce pays immense aux énormes richesses naturelles, au savoir-faire avéré dans un grand nombre de secteurs de pointe serait-elle subitement devenue un abîme sans fond? "Perdre" la guerre froide est-il un gage de faiblesse irrémédiable? Est-on en droit d'affirmer que ce pays n'a plus droit à la parole, qu'il est devenu un valet du monde occidental tout juste bon à recevoir des aides financières, sous prétexte que son économie traverse une passe difficile?

N'oublions pas que le peuple russe a souvent su montrer, au cours de son histoire mouvementée, des ressources insoupçonnées; la Russie possède les moyens de redevenir une grande puissance militaire, économique et scientifique. Alors de grâce, ne nous laissons pas abuser par une information filtrée quelquefois trop dépendante d'une vision unique.

Le conflit qui se déroule au Kosovo n'est sûrement pas étranger à l'exagération ambiante; il ajoute une dimension dramatique et dérisoire à la situation en Russie. Tout le monde se permet de beaucoup gloser sur les prises de position d'un Boris Eltsine malade, sur les intérêts recherchés par les Américains dans la région, sur le poids du FMI sans cesse agité comme garantie d'une maîtrise totale de la situation. Et l'opinion publique russe? Qui s'en soucie?

Est-il vraiment clair pour les Occidentaux que Boris Eltsine est une soupape de sécurité permettant de retenir la coalition entre Communistes et Nationalistes russes, certainement moins mitigée dans sa position à l'égard de la conduite à tenir face au conflit?

Que sait-on au juste de la véracité des informations constamment diffusées sur les chaînes de télévision du monde entier? Notre équipe envoyée en Albanie et en Macédoine a pu mesurer la partialité de certains médias à l'encontre des réalités de ce conflit. Non, ce conflit n'a pas une base religieuse; non, le problème n'est pas religieux mais ethnique; non, les Albanais d'Albanie, de Macédoine et du Kosovo ce n'est pas la même chose, et à bien des points de vue!

Cessons de juger des pays, des civilisations, des cultures et des mentalités dont les critères nous échappent. Cessons de brandir des raisonnements et des schémas d'explication européens pour dicter la direction que devraient prendre Moscou, Tirana ou Skopje. Essayons de comprendre avant de dispenser de grandes leçons: voilà le sens du dossier "Russie" de ce numéro, guidé en grande partie par les phrases très justes de T. Tioutchev "La Russie ne relève pas de la raison...la Russie ne s'ouvre qu'à la foi". Voilà aussi la direction prise par le témoignage de nos envoyés spéciaux aux frontières du Kosovo.